[mks_icon icon= »fa-star-o » color= »#fffff » type= »fa »] [mks_highlight color= »#fffff »] Les conseils de Velda[/mks_highlight]
Anne Bourrel, L’invention de la neige
Un roman étrange, puissant, que, l’air de rien, l’écriture retenue d’Anne Bourrel amène lentement, en douceur, à un paroxysme de noirceur. Au lendemain de l’enterrement de son grand-père adoré, Antoine, Laure prend la route avec son mari Ferrans et les deux filles de ce dernier, direction la montagne et la neige. Le projet : quelques jours de plaisir pour récupérer, soulager un peu la douleur. Dans les Cévennes, la neige n’est pas au rendez-vous, et la famille se retrouve coincée dans une petite auberge de montagne au confort spartiate, au cœur d’un village franchement sinistre. C’est la mère de Laure qui raconte l’histoire, comme si elle avait été là, tapie dans l’ombre, pendant ces quelques jours. Il faudra attendre la fin du livre pour comprendre la raison de ce choix narratif, le seul possible… L’an dernier déjà, Addict-Culture vous avait conseillé Gran Madam’s, le roman précédent de Anne Bourrel. Celui-ci vient justement de sortir en Pocket. C’est le moment ou jamais de vous offrir un beau doublé, et de découvrir du même coup une des auteures les plus impressionnantes du moment.
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Quentin Mouron, Trois gouttes de sang et un nuage de coke
Quentin Mouron est un jeune auteur helvético-canadien dont ce roman a été le premier à paraître en France en 2015. Il sort aujourd’hui en collection de poche, et c’est l’occasion de découvrir un auteur très doué pour les atmosphères déliquescentes et vénéneuses. L’histoire se passe à Boston et démarre avec la découverte du cadavre d’un retraité, assassiné dans sa voiture. Qui a bien pu en vouloir à ce pauvre homme au point de lui faire subir de telles violences? C’est ce que vont s’attacher à découvrir le sheriff McCarthy, flic modèle en apparence, et le détective privé Franck, sorte de Des Esseintes moderne, cocaïnomane, admirateur de Joséphin Péladan, dandy pervers. La rencontre entre les deux va avoir des conséquences inattendues, et l’auteur prend un malin plaisir à décrire par le menu les fêtes bostoniennes et leurs personnages à la fois décadents et ridicules. Un délice acide et empoisonné.
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Jim Thompson, Pottsville, 1280 habitants
Traduit de l’américain par Jean-Paul Gratias paru chez Rivages /Thrillers
Traduit pour la première fois par Marcel Duhamel pour la Série noire en 1966, ce roman, comme tous les autres romans de Jim Thompson, souffrait d’une traduction bourrée d’erreurs et de coupes sombres. Rivages retraduit donc l’intégralité de l’œuvre, et la nouvelle traduction magistrale de Jean-Paul Gratias est l’occasion de redécouvrir dans toute sa splendeur cette œuvre adulée par tous, y compris Jean-Patrick Manchette. Librement adapté au cinéma par Bertrand Tavernier sous le titre Coup de torchon, Pottsville, 1280 habitants, est peut-être le plus implacable des romans de Thompson. L’histoire de Nick Corey, shériff de Pottsville (Texas), est celle d’un homme somme toute ordinaire, sans autorité, dont le poste est bientôt menacé par un candidat plus assoiffé de pouvoir que lui. Et là, tout bascule, y compris la personnalité de Corey. A Pottsville, rien ne va plus… Jim Thompson exerce là tout son talent, et, sous couvert d’humour féroce et absurde, dresse le portrait d’une Amérique… effrayante.
