[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]E[/mks_dropcap]n ce dimanche 11 novembre, si vous n’aviez pas le cœur à commémorer le centenaire de l’armistice, St Lô, via Au Hasard Des Rues, vous proposait un programme tout autre, à la fois sportif de haut niveau (balade sur les remparts en présence d’un guide et d’une tablette capricieuse) et musical (la présence de Pan American après la balade). Sur le papier, la programmation semblait idéale. Semblait. Parce que, le matin même, si vous regardiez par la fenêtre, l’enthousiasme initial prenait une douche à l’image de la météo locale. Mais, mais, mais… c’était sans compter sur les incantations vaudoues ainsi que les rites sacrificiels de licornes (emblème de St Lô faut-il le rappeler), mis en œuvre par l’attaché à la culture de St Lô, qui permirent à une petite centaine de personnes de se retrouver à 15 h sous des cieux d’une exceptionnelle clémence.
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]A[/mks_dropcap]près la balade, direction la mairie, sa salle du conseil et des mariages pour le concert de Mark Nelson aka Pan American. Pour situer un peu le personnage, Mark Nelson c’est le tiers des mythiques Labradford, la moitié d’Anjou et la totalité de Pan American soit le meilleur de l’ambient américaine actuellement en activité.
Le concert se déroule donc sur deux salles, l’une accueillant Nelson, son ordinateur, ses pédales d’effet, sa guitare, des enceintes ainsi que quelques fans prêts à perdre l’usage d’une voire deux oreilles (la salle du conseil), l’autre les chaises, les transats, permettant de profiter au mieux de la configuration sonore sans pour autant devenir sourd au bout de 45 minutes (configuration pour les personnes âgées selon l’organisateur).
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]A[/mks_dropcap]vec un petit ¼ d’heure de retard sur l’horaire prévu, la centaine de spectateurs (une petite centaine selon votre serviteur, entre cent cinquante et quatre cent selon l’organisateur. Ok, j’exagère un peu) s’installe et attend la venue de Nelson. Celui-ci débarque dans la salle des mariages dans une forme exceptionnelle, hurlant d’emblée dans un français parfait : « salut les St Lois, comment ça va ??? », trébuche sur quelques transats, s’excuse du bout des lèvres, avant de prendre d’assaut sa guitare et entamer un set furieux à base de larsens et beatbox rageurs, ravageant les esgourdes du premier rang, déchaussant les dentiers du second et décoiffant le reste de l’assemblée. Au bout d’une heure et demi, dépassant largement le temps imparti, la performance se termine dans un vacarme assourdissant (à faire passer un concert de My Bloody Valentine pour du Richard Clayderman sous tranxène) avec destruction du matériel (guitare + bureaux) et perte de connaissance de l’attaché culturel de St Lô.
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]B[/mks_dropcap]ien évidemment le compte-rendu ci-dessus est totalement fictif et pour être honnête, Mark Nelson est arrivé en toute discrétion, s’installant derrière son ordinateur et se fendant d’un timide bonjour à l’assemblée. L’Américain empoigne sa guitare, bafouille quelques mots de présentation, met en route le film présent sur son ordinateur (diffusé sur grand écran derrière lui) et commence son concert en douceur. Près de trois quart d’heure plus tard, il le clôt dans un silence quasi monacal. Il faut dire qu’entre les deux, il aura su souffler le beau et l’effroi aux spectateurs présents. Le beau dans sa partie organique, quand il utilise sa guitare, créant des boucles infinies, dessinant des atmosphères d’une beauté crépusculaire, évoquant les paysages lunaires de Fripp, ceux, plus désertiques, d’un Ry Cooder paumé en Antarctique. L’effroi quand, entre deux paysages, la machine prend le dessus, quand les glitchs emmènent, crescendo, le concert vers le chaos ou les rives enfumées d’un minimal dub.
Néanmoins, comme dans tout, rien n’est simple et surtout pas chez Pan American. Parce que si les atmosphères sont bien distinctes, Nelson se plaît à gommer les disparités entre celles-ci, faisant en sorte de les imbriquer les unes dans les autres de façon à nous faire accepter plus facilement les antagonismes de sa musique et révéler ainsi les tensions générées par ceux-ci. Il en résulte une ambivalence très surprenante, à la fois hypnotique et dérangeante, touchant au sublime (la superbe fragilité du quatrième morceau, quand Nelson utilise le slide, évoquant ce que pouvait faire Labradford il y a quelques années) comme à l’inaudible pour qui n’est pas habitué à ces sonorités parfois chaotiques ou étranges. De ce fait, certains auront déserté la salle au bout de deux morceaux, d’autres seront restés jusqu’au bout, respectueux mais dubitatifs voire hermétiques, et d’autres encore auront été captivés par cette musique exigeante et hors norme, d’une richesse surprenante. Après un ultime slide, une fois le silence envahissant complètement l’espace, Mark Nelson reposera sa guitare et s’en ira comme il est venu, humblement, sur la pointe des pieds, remerciant timidement mais chaleureusement le public d’avoir été aussi attentionné et respectueux.
Bref, en un mot comme en cent, après les Apartments le 20 octobre dernier ainsi que Cash Savage le lendemain, la programmation d’Au Hasard Des Rues aura de nouveau fait des étincelles en matière de curiosité musicale et ce, notamment, grâce à Sleeping In & Out, excellente tête chercheuse de talents en tous genres (Kiku, Vive La Void, Black Knights, Watter, entre autre) d’une exigence rare.
A voir aussi ce samedi au Festival BBMIX 2018 à Boulogne Billancourt 🙂