[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]V[/mks_dropcap]oici le retour d’Antoine Choplin, ce grand écrivain si besogneux et discret avec Quelques jours dans la vie de Tomas Kusar, édité comme à l’accoutumée chez La Fosse aux Ours, deux ans à peine après la parution de son livre précédent Une forêt d’arbres creux.
Tomas Kusar est un modeste garde-barrière à Trutnov, en Tchécoslovaquie, qui assiste un soir à une représentation théâtrale avortée. Au bout de quelques scènes, la pièce est chahutée par quelques individus imbibés peu enclins à écouter la représentation et s’ouvrir à la culture. Le soir même, il rencontre le metteur en scène et lui fait part avec ses mots de ses impressions. Il s’agit de Vaclav Havel, le célèbre dramaturge qui deviendra plus tard le président de la République Tchèque. Mais cela nous ne le savons pas encore, car l’homme de théâtre écoute avec bienveillance notre homme. Tomas n’a pas forcément tous les idiomes techniques pour expliquer ce qu’il a ressenti devant la pièce, comme pourrait le faire un critique littéraire qui analyserait le moindre détail pour noter la singularité et la placer dans une performance artistique. Les mots simples du jeune homme sont spontanés et vrais, ce qui aux yeux du metteur en scène n’a pas de prix car il sont sincères et personnels.
Tomas est aussi photographe amateur à ses heures perdues. Se sentant écouté et mis en confiance par le dramaturge qui a pris le temps de l’écouter, il se dit qu’il pourrait se permettre de présenter pour la première fois son travail à un artiste. Tomas vient juste d’intégrer son travail de garde-barrière, rythmé par le passage des trains de marchandises, et invite donc Vaclav à venir le voir quand il le souhaite.
Puis les rencontres se font plus fréquentes jusqu’à prendre un tour inattendu, celui de la clandestinité et de la résistance…
Antoine Choplin façonne un peu plus encore une œuvre singulière, ce dernier opus ne déroge pas à la règle du minimalisme : la sobriété, suggérer plutôt que décrire, laisser la place au lecteur de décoder entre les lignes ce que veut nous délivrer le narrateur.
On se moque bien de savoir si cette rencontre entre ce garde-barrière et le célèbre dramaturge a bien eu lieu, après tout pourquoi pas, on peut en tout cas se permettre d’y croire, tant cette relation entre les deux hommes est magnifique. Chacun semble avoir trouvé un alter ego, les dialogues entre les deux hommes circulent dans les deux sens. Vaclav Havel était un homme si simple et abordable. Le roman délivre une magnifique amitié provoquée par le hasard de la vie qui se construit grâce à une confiance et une écoute réciproque.
Tomas devient à ses dépends un héros ordinaire en s’enrôlant dans une situation qui le dépasse, une résistance qui ne dit pas son nom tout de suite, et qui lui vaut d’ailleurs des mises en garde… Puis il saisit très vite l’importance de son rôle dans l’organisation et pose un regard admiratif sur son ami metteur en scène. La situation demande alors une vigilance de tous les instants.
Antoine Choplin rend hommage en filigrane à tous ces anonymes qui un jour ont pris leur destin en main, et qui ont choisi de rejoindre d’autres personnes pour s’unir et renverser un ordre établi qui les opprimait.
Quelques jours dans la vie de Tomas Kusar d’Antoine Choplin aux éditions de La Fosse aux Ours, janvier 2017.