Août 2017. Chorégies d’Orange.
[mks_dropcap style= »letter » size= »52″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]C[/mks_dropcap]ette année la ville d’Orange clôturait ses Chorégies avec la représentation de l’opéra Aïda de Giuseppe Verdi.
Aïda c’est l’histoire d’une esclave éthiopienne amoureuse d’un général égyptien (d’un amour réciproque) Radamès. Ce dernier a été élu pour diriger les troupes égyptiennes dans la guerre contre les éthiopiens. Autrement dit, il va combattre l’armée d’Amonasro, roi d’Éthiopie et père de celle qu’il aime. En récompense de sa victoire, le roi d’Égypte offre à Radamès la main de sa fille Amneris, elle-même très éprise de ce valeureux chef d’armée. Aïda se retrouve rivale avec sa maîtresse Amneris qui s’annonce légitime puisque fille du pharaon. Radamès, lors d’un rendez-vous secret avec sa belle Aïda, lui dévoile des secrets militaires afin que tous deux puissent fuir et échapper aux armées ennemies. Pour avoir trahi les siens, il sera condamné à être enseveli vivant. Amnéris l’implore de reconnaître son parjure afin de lui sauver la vie mais le général assume son destin et accepte la sentence. Dans sa tombe, il retrouve Aïda, cachée, venue mourir dans ses bras, par amour pour lui.
Le nouveau directeur des Chorégies, Jean Louis Grinda, avait confié la mise en scène à Paul-Emile Fourny, artiste prolifique, directeur de l’opéra de Metz et habitué des lieux. Le décor s’articulait autour de pyramides, d’un Anubis majestueux et d’un temple s’apparentant à celui d’Edfou. Tous étant avancés, déplacés, remis grâce à leur socle mobile. Au fond de la scène s’élèvaient deux immenses toiles présentant les corps de deux amants, unis dans leur tombe pour l’éternité.
Pour incarner ces personnages emblématiques, il fallait s’entourer des meilleurs. D’autant plus que la météo était peu favorable aux chanteurs : un temps insupportablement lourd et la venue du mistral n’ont pas facilité la portée des voix.
Le ténor Marcelo Alvarez incarnait Radamès, le général égyptien victorieux. Habitué des plus grands rôles de l’opéra (Alfredo, Traviata ; Manrico, Il Trovatore, Roméo, Roméo et Juliette) et des plus prestigieuses scènes lyriques, sa puissance vocale était à l’aune de sa prestance scénique.
Le rôle d’Aïda était interprété par Elena O’Connor, jeune soprano qui a relevé le triple défi de remplacer Sondra Radvanovsky – la chanteuse initialement prévue mais excusée pour cause d’immense fatigue, d’incarner pour la première fois le rôle phare et enfin de faire ses débuts sur la scène d’Orange… que l’on sait ô combien exigeante (snob et intransigeante ? Comme vous y allez …). Sa performance a été modestement acclamée par le public. Son ample vibrato n’a pas satisfait tout le monde.
Pour ma part, j’ai été conquise. Entendre cette force vocale sortant d’un corps aux allures si frêles mêlée avec l’émotion d’un personnage tiraillé entre sa patrie et son amour dévastateur m’a remplie de frissons.
Anita Rachvelishvili, la soprano géorgienne qui a fait d’Amneris un personnage irradiant, a embrasé les gradins de pierre. Sa prestance, son élégance de posture, sa voix, l’émotion qu’elle dégageait … tout en elle incarnait son personnage. Elle ÉTAIT Amneris au plus profond de sa chair. La reconnaissance du public s’est montrée à la hauteur de son charisme.
Il était d’autant plus difficile pour la novice Elena O’Connor de rivaliser avec cet astre lyrique.
D’autres étoiles scintillaient ce soir-là. Celles des yeux des quelques milliers de chanceux venus assister à la représentation, celles de mon cœur ne se lassant pas d’une si grande beauté de lieu, de chants, de costumes, de « majesté du moment » : ce nectar si précieux que je déguste chaque été… et surtout les plus belles, accompagnées de leur instrument et dirigées par Paolo Arrivabeni.
L’Opéra National de France, les Chœurs des Opéras d’Angers-Nantes, Avignon, Monte-Carlo et Toulon, les Ballets des Opéras d’Avignon et Metz se sont accordés pour nous en mettre plein les yeux, le cœur et les oreilles.
Aïda est un opéra populaire. Présenté cette année au Stade de France, il bénéficie de l’adhésion d’un large public, probablement davantage fasciné par l’ampleur du grandiose que par la finesse du style. On ne va pas voir « l’opéra Aïda » mais assister au « spectacle ». Au chant lyrique se mêlent la danse, les ballets, les déplacements de groupes. C’est un show complet. D’où peut-être un public moins silencieux que d’habitude, se laissant aller à des applaudissements un peu trop fréquents, tardant à s’installer alors que la représentation a commencé …
Cette dernière représentation du festival des Chorégies d’Orange annonce déjà le virage entrepris par la nouvelle direction : adouber un public plus jeune grâce à des choix plus éclectiques, plus novateurs, moins « bourgeoise coincée ». 2018 marquera l’annonce d’un Faust moderne avec Mefistofele. L’orchestre sera dirigé par une femme, grande première aux Chorégies.
Les Chorégies entreraient-elles dans le modernisme ? Réponse, l’année prochaine !