[mks_dropcap sTtyle= »letter » size= »75″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]T[/mks_dropcap]rès tôt, Daniel Darc a développé une conscience aiguë que la mort, qu’il n’avait cessé de défier comme le torero encourage l’animal à le charger, ne le laisserait pas faire de vieux os. Il ne s’est pas réellement trompé : elle l’a emporté à 53 ans, lui laissant toutefois le temps de construire un oeuvre qui compte dans le corpus de la pop française.
Daniel Darc, c’est d’abord, à la fin des années 70, le leader de Taxi Girl. Avec d’autres fortes personnalités comme Mirwais et Laurent Sinclair, ce groupe que l’on pourrait aujourd’hui qualifier de synthpop adopte une trajectoire musicalement proche d’O.M.D outre-manche, éclaircissant et aérant au fur et à mesure ses morceaux électroniques tout en continuant à avoir un réel impact radiophonique. Mannequin, Cherchez Le Garçon, Quelqu’un Comme Toi et Aussi Belle Qu’une Balle sont les témoins sautillants de cette capacité à transcender la noirceur fondamentale de Darc (Dark ?), né Daniel Rozoum, en miel mélodique.
Un seul album de Taxi Girl, si l’on excepte des collections rassemblant des morceaux épars, voit le jour, en 1981 : comme son titre et celui de plusieurs chansons (Les Armées de la Nuit, Les Damnés, Avenue du Crime) l’indiquent, Seppuku ne cache rien des penchants auto-destructeurs et morbides de son parolier et le résultat, certes globalement moins tubesque que les singles, a acquis un statut de disque culte. Daniel Darc s’y met en scène sous le pseudonyme de Viviane Vog.
La légende noire de Taxi Girl s’enracine dans l’épisode bien connu du concert de 1978 au Palace à Paris, en première partie des Talking Heads, au cours duquel Daniel se taillade les veines sur scène, puis dans les tensions permanentes entre ses membres et l’abus de drogues qui le laisseront seul avec Mirwais à partir de 1983. En duo, ils publieront notamment le titre choc Paris déclaration d’amour/haine à sa ville, qui, hey mec, ne s’épelle pas P.A.R.I.S., mais M.E.R.D.E.
Après la dissolution du groupe, Daniel Darc publie cinq albums solo avant de s’éteindre, auquel il faut ajouter celui, en duo avec l’anglais francophile Bill Pritchard, réalisé en 1988, le trésor caché Parce Que. C’est Crèvecoeur, premier fruit de sa rencontre avec le musicien-producteur Frédéric Lo, qui va marquer sa véritable renaissance artistique et le replacer au centre de toutes les admirations hexagonales en 2004. Ses textes ciselés, introspectifs et mélancoliques, sa musique élégiaque et la sincérité fulgurante de son auteur en font une oeuvre qui marque durablement. Son successeur joliment titré Amours Suprêmes, toujours avec Lo, plus inégal, échoue à impressionner aussi puissamment, mais c’est comme si l’essentiel n’était déjà plus là.
Tous ceux qui ont eu la chance de le côtoyer décrivent un garçon terriblement attachant, prévenant et hypersensible. Sa vie a aussi été marquée par sa conversion au protestantisme en 1997, qu’il évoquait volontiers publiquement et qui l’a poussé à mettre en musique le Psaume 23 à la fin de Crèvecoeur. Chanteur limité techniquement, ce qui l’amenait à recourir souvent au talk-over, parolier d’une grande acuité et personnage hors norme, Daniel Darc a laissé derrière lui un double-album posthume publié le 30 septembre 2013, Chapelle Sixtine.