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Marcus Malte, Les Harmoniques
Si vous n’avez jamais lu Marcus Malte, précipitez-vous sur Les Harmoniques, probablement un de ses meilleurs romans avec Garden of love. Chaque partie de ce roman placé sous le signe de la musique roman est marquée par une sorte de prologue baptisé d’un titre de jazz. « Les harmoniques (…) Les notes derrière les notes, dit Mister. Les notes secrètes. Les ondes fantômes qui se multiplient et se propagent à l’infini, ou presque. Comme des ronds dans l’eau. Comme un écho qui ne meurt jamais (…) Ce qu’il reste quand il ne reste rien. C’est ça, les harmoniques. Pratiquement imperceptibles à l’oreille humaine, et pourtant elles sont là, quelque part, elles existent. » Elles sont encore là, quelque part, oui, comme Vera Nad, l’héroïne absente de ce roman noir tout simplement magnifique où l’on retrouve les personnages de Mister – grand black pianiste de jazz au Dauphin vert – et Bob – improbable chauffeur de taxi à la 404 jaune. Ces deux-là ne vont pas fort : leur amie Vera Nad a été assassinée, atrocement brûlée par ses meurtriers, et on ne peut pas dire que la police se précipite pour tirer l’affaire au clair. Un polar qui commence comme… un bon polar, mais dont les ailes se déploient petit à petit sous nos yeux ébahis, et qui finit par exploser en un geyser de noirceur, de provocation, de colère et de tristesse. L’auteur se déchaîne, déploie sa virtuosité pour nous étourdir, nous raconte l’enfance de Vera avec une violence d’une rare élégance. Marcus Malte, mais cela on le savait déjà, démontre qu’il est, tous genres confondus, un de nos meilleurs auteurs.
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[mks_icon icon= »fa-star-o » color= »#fffff » type= »fa »] [mks_highlight color= »#fffff »] Les conseils de Adrien Meignan [/mks_highlight]
Or, il parlait du sanctuaire de son corps de Mathieu Riboulet et Frédéric Coché
Les inaperçus
Les inaperçus proposent des livres où se rencontrent deux artistes : un écrivain et un plasticien (photographe, dessinateur, graveur…). Pour cet ouvrage, la rencontre semble évidente tant l’écriture ciselée et fluide fait comme un jeu de miroir avec le travail de Frédéric Coché, gravures aux lignes fines qui nous laissent pénétrer dans un bel imaginaire. Le texte de Mathieu Riboulet (auxquels les gravures répondent sans être dans l’illustration linéaire) nous raconte l’histoire de jésus le nazaréen.
L’écrivain nous précise dès le début: « l’histoire est connue […] Mais, en réalité, on ne sait pas grand chose ». C’est là que le travail d’écriture de Riboulet se glisse, dans cette inconnue où il ne va pas écrire pour l’intérêt mystique mais plus pour nous immerger dans ce que pouvaient être ces territoires à cette période, aujourd’hui malmenés par les conflits. Le texte retranscrit autant cet épisode « historique » que l’atmosphère méditerranéenne. Lire ce livre fait l’effet d’un léger vent chaud où flottent les odeurs de myrrhes ou autres arômes de ces terres. Un livre doux qui fait vibrer l’imaginaire tout en amorçant une réflexion purement artistique sur ce qui construit une figure telle que jésus.
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De la destruction de Amandine André
Éditions Al Dante
On peut lire de la poésie toute l’année mais à l’occasion de conseils pour l’été, je veux vous persuader d’emmener dans vos bagages, entre le maillot de bain et la serviette de plage, un livre d’une rare intensité et qui permet de constater la vitalité de la poésie actuelle. C’est ici Amandine André qui s’était faite remarquer avec un premier texte puissant : Quelque chose, aux mêmes éditions Al Dante en 2015. De la destruction est un recueil dont seul le texte donnant le titre au recueil est inédit. Les autres textes ayant était publiés dans diverses revues.
« J’écris pour qui entrant dans mon livre, y tomberait comme dans un trou, n’en sortirait plus ». C’est Michel Surya qui citant Bataille dans sa préface révèle le mieux la sensation donnée quand on lit ces 10 textes. Le rythme de la langue, déstructuré, se déploie où le corps tout entier se concentre ; C’est une langue consciente du corps. Chaque texte est un révélateur d’une destruction, d’un mal qui pousse à aller vers le néant. Mais ce n’est pas un mal totalement négatif, c’est un mal qui renouvelle, dont on semble être conscient. Les textes proposent plus une désaliénation et dans la prise de conscience de la brutalité y ressort une jouissance.
