[dropcap]I[/dropcap]l est certainement l’un des personnages les plus célèbres et les plus fascinants de la littérature et du cinéma. Créé par l’auteur britannique Bram Stoker (1847-1912), Dracula renouvelle l’image du revenant traditionnel et s’affirme comme le nouvel archétype du vampire, expression durable du mythe à travers le temps.
Parmi les dizaines d’adaptations cinématographiques que l’on connaît et que je ne saurais énumérer ici, il en est une particulièrement remarquable, tant pour son esthétique baroque que pour sa fidélité au roman de Bram Stoker : celle du réalisateur américain Francis Ford Coppola.
Dans cette version éblouissante, Coppola parvient magistralement à donner vie au mythe, réintroduisant chaque personnage et événement du roman original et choisissant de rendre à Dracula son humanité perdue en le présentant comme la victime d’une terrible malédiction et non comme un simple monstre.
Transylvanie, 16ème siècle : le comte Vlad Dracul (Gary Oldman) est un redoutable guerrier qui combat sans relâche les infidèles. Une ruse de ses ennemis ayant précipité l’amour de sa vie dans la mort, Vlad, fou de douleur, se détourne de Dieu pour se consacrer à Satan, devenant l’un de ses serviteurs. Terré dans son château depuis lors, il est devenu un buveur de sang, un vampire immortel défiant le temps et les règles morales.
En 1897, la vie d’errance et de désespoir du dit comte Dracula bascule cependant lorsqu’il engage un dénommé Jonathan Harker (Keanu Reeves), jeune clerc de notaire venu de Londres, pour remplacer son notaire devenu fou et interné dans un asile psychiatrique. En apercevant le portrait de la fiancée de Jonathan, la jeune et belle Mina Murray (Winona Ryder), Dracula découvre qu’elle est la réincarnation parfaite de sa bien-aimée. Retenant le jeune homme prisonnier, il part donc pour Londres à la recherche de Mina.
Sa première victime sera Lucy, l’amie de la jeune fille. Il se présente ensuite, sous des traits rajeunis, à la fiancée de Jonathan, troublée par cet Être tourmenté, énigmatique et passionné… L’état de Lucy, en transition vampirique, empirant, ses proches font appel au fameux professeur Van Helsing (Anthony Hopkins), pittoresque savant chasseur de vampires. Une course poursuite endiablée va dès lors commencer, dont nul ne sortira indemne.
S’éloignant des précédentes versions cinématographiques mettant en scène le vampire, Coppola revient ici aux racines de la légende et nous livre un tour de force vertigineux, plongeant le spectateur dans une histoire d’amour passionnée, sensuelle et extrêmement romantique. Il multiplie cependant habilement les clins d’œil aux incarnations passées de Dracula et nous renvoie à l’age d’or des films de la Hammer avec ses couleurs saturées, le rouge sang qui coule à flots et ses décors baroques et flamboyants.
Des rues du Londres victorien aux sombres montagnes de Transylvanie, le réalisateur parvient à créer un univers fantastique et onirique affranchi de toute volonté de réalisme dans des décors éblouissants, le film ayant été entièrement tourné en studio. Le mélange des influences et techniques cinématographiques, les jeux d’ombres et de lumière, les projections sur les murs du studio, le maquillage, les effets spéciaux volontairement « à l’ancienne » et les costumes époustouflants réalisés par la créatrice japonaise Eiko Ishioka, récompensée d’un Oscar en 1993, confèrent ainsi au film un caractère vraiment particulier.
Dans un souci de fidélité au roman, Coppola attribue à Dracula de nombreuses caractéristiques propres au personnage imaginé par Stoker. Présenté sous les traits d’un vieillard effrayant et cadavérique, il a non seulement la capacité de rajeunir mais aussi de se transformer en différents animaux inquiétants et d’en contrôler d’autres. Prédateur cruel, ses capacités physiques dépassent de loin celles des hommes. Il se fait brume ou brouillard, disparaît à volonté et peut commander aux éléments. Comme toute créature de la nuit, il peut se déplacer de jour mais ses pouvoirs s’en trouvent affaiblis.
Mais contrairement au personnage imaginé par Bram Stocker, il n’est pas qu’un monstre dénué de conscience dans la version de Coppola : il se révèle capable d’aimer et d’éprouver tous les sentiments propres aux humains, cette ambivalence rendant le personnage particulièrement attachant et faisant constamment osciller le spectateur entre l’horreur, l’effroi et la pitié que lui inspire cette créature maudite.
Coppola s’empare également du côté érotique du roman original, choisissant ici de montrer la sexualité exacerbée des créatures de la nuit, qu’elles soient hommes ou femmes, comme si leur soif inextinguible de sang était intrinsèquement liée à une soif de sexe. La caméra montre donc sans pudeur aucune torrides étreintes, orgies sanglantes, scènes de luxure et de débauche aussi troublantes que glaçantes !
L’interprétation magistrale de Gary Oldman, dont le charisme et le talent sont ici à leur sommet, et la qualité de la distribution, qu’il s’agisse de Winona Ryder, d’Anthony Hopkins ou de Sadie Frost, sont bien évidemment à souligner. De même que la musique, composée par Wojciech Kilar et la magnifique chanson Love Song for a Vampire, écrite et interprétée par la grande Annie Lennox, qui résonne encore dans nos mémoires…
En bref, voici un film à voir et à revoir qui, s’il a déçu certains critiques, est unique dans la filmographie du réalisateur qui nous livre ici une œuvre spectaculaire, fascinante et visuellement superbe, et qui rend indéniablement ses lettres de noblesse au personnage de Bram Stocker.