[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]A[/mks_dropcap]lors que l’hiver s’installe déjà en novembre, courez voir cette pièce qui vous redonnera le sourire, voire qui vous fera rire, avec un thème contemporain et complexe au départ. C’était un pari difficile sur le papier de présenter un spectacle ludique sur l’argent, une «anti-tragédie de la dette», et la compagnie ADA-Théâtre relève le défi haut la main !
Partir d’un thème aussi rébarbatif que le système monétaire et la dette, qui ne suscite qu’angoisse et incompréhension, et le rendre non seulement pédagogique mais drôle, c’est dire toute l’audace de cette troupe emmenée par Judith Bernard. On s’amuse, on apprend, on dédramatise en restant optimiste sur un avenir meilleur. Que des bonnes ondes !
La pièce commence par lever l’inhibition qui nous tient médusés devant l’horreur de l’argent. C’est là la grande force du projet théâtral : par le rire, nous montrer concrètement comment tout cela fonctionne, pour mieux démonter les mécanismes de cette machine folle lâchée en pleine nature, et surtout proposer une alternative pour contrer ce fléau. Car ce que les humains ont fait, ils peuvent le défaire, pour le faire autrement. Cela suppose un peu d’imagination, le goût de la transformation, la joie de l’émancipation, et le plateau de théâtre est le terrain de jeu idéal pour ça.
Et c’est par le jeu, en expliquant comment en changer les règles que la troupe démonte un système absurde mais pas irréversible.
Pour preuve, le titre de la pièce : Amargi ! Un mot qui, 2 000 ans avant notre ère, en Mésopotamie, signifiait l’annulation de toutes les dettes.
La construction de la pièce en 3 actes est des plus réussies. On entre dans le vif du sujet par le rire avec une question toute simple : comment ça va avec l’argent ?
Question indiscrète à laquelle nul n’a envie de répondre… Tout de suite, le sentiment de l’obscène vient plonger chacun dans un déni mi courtois mi coupable.
Nous suivons le parcours de l’Endettée, à qui on explique la fabrique de la monnaie par l’emprunt auprès des banques privées. C’est une bonne entrée en matière car chacun fait le lien avec sa propre histoire personnelle et s’y retrouve d’une façon ou d’une autre.
Attention je le répète : si la trajectoire de la pièce est didactique, voire pédagogique dans les explications de notre système, on rit beaucoup car le ton est résolument de pousser tout cela à son paroxysme pour montrer toute l’étendue de la supercherie.
[mks_pullquote align= »left » width= »300″ size= »26″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]La politique monétaire apparaît absurde, cynique, on passe de l’étonnement à la nausée, puis à la question comment avons-nous pu en arriver là ?[/mks_pullquote]
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]L'[/mks_dropcap]acte 2 propose très logiquement un petit retour historique, à la recherche des origines de la dette et de la monnaie : quelques moments-clés sont incarnés, depuis les monnaies sociales des sociétés primitives, jusqu’aux emprunts russes du début du XXème siècle, en passant par le capitalisme naissant de la Renaissance italienne, et les assignats de la Révolution française.
L’énigme «Amargi» est résolue dès l’épisode mésopotamien : on y découvre comment la civilisation sumérienne avait inventé la monnaie, le crédit, la dette et son antidote : «Amargi». Peu à peu, on comprend comment l’étau des politiques monétaires s’est formé au fil des siècles.
Rassurez-vous, l’acte 3 ouvre une fenêtre vers l’avenir : comment en sortir ? Nous voici propulsés dans une société future qui a pu échapper à la dette. Le «salaire à vie» y règne, et comme une douceur de vivre dans un monde qui n’est plus intégralement condamné à la course à l’argent à n’importe quel prix. Une utopie ? Si oui, elle est concrète, et suppose des combats qu’il faut livrer dès à présent.
Tout l’enjeu est de dédramatiser par le jeu. La scénographie s’amuse avec la figure du cercle (cerceaux, balles) pour nous faire comprendre comment tout cela circule, et joue aussi avec un autre élément, l’ardoise comme matière. Avoir une ardoise, c’est être débiteur bien sûr, mais dans quelle mesure, dans notre société hantée par la dette, une ardoise ça s’efface ?
Les gouvernements européens contemporains, complices des banques, nous rabâchent la même certitude, celle qu’il faut payer impérativement et à n’importe quel prix (humain, social). Or, il n’en a pas toujours été ainsi…
C’est l’intérêt de la pièce : montrer que d’autres approches de la dette ont été expérimentées, avec succès : «Amargi» est le mot sumérien qui voulait dire «Liberté».
Alors, on efface tout et on recommence ?
Amargi ! de Judith Bernard et la Cie Ada-Théâtre
jusqu’au 4 décembre à la Manufacture des Abbesses (7, rue Véron, Paris 18e)
Reprise exceptionnelle du 02 au 24 janvier 2017
jeudi, vendredi, samedi à 21 heures, dimanche à 17 heures
Durée du spectacle : 1h20
Réservations : Manufacture des Abbesses