[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]I[/mks_dropcap]l a longtemps porté un casque à cornes de viking et une cape à capuche de moine. Moondog (1916 – 1999), de son vrai nom Louis Thomas Hardin, était aveugle et sans domicile fixe. Des fifties aux débuts des seventies, il a joué ses compositions sur de petites percussions dans les rues de New York. Il faisait aussi la manche en vendant ses textes poétiques. La création était une question de survie pour lui.
Outre l’accoutrement, ce sont ses compositions qui captaient l’attention : des rythmes pas simples aux métriques impaires. Charlie Parker aurait aimé enregistrer avec lui. Les deux grandes figures de la musique minimaliste répétitive américaine Philip Glass et Steve Reich le considéraient comme une importante source d’inspiration. Philip Glass l’hébergea même environ six mois en 1968/1969. Janis Joplin reprit son « All is loneliness »… Une « légende urbaine », littéralement, ce Moondog.
1974, plus de Moondog à New York. On le croyait mort. Il était en fait exilé en Europe. Il jouait dans les rues de Francfort lorsque Ilona Goebel le rencontra. Elle devint un soutien indéfectible, pour lui trouver des dates de concerts, dans ses démarches auprès des maisons de disques et pour transcrire ses partitions en braille. Étrange destinée encore après sa mort, Moondog atteignit les oreilles du grand public sans vraiment être identifié. Son titre le plus fameux, « Bird’s Lament » fut samplé par Mr Scruff pour donner « Get a move on » publié par Ninja Tune en 2001. Horreur économique, ce remix a été utilisé pour des pubs pour des bagnoles (Volvo et Lincoln), pour France Télécom, pour l’assureur Geico… Le thème « Sea Horse » pour la Ford Fiesta break en 2011. C’est assez « cocasse », disons, car Moondog vécut avec très peu de moyens.
L’essentiel pour lui : être chichement logé, avoir de quoi manger, pouvoir composer et trouver de bons livres en braille. La musique de Moondog est relativement connue, sa biographie aussi notamment depuis la publication de Moondog par Amaury Cornut aux éditions Le mot et le reste. Sa poésie beaucoup moins.
Ces 50 couplets ont été précédemment publiés dans la revue La Barque (n° 6/7), traduits par Marie-Hélène Estève, avec la participation de Benoît Gréan. Les éditions Lenka Lente les rééditent dans ce recueil bilingue 50 couplets. Les traductions ne pouvaient être littérales. Concernant la forme, ce sont de très courts poèmes, des « distiques », c’est à dire la réunion de deux vers formant une unité sémantique. On y retrouve le grand rythmicien Moondog, ici maître de l’heptamètre iambique. On entend pratiquement sa voix proférant une sentence comme parfois sur ses disques.
Deux couplets et leur traduction extraits du recueil :
« A snowflake settled on my hand and said, as if in fear, I must be on my way before I turn into a tear. ».
« Un flocon tomba sur ma main et dit avec terreur : « il faut que je m’en aille avant de me changer en pleur. »
« The treasure fleet which sank in stormy seas, so long ago,
has had no marked effect on fish economy, below. »
« L’armada chargée de lingots qui coula par le fond
n’a pas marqué l’économie du monde des poissons. »
Passer d’une langue à une autre en restituant l’esprit et la forme est un art. Beaucoup de ses couplets, ou distiques, ont une portée critique vis à vis du capitalisme et peuvent être affiliés à une pensée animiste. Moondog a souvent été considéré comme un précurseur du minimalisme en musique, chose qu’il repoussait modestement. On pourrait aussi bien faire de lui un pionnier de l’altermondialisme et de la décroissance.
50 couplets de Moondog traduits par Marie-Hélène Estève, avec la participation de Benoît Gréan est édité chez Lenka Lente.