Parmi toutes les sorties de la rentrée, de Blonde Redhead à Slowdive, de Bruit Noir à Blut Aus Nord, pour ne citer que les plus attendues, il en est une qui, à mon grand désespoir, risque de passer ici totalement inaperçu : Rudy, la nouvelle et somptueuse B.O d’Akira Kosemura. Au cas où vous ne le connaîtriez pas, Kosemura est un compositeur Japonais, dont la renommée est presque aussi imposante en tant que patron du label Schole Records, fondé en 2007 alors qu’il n’avait que 22 ans, et pour lequel deux chroniques sont parues sur ce site (Quentin Sirjacq + Dakota Suite) que musicien.
Pourtant, depuis 2007, l’homme a sorti, sur Schole Records, pléthore d’albums, près d’une trentaine, et commence malgré tout à acquérir un certain prestige auprès de ses pairs (pour preuve, Kosemura vient de publier avec Seasons, son premier disque sur le grand label classique Decca). Parmi cette trentaine d’album, étrangement, il n’est jamais aussi passionnant et impressionnant que quand il s’attaque aux B.O, que ce soit pour les films (le très beau score pour True Mothers) ou, mieux encore, pour les jeux vidéos (Jack Jeanne est une véritable merveille, dans lequel il laisse libre court à toute sa créativité et parcourt tous les genres, classique, jazz, ambient, pop, experimental, avec une aisance sidérante).
Rudy, l’album qui nous occupe ce jour, ne déroge pas à cette règle. En trente et une vignettes, et à peine plus de 45 minutes, Kosemura suit le parcours de Rudy, adolescente introvertie qui, suite à une décision familiale radicale, va s’ouvrir peu à peu aux autres. Pour ce faire, Kosemura va revenir à son instrument de prédilection : le piano. A travers ce score, il va porter Rudy dans son cheminement, entre tristesse, nostalgie, effroi et délivrance. Celui-ci se fera au travers de courtes pièces, d’une trentaine de secondes pour la plupart, soutenues par quelques nappes synthétiques voire quelques effets à la Aphex Twin (Stolen). Des pièces parfois incomplètes, rattrapées par le silence (Cherished, Connecting, Tiny Hands, Butterflies), qui s’impose et s’étire entre chaque note.
C’est ce silence qui va vraiment imposer sa cadence en première partie, omniprésent, comme un souffle de vie, dans une tonalité triste, voire mélancolique (le superbe Coventry dans lequel le phrasé tout en délicatesse de Kosemura se marie parfaitement aux nappes synthétiques). A cette tristesse, viendra s’ajouter, par petites touches, une sourde angoisse (Inner Storm, Stolen, Womanhood, Incandescent) qui culminera lors d’un Lost oppressant, dans lequel tout se brouille à mesure que le morceau avance. Là, aucune mélancolie, aucune mélodie à laquelle se raccrocher, rien, juste un effroi, une peur qui va crescendo jusqu’à la perte de contrôle.
C’est à partir de cet instant que tout bascule, que le score va tendre à s’apaiser. Nan, en reprenant certains éléments de Lost, apportera un éclairage plus doux, moins mélancolique, comme si Rudy retrouvait peu à peu ses esprits. La dissonance sera toujours présente, la tension reviendra par moment (Red Coat), mais le piano reprendra sa place initiale, centrale, notamment avec le climax qu’est Escape, remarquable, qui vous remue les tripes dès les premières mesures. La suite, du moins les derniers morceaux, revêt un habit à la fois triste et apaisé, poignant dans sa simplicité et ses silences(Leaving You) ou simplement beau (le crescendo apaisé de Looking In The Same Direction).
Aussi, comme vous l’avez compris tout au long de cette chronique, le grand talent de Kosemura sera non pas d’illustrer sagement le film qu’il soutient mais, en créant sa propre narration (le fait de parsemer certaines compositions, en les réarrangeant, tout au long du score, lui apportant ainsi une parfaite cohérence), de nous laisser élaborer notre propre film, de l’imaginer sensible, délicat, touchant. Et surtout de nous donner l’envie de vérifier si notre vision coïncide bien avec celle de la réalisatrice Shona Auerbach. Ce qui reste peut-être la plus belle performance de cette superbe bande originale.
Akira Kosemura · Rudy
Schole Records – 15 septembre 2023