Peu de cinéastes ont saisi l’âme d’une ville. Lui sont même associés, c’est comme s’ils en étaient eux-mêmes devenus un quartier, l’inévitable port d’attache de leur oeuvre. Pour New York, c’est Martin Scorsese (davantage encore que Woody Allen). La nuit noire et la folie de Taxi Driver la communauté étrange, attirante et vénéneuse des Affranchis ou de Gangs of New York.
La première image qui vient en évoquant le jeune Martin est celle d’un gamin souffreteux qui observait la vie de son quartier à sa fenêtre. Les éclats de voix d’un immeuble à l’autre, les rues remuantes et les jeunes types qui se frottaient au danger et aux petites frappes (ce qu’il montrera dans Mean streets). Lui ne trouvait refuge qu’au cinéma, bouffait des films avec une exaltation, une passion dévorante qui n’est jamais retombée. Le regard broussailleux de Scorsese, son rire qui explose, son débit généreux de mitraillette m’évoquent la cinéphilie plus que tout. Du septième art, du cinéma italien notamment, il absorbe tout.
Un temps fasciné par la religion et la spiritualité, aspect qui marquera son oeuvre (La Dernière tentation du Christ, Kundun, Silence), il va se consacrer au cinéma trouvant en Harvey Keitel son premier alter ego. Il filme la rue, les lieux où il vit, les gens qu’il a croisés, transcendant la violence de son quartier et de sa ville en la rendant poétique et âpre.
Le chemin continuera avec sa collaboration légendaire avec Robert de Niro qui incarnera comme personne et avec une expressivité menaçante et fascinante, la folie des oubliés du rêve américain (Son chauffeur de taxi et sa quête de pureté et d’ultra violence raconte avant tout quelqu’un qui ne comprend pas les usages sociaux). Avec lui il abordera tous les genres (du film de mafia au film musical, jusqu’à la reprise assez estomaquante du personnage créé par Mitchum dans Les Nerfs à vif, le film de boxe devenant peu à peu tragédie grecque dans Raging Bull).
Peu à peu Scorsese s’impose comme une incontournable référence, sera l’homme de films fastueux et somptueux (Aviator), mais ne dédaignant pas la rage des premiers temps (Les Infiltrés). L’oeuvre est protéiforme et se permet parfois de francs hommages à ses grandes références (Visconti dans Le Temps de l’innocence, Méliès dans Hugo Cabret). Martin Scorsese est de ceux qu’on aime à retrouver, tant il continue, même à un âge et une renommée plus que respectables, à développer son cinéma.
Il est un compagnon de regard dont on a plaisir à saluer l’anniversaire et dont on attend avec impatience le prochain film, The Irishman, pour Netflix où il retrouvera notamment De Niro, Al Pacino, Harvey Keitel et Joe Pesci (rien que ça !) .