Tiens, et si, pour ce début d’année à venir, je continuais à parler d’albums passés quelque peu inaperçus en 2018 ?? Aujourd’hui, j’évoquerai donc le cas de David Garland et son monstrueux Verdancy.
Je vous vois venir, vous allez vous dire : ouais ben… Jism avec son goût pour les musiques inaudibles, il va encore nous parler d’un disque de métal carpathien dont tout le monde se fout. Alors je vous rétorquerai que non, Verdancy n’est monstrueux que dans sa forme, que ce n’est pas du métal et encore moins carpathien.
Déjà, contextualisons : c’est qui David Garland ?
D’abord, c’est un producteur/animateur/programmateur américain, enfin homme à tout faire d’une émission radio (Spining On Air) depuis 28 ans. Ensuite, c’est un musicien/compositeur multi-instrumentiste ayant à son actif 11 albums depuis 1986 et composant avec/pour Sufjan Stevens, Meredith Monk, Vashty Bunyan, John Zorn ou encore Sean Lennon (entre autres).
Le sieur a sorti dans une presque totale indifférence un douzième album qui fera probablement date dans la musique folk. Un album somme (27 morceaux pour 4 heures de musique) d’une très rare ambition, puisant dans le classique, le folk, l’expérimental, la world, alignant de façon régulière des morceaux de plus de dix minutes sans que l’ennui ne pointe pour autant le bout de son nez.
Pour vous détailler un peu l’ambition de la chose, l’Américain va commencer par s’entourer de musiciens triés sur le volet : une bonne douzaine dont la violoniste et vocaliste Tchèque Iva Bittova, les batteurs Otto Hauser (jouant pour Espers, Vetiver, Cass Mccombs) et Adam Pierce (Mùm, Mice Parade), les chanteurs Robin Dann (Bernice) et Jared Samuel (Cibo Matto), Yoko Ono, le double bassiste Julian Lampert.
Ensuite, après s’être parfaitement entouré, Garland va enregistrer toutes ses compositions dans son home studio (une cabane à l’orée des bois lui permettant, en ouvrant simplement la fenêtre, de capter certains fields recordings) équipé, à l’exception d’un ou deux synthés analogiques, de micros ainsi que d’instruments acoustiques.
Maintenant que le décor est à peu près planté, doux et bucolique, serein serait-on presque tenté de dire, parlons un peu de Verdancy. Comme je le disais plus haut, il s’agit là d’un album somme, disque monstrueux, équivalent dans un versant folk d’un Elseq ou d’un NTS Session d’Autechre. Soit quatre heures de musique douce, bucolique, où Garland ose le risque ultime : prendre volontairement son temps en le façonnant à sa guise, jouant sur les silences, distordant les harmonies pour s’aventurer où bon lui semble.
Après, difficile d’évoquer toute la richesse de Verdancy en quelques lignes, rendre justice à sa prodigieuse ouverture d’esprit. Parce qu’entrer dans ce disque, c’est explorer un monde non pas inédit mais dans lequel peu se sont aventurés sans y laisser des plumes. Un monde empreint d’une magnifique luxuriance, sensible, doux, capable d’inclure, malgré sa douceur, de la dissonance avec une remarquable fluidité (pour preuve, la seconde moitié de Color Piece).
Mais c’est aussi se perdre dans un lieu où la nature a repris ses droits, quasi exempt de trace humaine, un lieu à la fois libre, sauvage, poétique, d’une beauté si visuelle qu’elle vous laisse pantois, bouche bée, aphone. Un lieu, enfin, ouvert à l’imaginaire, où chacun peut se perdre à sa guise et laisser libre cours à ses divagations.
Comment David Garland a-t-il pu parvenir à un tel résultat me demanderez-vous ? D’abord par le choix des instruments offrant une tonalité boisée, chaleureuse et brute à l’ensemble de ses compositions, comme Mark Hollis a pu le faire il y a vingt ans. Ensuite, par la variété des styles touchés.
Certes, la dominante reste folk, Garland en explore toutes les possibilités (et ce grâce à sa guitare modifiée), mais ses compositions vous emmènent bien au-delà de ce genre : elles abordent l’expérimental, souvent, l’électro, parfois (le très surprenant Dream Home), le classique, le jazz.
D’autres sont à la lisière du naturalisme (par moment vous vous retrouvez en pleine légende celtique, entouré de lutins et autres farfadets), ou de la world (sur Hush And Who, c’est en Inde que vous atterrissez, en plein râga), certaines évoquent Robert Wyatt (l’expérimental Efflorescence par exemple) et d’autres enfin le folk psyché d’un Richard Youngs (période Airs Of The Ear).
Cependant, si la palette musicale de Garland semble immense, lui ouvrant un imaginaire fertile, Verdancy sidère également par la distorsion qu’il parvient à faire des codes temporaux. Outre le fait qu’il adapte un morceau du XVIème siècle (le superbe Monteverdi’s Lamento Della Ninfa), qu’il mette en musique un texte sacré (Lux Temporalis), il réussit le tour de force de concilier Moyen Âge et ère moderne sur un même morceau (Caliban Calibrates The Ecosystem) ou de vous transporter au Xème siècle (Dear Golden Deer) pour vous faire revenir le morceau d’après en plein XXIème sans que la transition ne choque qui que ce soit. Un véritable tour de force.
Arrivé à ce niveau de la chronique, et avec la description que je viens d’en faire, vous devez vous dire que Verdancy est probablement superbe mais vu les thèmes abordés, l’ambition dont il fait clairement preuve (plus de 4 heures de musique d’une richesse incroyable), on pourrait parfaitement imaginer être en présence d’un long pensum hippie élitiste et chiant.
Pour autant, il n’en est rien. Ou presque.
Élitiste, il l’est, mais pas de façon péjorative, plus dans le sens où David Garland recherche l’excellence dans chacune de ses compositions. De plus, comme je le disais en début de chronique : à aucun moment l’ennui ne pointe le bout de son nez et ce malgré la longueur de certains morceaux (entre 12 et 22 minutes tout de même). Parce que l’un des talents de David Garland est de réussir à capter l’attention de l’auditeur (pour ne pas dire l’hypnotiser), le prendre dans ses filets et l’emmener jusqu’au bout de ses visions musicales.
Un autre, plus important encore et qui apparaît tout au long de Verdancy (l’empêchant ainsi d’être un long pensum chiant), c’est l’humilité particulièrement remarquable dont il fait preuve. En effet, en aucun cas l’Américain ne cherche à épater la galerie, il y a chez lui une modestie ainsi qu’une fluidité dans ses compositions en totale adéquation avec le thème central du disque, à savoir la nature.
Car Verdancy n’est ni plus ni moins que cela : une déclaration d’amour à la nature. Mais pas un truc de hippie hein, pas de flower power ni de caricature, non, plutôt l’album d’un écolo en communion avec son environnement qui embrasse pleinement son sujet et réussit à en capter l’essence et la poésie. Ça touche juste plus qu’à son tour, c’est très souvent magnifique (à l’image du visuel utilisé pour le format physique), complexe, tout en étant fluide et d’une rare poésie.
Maintenant, si j’ai réussi à vous mettre l’eau à la bouche, il ne tient plus qu’à vous de vous ruer d’abord sur le Bandcamp de David Garland, puis de plonger dans ce disque superbe et passionnant et enfin de l’acheter en physique. Bon, après, je vous conseille fortement de ne pas le consommer d’un coup, vous risqueriez l’overdose mais n’hésitez pas à picorer dedans, à y revenir souvent et vous verrez, en très peu de temps, certains signes d’addiction se feront très vite sentir.