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[mks_icon icon= »fa-star-o » color= »#fffff » type= »fa »] [mks_highlight color= »#fffff »] Les conseils de Lou[/mks_highlight]
Lumikko, de Pasi Ilmari Jääskeläinen
Traduit du finnois par Martin Carayol. Editions de l’Ogre
Lorsqu’Ella Milana, professeure remplaçante de finnois, revient dans sa ville natale de Jäniksenselkä, elle découvre que les livres de la bibliothèque sont atteints d’une étrange maladie qui altère leur fin. Toute la vie locale semble d’ailleurs tourner autour de la littérature et de Laura Lumikko, auteure à succès de « Bourg-aux-Monstres », une série de livres fantastiques peuplés de créatures mythologiques monstrueusement attachantes. Alors qu’Ella Milana tente de percer le mystère des livres contaminés, Lumikko la choisit comme dixième membre de la « Société littéraire de Jäniksenselkä » composée jusqu’ici de 9 écrivains excentriques qui ont grandi ensemble dans l’aura de l’écrivain. Mais Laura Lumikko disparaît, et Ella Milana décide de percer à jour les mystères de la Société en relançant une nouvelle partie de l’étrange Jeu qui unit ses membres.
« A un moment, nous avons voulu distinguer le fait de Jouer et le fait de raconter des histoires, car raconter est un art, alors que le Jeu est quelque chose de très différent. Le Jeu ne produit pas d’histoires, il produit la matière même des histoires […]. » Entre thriller, fantastique, roman psychologique et conte finnois, Lumikko est aussi une réflexion aussi fine qu’humoristique sur l’inspiration littéraire, les ressorts de l’imagination et la figure de l’écrivain. Pasi Ilmari Jääskeläinen déploie avec talent une savoureuse et parfois troublante palette de registres, joue avec nos nerfs et crée un suspens tel que j’ai dévoré son livre en une seule bouchée, ogresque.
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Madeleine Project, Clara Beaudoux
Fin 2015, Clara Beaudoux émeut Twitter avec le hashtag #MadeleineProject. L’histoire commence en 2013, lorsque la journaliste aménage dans un petit appartement parisien vide et découvre que la cave est toujours pleine des affaires de l’ancienne propriétaire décédée depuis peu. Dès le début, elle décide de conserver les traces de la vie de Madeleine et photographie chaque objet qu’elle range. Cartons débordants de lettres d’amour soigneusement numérotées, de numéros d’Historia, de photographies pêle-mêle, de liste de courses, recettes de cuisine et souvenirs de vacances, de vieilles dentelles, bibelots ou matelas pourrissant. Tout un bric-à-brac qui compose à petites touches le quotidien effacé d’une intimité qui s’inscrit dans l’Histoire. Dans les affaires de Madeleine, née en 1915, Clara Beaudoux retrouve en effet des coupures de journaux historiques découpées avec soin : Hitler en une de Ce soir en 1945, le Paris Match des premiers pas sur la lune, la carte de la CGT de 1947 du père, la carte d’électeur de 1945 de la mère, l’année du droit de vote des femmes.
En novembre 2015, Clara Beaudoux décide de publier l’histoire de Madeleine, ou plutôt de sa découverte de Madeleine, sur Twitter : un feuilleton composé de 2 saisons de 6 jours suivi en live par des centaines d’internautes qui participent aux recherches en généalogistes amateurs, envoient à la journaliste des photographies d’époque des lieux de vacances de Madeleine ou encore expérimentent ses recettes. Alors que la première saison explore l’histoire de Madeleine à travers ses objets, la deuxième saison est plutôt consacrée à la rencontre avec ceux qui l’ont connue. Clara Beaudoux expose la vie de cette femme dont elle conserve l’anonymat avec beaucoup de délicatesse, de respect et de sensibilité, et s’offre la liberté du « je » et de l’implication personnelle pour livrer un documentaire riche et et émouvant.
