Freddie Mercury.
D’abord une image. Des images. Celle de la prestation insolente du Live Aid de Wembley en 1985, cet homme bondissant et exultant de la joie d’être là à savourer son triomphe. D’avoir des dizaines de milliers de gens pendus à ses gestes de danseur étoile, en dirigeant le chant comme un chef d’orchestre facétieux. Cet homme qui a composé à lui seul l’une des chansons les plus ambitieuses de la musique populaire avec Bohemian Rhapsody. Cet incroyable mégalo qui a porté le rock à sa dimension opératique la plus pure. Cet hédoniste attachant à l’humour permanent et à l’ironie saillante qui savait assumer superbement toutes ses outrances.
Et cette incroyable voix qui couvre tout le spectre. D’un beau baryton grave (I’m Going Slightly Mad) à la dimension féminine et gracieuse d’une chanteuse de gospel (Somebody to Love). La voix d’un génie, inimitable, à la démesure admirable, au registre unique, jusqu’au bout du falsetto. Capable d’épouser tous les genres, du Heavy Metal le plus pur (Stone Cold Crazy) au cabaret le plus traditionnel (My Melancholy Blues ou Dreamer’s Ball). De la farce (Bicycle Race) à la mélancolie profonde (Save Me), jusqu’à l’optimisme résolu devant la beauté du monde (The Miracle). La prétention et le complexe de supériorité absolument scandaleux, l’emphase presque parodique, insolente (We Are The Champions).
Il est en plus de la voix des hymnes, celle de l’intimité, celle de la nostalgie déchirante des pays de l’enfance que l’on a désertés (These are The Days of Our Lives), l’adieu si pudique, aux portes de la mort qui ne l’a finalement jamais vaincu dans l’art ou les mémoires (The Show Must Go On). Freddie Mercury, incontournable figure de proue du groupe Queen dont on célébrera l’existence dans un film à sa gloire (espérons qu’il ne sera pas trop respectueux, qu’on ne le rendra pas trop lisse et ennuyeux, sa seule consigne à ceux qui allaient s’occuper de sa postérité: « ne me rendez jamais ennuyeux »).
Il était bien davantage encore. Lui, l’explorateur de toutes les limites, les outrepassant allègrement (son disque solo avec Montserrat Caballe qui fit tant causer dans les milieux de la musique classique si conservateurs). Lui, l’un des précurseurs des concerts géants et des clips vidéos. Lui, dont on avait la voix gravée dans l’âme même bien avant de le connaître. Lui, dont on aime la liberté et l’indépendance artistique, la nonchalance si admirable, le sens de la provocation et l’exigence absolue.
Et puis, la première fois sans doute que j’ai compris comment on devait se comporter devant la douleur et la mort. Ne pas perdre de temps. Ne pas se plaindre et se perdre en paroles, en dire le moins possible. Et continuer. Se vouer corps et âme à sa passion car le temps est compté et qu’on se doit d’être disponible à son talent et à rien d’autre, pendant qu’on en a encore le souffle. Freddie, c’est vivre jusqu’au bout et ne pas s’attarder sur tout ce qui nous abat, sur ce qui nous ronge. S’en foutre et avancer comme ce merveilleux train lancé à toute vitesse où le groupe interprète Breakthru dans un clip, avec une énergie et un entrain qui rendrait le sourire au dernier des mauvais coucheurs. Avec cette superbe, cette hargne et ce sourire qui, immanquablement et jusqu’au bout aura guidé ses pas d’artiste.
Je pense à lui comme j’évoquerai un ami cher qui n’a cessé de m’aider à vivre, dont la voix m’a tiré des silences les plus lourds, dont l’attitude m’a bien souvent servi d’exemple. J’en parle comme de quelqu’un que j’aime et j’admire profondément. J’en parle comme celui dont la disparition en 1991 m’a tiré de l’enfance. Comme de quelqu’un avec qui j’ai des souvenirs et que je n’ai jamais croisé. J’en parle comme d’un compagnon qui m’a toujours donné du courage. J’en parle comme l’un des plus grands chanteurs qui soit. Jusqu’à le suivre au bord du Lac Léman, en songeant à la quiétude de ses derniers moments à Montreux en écoutant A Winter’s Tale. J’en parle, étrangement, comme de quelqu’un que j’aurais connu et qui m’aurait connu. Comme à chaque fois qu’un artiste nous touche et a su nous trouver. J’en parle comme s’il était l’un des miens.
J’ai bien envie de lui dire qu’aujourd’hui, je pense à lui,
que je le remercie pour tout.
Et que je lui souhaite un bel anniversaire.