Je me souviens d’un petit délire potache que nous avions concocté avec les membres de mon ancien groupe. L’envie de s’essayer à une expérience plus noisy. Un ami, friand de shoegaze, venu pour l’occasion nous prêter main forte. Cinq mecs gentiment allumés dans mon appartement un Samedi après-midi. Volume des amplis poussé à la limite du tolérable, pédales d’effets et autres tuyauteries jonchées sur le parquet. Les murs qui tremblent et la moitié du quartier se demandant encore (pour ceux qui ont survécu) pourquoi un escadron d’avions de chasse était venu dans le secteur .
L’esprit est là et ce n’est pas les new-yorkais du groupe A Place To Bury Strangers (APTBS pour les intimes) qui me contrediront. Il est d’ailleurs peu probable que ces derniers viennent un jour se pencher sur la présente prose les concernant.
On connait chez ces adeptes du « nu gaze » cette auto proclamation non exagérée de groupe le plus bruyant de la grosse pomme, NYC qui en la matière n’a jamais été dépourvue de joyeux drilles inspirés par les décibels.
On connait aussi leur talent à user des distorsions, delay, fuzz et autres subtilités propres au genre.
Reste à savoir ce que le cru 2015 nous réserve. Un titre énigmatique Transfixiation qui par néologisme évoque autant une nouvelle drogue dure à la mode qu’un concept mutant sorti d’un manga hardcore.
La pochette est d’une dominance abstraite, un rose criard peu révélateur du contenu.
A la première écoute, on retrouve la mouvance futuriste amorcée par Worship (2012) mais avec le nouvel arrivant la destruction des éléments est poussée à l’extrême. Les expérimentations audacieuses se teignent d’un décapage lugubre et fougueux.
On apprend alors que derrière la batterie exit Joy Space, c’est désormais Robi Gonzalez qui se charge des fûts. A ce titre, la rythmique est convulsive. Tempo qui transporte le chant quasi maladif d’Olivier Ackermann. Retour alors des guitares grippées pour être raccord. A l’épicentre de ce séisme, les habituelles dissonances grinçantes.
Straight, titre bagarreur … Ses saccades noires et ses électrons bruyants à souhait. S’y mêle une basse lourde et vibrante (celle de Dion Luadon) comme si Julian Casablancas & The Voidz avait ouvert la porte du Death by Audio histoire de faire des émules … En pire ! Une claque illustrée par un clip aussi trituré que sujet au malaise épileptique.
Le mur du son est en place, le précurseur Kevin Shields peut applaudir à tout rompre du haut de son perchoir. Les larsens jaillissent et écorchent nos tympans.
S’il fallait trouver une métaphore au spectacle auditif qui se décline, souvenez-vous jadis lorsque les piles du transistor de votre aïeul rendirent l’âme. Ce dernier poussait alors le volume. Les baffles qui crachaient alors comme jamais. Ce sourire complice entre vous et lui. Être en phase avec la matière vivante.
APTBS expulse son venin. Si l’on n’est pas encore sourd ou atteint d’acouphènes après What We Don’t See, c’est que le vacarme hallucinant nous a tous aveuglé.
Arrive alors le morceau de bravoure du nouvel opus. Deeper … C’est dérangeant mais les crissements exaltent les sens. Un peu masochiste on redemande la descente dans ce monde englouti. Des méandres emplis de craquements. Pas loin du rock apocalyptique de The Horrors (chant d’outre-tombe y compris)
Sur le reste de l’album, pas de pause pour les watts balancées à toute berzingue mais la preuve aussi que derrière ce barouf, APTBS n’occulte pas les constructions plus audibles. C’est sans doute la qualité cet album certes nerveux mais non dépourvu de trésors cachés … Je le concède, des pépites souvent noyées dans un bouillonnement abondant.
Remplir les vides et rompre le silence. A Brooklyn, inutile de vous dire qui sont les rois du tapage.