Accessible dans son intégralité sur Storify, le #MadeleineProject est dorénavant édité sous forme de livre aux éditions du Sous-sol, spécialistes du journalisme narratif. L’intégralité des tweets y est présente en l’état, des photos aux liens html ou aux hashtags. Une matérialisation du web, comme en écho à cette cave figée hors du temps.
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[mks_icon icon= »fa-star-o » color= »#fffff » type= »fa »] [mks_highlight color= »#fffff »] Les conseils de Seb Gringo Pimento[/mks_highlight]
L’étrange mémoire de Rosa Masur de Vladimir Vertlib
Editions Métailié, Traduit par : Carole Fily
L’étrange mémoire de Rosa Masur est un roman étonnant.
Il commence en Russie, sur peu de pages, moment où la famille de Rosa : son fils, sa belle-fille et elle décident de rejoindre le petit fils vivant en Allemagne. Une fois là-bas, Rosa se voit proposer un étrange marché : raconter une histoire de juif russe pour un livre édité par la mairie de sa ville d’adoption et être payée pour cela.
Or, des histoires, Rosa en a des tonnes et de l’argent, rudement besoin.
Elle se lance donc à corps perdu dans la narration de sa vie, de celle de son mari et de ses enfants, son fils, sa fille.
Vladimir Vertlib fait défiler devant nos yeux le XXème siècle, ses horreurs surtout et les quelques moments de bonheur de Rosa. Il nous propose un livre âpre, tendu, triste et dur le plus souvent. Avec une pointe d’humour, glaçante notamment à cause de Staline lors d’un épisode tragicomique d’une grande truculence.
Un livre qui ne se donne pas facilement, qui demande des efforts, notamment à cause d’un langue plutôt âpre et tourmentée mais qui se révèle petit à petit fascinante.
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Le crime de Julian Wells de Thomas H. Cook
Editions Seuil, Traduit par : Philippe Loubat-Delranc
Un long voyage que ce roman : Oradour-sur-Glane, Londres, Budapest, Cachtice, Rostov et Buenos Aires.
Thomas H. Cook commence par un suicide : celui de Julian Wells, écrivain de nombreux ouvrages, tous sur des criminels plus terribles les uns que les autres.
Cette mort laisse son meilleur ami, Philip Anders, complètement désoeuvré, dans l’incompréhension totale de ce geste fatal.
Des questions vont peu à peu se faire jour pour Anders, qui relisant l’oeuvre de son ami, se lance dans une longue enquête, voyageant sur les lieux où Wells a lui même enquêté ou vécu.
Cook insère alors dans son roman des extraits des romans de Julian Wells. Extraits qui éclairent la vie de celui-ci ainsi que sa part d’ombre, très importante.
Comme un puzzle, Anders progresse, comprend, vit à travers Wells et il est aidé par la soeur de celui ci qui ne comprend pas non plus son geste.
C’est un roman policier que nous lisons, emprunt de roman d’espionnage et de faux semblants.
Les voyages entrepris par Anders révèlent peu à peu ce crime de Wells, crime dont aurait été témoin le narrateur mais qu’il ne comprendra que des années plus tard.
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L’amie prodigieuse d’Elena Ferrante
éditions Gallimard traduit de l’italien par Elsa DAMIEN
Situé dans un village pauvre près de Naples, ce magnifique roman nous invite à suivre l’amitié entre deux jeunes filles dans les années 1950, Elena et Lisa, toutes deux issues du même quartier populaire. Brillante intellectuellement, elles vont toutes deux à l’école, mais tandis que l’une abandonne très vite sa scolarité pour travailler et se fiancer très trop, l’autre continue à coups d’effort pour réussir ses études et monter socialement.
Nos deux jeunes filles vont se perdre de vue, se retrouver, se détester, s’aimer, dans une sorte de roman d’apprentissage jalonné par les choix de chacune, des chemins qui vont diverger. Étonnamment, dans cette amitié fusionnelle il y a toujours comme sorte de barrière invisible, une retenue, comme si chacune voulait se préserver un jardin secret que l’autre ne doit en aucun cas fouler. Elena Ferrante nous dresse un décors romanesque remarquable, une peinture locale saisissante servie par une écriture au ton toujours juste.