[mks_dropcap style= »letter » size= »52″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#00ccff »]F[/mks_dropcap]rédéric Fiolof, directeur de l’excellente revue La moitié du fourbi sort avec La magie dans les villes son premier livre aux éditions Quidam ; un livre inclassable, un peu roman, un peu poème, un peu guide pratique d’une philosophie qui ferait de la lenteur et de la mélancolie les règles fondamentales dont tout découlerait. Un livre formidable donc !
Le texte écrit à la troisième personne du singulier dresse en creux le portrait mélancolique d’un père de famille dont on saura beaucoup les détails de ses impressions, de ses gestes anecdotiques qui construisent l’essentiel, de sa pensée rêveuse (ou rêvée), de son regard doux et farfelu sur la vie qui s’épuise. En revanche, on ne saura pas grand-chose de sa vie réelle et concrète (ah si, une télévision démontée et des potées de choux fumant !) car ce n’est pas le propos du livre. Avec Frédéric Fiolof et La magie des villes on approche gentiment de ce que pourrait être cette Vie dans les plis, pour citer Henri Michaux que l’on devine cher à Frédéric Fiolof, une vie faite et défaite du quotidien. Henri Michaux encore car il y a un peu du facétieux Plume chez ce personnage que l’on suit par fragments poétiques, qui préfère donner ses habits à des voleurs que de se les faire voler, qui lorsqu’il a été gros « avait des mains si petites qu’il pouvait coudre des bonnets de nuit pour des musaraignes » et qui parfois « a l’impression d’être seul au monde ».
Se construit sous nos yeux, petit à petit, un personnage doux et rêveur, jamais caricatural, un peu plus solide et volontaire que Plume mais qui tout de même traverse le livre, la vie, la ville (qui « multiplie les chances, les dérapages, les petites santés et les appels au secours ») en flottant un peu, effleurant les choses plutôt que les attrapant, les réunissant un instant plutôt que les brassant et toujours avec une air détaché, ému et prévenant comme le sont parfois les personnages de Queneau des Fleurs bleues ou de Pierrot mon ami (« Bien sûr, comme tout le monde, il a déjà été enfant »).
Il y a dans La magie dans les villes un ton faussement léger, une distance amusée sur les choses, jamais cynique (« c’est fou ce qu’un mort peut ressembler à un autre mort et, gravé dans la pierre, un chagrin éternel à un autre chagrin éternel »), et empli d’une grande mélancolie. De celle qui vous pénètre un peu pendant la lecture et qui laisse une fine pellicule sur le dessus de la peau, mais pas seulement : elle entre aussi bien profondément, fait se déplacer des choses pas si légères que ça à l’intérieur, et finit par ne plus vraiment vous quitter. Si l’on peut oser une comparaison de fin de vacances, elle est comme le sable que l’on continue de trainer chez soi, de retrouver un peu partout. Il y a chez Frédéric Fiolof plus qu’une manière, un art rare d’écrire des choses belles et troublantes, sans donner l’impression de le faire, avec cette politesse légère des gens délicats. Le livre est beaucoup plus qu’une jolie fantaisie sur un homme fragile au milieu de sa vie ; c’est un livre juste, avec une écriture sans emphase et une musicalité dans les mots, un charme discret, que l’on retrouve rarement.
Découvrez un extrait sur le site de l’éditeur.