[mks_dropcap style= »letter » size= »75″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]J'[/mks_dropcap]ai découvert Tom Sharpe il y a une dizaine d’années à la faveur d’une visite dans une librairie, sans idée préconçue. Ce genre d’errance où, en quête de livres, vous poussez la porte d’un lieu accueillant, vous laissant simplement happer par le titre ou l’image sur une couverture, sans forcément chercher quelque chose de préconisé par un ami, une chronique lue ou l’avis du libraire. Un moment où vous vous laissez guider simplement par la curiosité, l’inconnu et qui m’a permis bien souvent de rencontrer des plumes chéries.
Je suis ce jour-là tombée sur La Route sanglante du jardinier Blott, édité chez Folio, stoppée net par la photo très drôle d’une vieille dame et le titre improbable sur la couverture.
Bingo ! J’avais déniché mon petit trésor du jour et la lecture de la 4ème de couverture me conforta dans mon choix : « Sir Giles a un siège au Parlement, un château et une femme- mais est-ce qu’on peut appeler ça une femme ? Lady Maud a un siège au carré, un château et un mari — mais est-ce qu’on peut appeler ça un mari ? Sir Giles est impuissant; Lady Maud n’est pas près d’oublier leur nuit de noces. Elle n’a rien d’une bombe sexuelle mais elle veut un héritier. Comment susciter une brise de désir chez son masochiste de mari ?« . Des personnages extravagants, improbables et la promesse d’un chaos dans une Angleterre engoncée, un programme alléchant ! Je plongeais illico dans ce roman complètement loufoque, au rythme haletant, pliée de rire de bout en bout face à cette galerie de personnages plus affreux les uns que les autres, une noblesse anglaise passée au vitriol et qui explose en plein vol pour une sombre histoire d’autoroute. Et cette improbable chute en bouquet final…. but chut !
Souvent cité comme l’héritier de P.G. Wodehouse et d’Evelyn Waugh (pour lequels Sharpe précise « Waugh et Wodehouse maniaient la rapière, mais je travaille au coupe-coupe« ) l’auteur britannique me rappela Rabelais dans ses outrances et le rire franc, parfois gras que déclenche sa lecture chez moi. Je suis ressortie secouée de cette Route sanglante, mordue par la férocité du propos et éblouie par l’imagination folle et sans limites de l’auteur. Comme il est bon (et rare !) de rire autant en lisant !
Je retournai donc dans ma librairie mais cette fois-ci directement à la lettre S des rayons « poche » pour sa voir si cette Route sanglante n’était qu’un coup d’éclat ou si l’auteur avait nourri son génie caustique dans d’autres romans. Pour mon plus grand bonheur, je retrouvais les mêmes ingrédients de ce cocktail explosif dans Le Bâtard récalcitrant, Quelle famille !, Le Gang des mégères inapprivoisées ou Comment kidnapper un mari quand on n’a rien pour plaire et la série des cinq savoureux Wilt qui l’a rendu populaire (grâce à son personnage de professeur fade et loser à qui il arrive les pires ennuis) et qui lui a permis de vivre de sa plume dans les années 70. Dans cette série, la lecture seule des titres français est un vrai bonheur et un pur moment de poésie : Wilt 1 ou Comment se sortir d’une poupée gonflable et de beaucoup d’autres ennuis encore, Wilt 2 ou Comment se débarrasser d’un crocodile, de terroristes et d’une jeune fille au pair, Wilt prend son pied, Wilt 4 ou Comment échapper à sa femme et ses quadruplées en épousant une théorie marxiste, Wilt 5 ou Comment enseigner l’histoire à un ado dégénéré en repoussant les assauts d’une nymphomane alcoolique.
Fort heureusement pour moi, je ne suis pas encore venue à bout de son œuvre foisonnante que je déguste avec parcimonie d’abord parce qu’avaler un roman de Tom Sharpe, c’est comme se prendre une grosse tarte à la crème en pleine tronche donc gare à l’écœurement si vous enchaînez ses romans, mais aussi parce que l’auteur a laissé ses nombreux fans orphelins en 2013, à l’âge de 85 ans, en toute discrétion depuis sa retraite basée en Espagne. Aussi, je me garde un peu de ce précieux antidote à la mélancolie et à la morosité sous le coude. Je sais que, pour ne citer qu’eux, Mêlée ouverte au Zoulouland ou Outrage public à la pudeur, inspirés de ses années passées en Afrique du Sud, n’attendent que moi sur le rayonnage d’une librairie, au hasard d’un de mes passages. Vivement !