[mks_dropcap style= »letter » size= »50″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#003687″]I[/mks_dropcap]l y a des livres qui relatent une expérience chamanique, qui puisent l’énergie en même temps qu’elle la révèle. Mais rares sont ceux, à l’instar de Kate Tempest, qui sont capables de nous la faire vivre aussi intensément.
Ouvrir L’Albatros de Nicolas Houguet c’est vivre cette transe spirituelle.
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La ferveur. L’intensité. La sueur. L’extase.
Le festin nu.
Plus de bien, plus de mal.
Il ne reste plus rien de ce qu’on n’est pas.
On est en dehors de la société. Une grande évasion collective.
Il ne reste que nous.
Et l’énergie qui auréole nos grands sourires.
L’écho assourdissant de nos cris de gratitude.
Le premier matin d’un nouveau monde.
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Le 20 octobre 2015, Nicolas Houguet prend place dans la salle du concert qui changera sa vie. Qui le révélera à lui-même.
Patti Smith. 68 ans. Le magnétisme d’une voix, d’une chevelure et le charisme envoûtant. Dans la pénombre de ce lieu, il y a celle qu’il a aimée follement. À s’en bousculer le cœur et le corps. Celle pour qui il aura ignoré les douleurs d’un corps qui empêche. E. l’a quitté. Patti Smith est leur commun. Alors au milieu de la foule, compacte, qui se déhanche, qui crie au rythme de la voix de la prêtresse, Nicolas se souvient. Et dans une fureur salvatrice, il libère tout. Ses mouvements trop souvent retenus et sa plume fulgurante. Commençant par E., leur histoire. Puis peu à peu sa vie, son enfance, ses fondements.
Chaque morceau joué est une porte ouverte sur sa vie. Mis à nu. Il plonge. Il pensait assister à un concert, peut-être fermer le chapitre de leur amour déchu, il se retrouve à composer l’album d’une vie. La sienne. Patti et lui se répondent. Se confondent. Dansent ensemble autour du feu. Convoquent ceux qu’ils ont aimé et qu’ils aiment. Les disparus, les absences tenaces, les deuils. Les essentiels d’une vie. Les poètes. Les artistes. En un mot : les passeurs.
On a bien des maux et des orages à traverser. Souvent, à déchaîner les drames, on oublie simplement qu’on est mortels. La vie, on ne la prévoit jamais comme elle s’écoule, comme on la ressent, comme on la rencontre. Bien souvent il y a un immense décalage entre ce qu’on croyait et ce qu’on a vu, ce qu’on a vécu. C’est peut-être dans ces déceptions qu’on devient intéressant. Pas dans l’étoffe des songes mais dans la manière dont ils nous ont trahis. Dans la mort que l’on se s’attendait pas à rencontrer sur la plage.
On observe dans un premier temps ce qui se déploie devant nos yeux. L’harmonie, l’effervescence, la chaleur, la mélancolie. Et vient un moment où nous participons nous aussi à cette danse. Happés. Rien ne sert de résister. Nous sommes emportés par la fulgurance des mots. Par leur musique. Nicolas Houguet à travers Patti Smith crée son propre univers, sa propre intensité. Son propre recueil. À eux : cette famille bienveillante, soudée. Ce père, inébranlable, prêt à tout pour rendre doux le quotidien de son fils. La pudeur de ses relations avec son frère. Fragiles et fortes à la fois. Cette mère qui lui a donné le goût de l’art. L’art présent partout autour de lui. L’art qui sauve une âme, une vie. Qui parvient à atténuer les douleurs. La musique, rock, punk, classique, française. Le cinéma. La littérature et la poésie qui puisent dans nos silences, disent les mots bloqués au fond de nos gorges, nous évadent. Nous offrent une porte de sortie.
Peu à peu lors de ce concert, ce n’est plus seulement Patti Smith qui est le centre mais tout ceux et ce qui ont un jour forgé l’homme qu’est aujourd’hui l’écrivain de ce livre. De Baudelaire à Jim Morrison, de Woody Allen à Sigolène Vinson en passant par ses proches et en poursuivant avec Beethoven ou encore Mozart. Des premières amours aux premiers voyages. Des inconnu(e)s croisé(e)s aux amis de longues dates. Ces souvenirs et ces rencontres qui lui ont fait tout encaisser. Le beau comme le douloureux et qui ont été aussi un pas, vers l’écriture. Nécessaire pour respirer.
Écrire.
Écrire en permanence, même quand on n’écrit pas. Pour tenir le choc. Pour ne pas abandonner. Pour encaisser. Se souvenir des livres qui nous ont inspirés, qui nous ont grandis, qui nous ont même parfois tirés de la léthargie et de la détresse des grands chagrins. Se souvenirs des pages que l’on tournait d’une molle et exsangue. Des mirages littéraires qui nous ranimés comme des sorties de coma. Nous ont empêchés d’enjamber le parapet au-dessus d’un fleuve rendu noir et moiré par une nuit sans étoiles.
Et L’Albatros c’est cette écriture. Celle qui fouille au plus profond de ce qui nous constitue. Qui permet de se libérer de nos chaînes. De se comprendre, de s’interroger. D’avancer. C’est en cela que ce livre est une transe spirituelle car tout personnel qu’il est, il s’adresse à chacun d’entre nous. Comme d’autres avant lui, il y a cette notion du « je » universel. Qui secoue. Embrase. Bouleverse. Rend ivre. Fait naître. Rend libre. Et sublime.