On lui doit certains des plus beaux romans de langue anglaise qui soient, dont les bouleversants et célébrissimes Tess d’Urberville (1891), magistralement adapté par Roman Polanski en 1979, Jude l’obscur (1896) superbement adapté en 1996 par Michael Winterbottom, ou encore Loin de la foule déchaînée (1874), récemment redécouvert grâce à une adaptation cinématographique de Thomas Vinterberg. Il faut avouer que ses romans, au cadre enchanteur mais emplis de noirceur, ne peuvent qu’inspirer cinéastes et scénaristes avec leurs personnages et héroïnes tourmentés, victimes des conventions et de l’hypocrisie sociales, qui connaissent généralement une fin tragique…
Le nom de cet écrivain anglais ? Thomas Hardy, bien sûr, né le 2 juin 1840 et mort le , immense écrivain britannique appartenant au courant naturaliste. Si vous n’avez jamais lu son œuvre, certes pessimiste mais d’une puissance rare, je vous engage vivement à la découvrir, ne serait-ce que pour ses héroïnes inoubliables ou pour tenter de ressentir combien la richesse des tableaux champêtres de l’imaginaire Wessex souligne la noirceur de l’univers social que le romancier met en scène. Bien que méconnu en France en tant que poète, Hardy se considérait lui-même d’abord comme tel, n’écrivant des romans que pour gagner sa vie, pour le plus grand bonheur pour les lecteurs que nous sommes !
Son œuvre, puissante, lyrique et sombre, dépeint des personnages complexes et tourmentés, en lutte contre leurs passions et le destin qui leur est imposé par leur condition. Sa poésie, publiée après ses cinquante ans, est jugée d’une qualité égale à ses romans, surtout depuis sa relecture par un groupe d’écrivains anglais dans les années 1950 et 1960. Tous se déroulent dans le sud-ouest de l’Angleterre : le Dorset et les comtés voisins se trouvent transmués en royaume littéraire que Hardy appelle le Wessex, du nom de l’ancien royaume des Saxons de l’Ouest.
Le Wessex apparaît comme une province aux localités imaginaires et à la nature préservée, en opposition totale au Londres de la société victorienne, peuplée de personnages en lutte perpétuelle contre leurs propres passions et les conditions sociales de cette fin de XIXème siècle, qui rend la vie des possédants heureuse et sereine et celle des femmes et des salariés infernale. Peintre acerbe du milieu rural, Hardy se fait un devoir de rendre le climat, la beauté et la rudesse de la nature anglaise, berceau de belles jeunes filles qu’il met en scène, qu’elles soient innocentes comme Tess d’Urberville ou ambitieuses comme Bathsheba Everdene, terreau d’histoires tragiques et témoins de descentes aux enfers que l’on dirait inévitables.
Thomas Hardy naît dans une famille anglaise modeste du village de Stinsford dans le Dorset, comté du sud-ouest de l’Angleterre, où son père exerce la profession de tailleur de pierre. Sa mère, lettrée, lui donne cours à domicile avant qu’il ne soit inscrit à l’école locale à l’âge de huit ans. Il arrête ses études à seize ans et devient apprenti chez un architecte local, puis part à Londres en 1862, où il étudie au King’s College. Il remporte des prix du Royal Institute of British Architects et de l’Architectural Association.
Mais ses affinités l’orientent vers la poésie latine et le grec ancien qu’il apprend en autodidacte. Il découvre également les idées de Darwin et d’Auguste Comte, lectures qui éveillent son esprit critique et le détournent définitivement de la religion. Il décide de rentrer dans son Dorset provincial cinq ans plus tard pour se consacrer à l’écriture. Très tôt, il écrit des poèmes, dont certains sont publiés trente ou quarante ans plus tard. En 1867, à son retour de Londres, il se tourne vers le roman pour essayer de vivre de sa plume.
Passées les premières difficultés, il réussit honorablement. En 1870, il rencontre sa future femme, Emma Gifford, qu’il épouse en 1874. Il publie bientôt dans des revues et des magazines. De 1871 à 1896, il écrit quinze romans et quatre recueils de nouvelles. Une demi-douzaine de grandes œuvres émergent de cette production inégale : Loin de la foule déchaînée (1874), Le Retour au pays natal (1878), Le Maire de Casterbridge (1886), Les Forestiers (1887), Tess d’Urberville (1891), Jude l’Obscur (1896).
Si Hardy est violemment critiqué pour sa noirceur, le succès est au rendez-vous. Dès 1897, son roman Tess d’Urberville est un tournant. L’ouvrage est adapté au théâtre et joué à Broadway, puis porté au cinéma dès 1913. Après le scandale déclenché par la critique radicale du mariage et de la religion qu’est Jude l’Obscur, dont les exemplaires sont vendus cachés dans du papier d’emballage, il abandonne le roman. Il se consacre alors à ce qu’il considérait comme son chef-d’œuvre, Les Dynastes (The Dynasts), vaste poème dramatique composé de trois parties, publiées respectivement en 1903, 1906 et 1908.
Sorte de Guerre et Paix en vers, l’œuvre utilise l’épopée napoléonienne pour élaborer des scènes qui présentent tantôt les conflits intimes des gens ordinaires et de personnages historiques mus par leur soif de pouvoir, tantôt des batailles qui se déroulent dans des paysages immuables et indifférents. Réputé trop difficile à mettre en scène et mal accueilli à l’époque, Les Dynastes préfigure à bien des égards le genre cinématographique mais ne bénéficie toujours pas de l’estime de la critique.
Thomas Hardy écrira, tout au long de sa carrière, près d’un millier de poèmes inégaux, dans lesquels cohabitent satire, lyrisme et méditation. Les élégies de Veteris Vestigia Flammae, écrites après la mort de sa première femme, survenue en 1912, retracent chacun des lieux qu’ils connurent ensemble. Elles forment un groupe d’une perfection rare. Thomas Hardy commence à souffrir de pleurésie en décembre 1927 et en meurt en janvier 1928 à Dorchester, après avoir dicté son tout dernier poème à son épouse et secrétaire sur son lit de mort. Les lettres du défunt et les notes qu’il a laissées sont détruites par ses exécuteurs testamentaires. Sa veuve, qui meurt en 1937, fait paraître les siennes la même année.
Le nom de Thomas Hardy fut proposé et examiné 25 fois en 26 ans pour le prix Nobel de littérature, mais fut systématiquement rejeté parce que son œuvre était jugée trop pessimiste.