[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]C'[/mks_dropcap]est sur un tapis roulant qu’apparaît le jeune premier Dustin Hoffman, une séquence inaugurale qui sera par ailleurs reprise par Quentin Tarantino dans Jackie Brown : avant de subir les félicitations contraignantes de toute la génération parentale, la jeunesse est déjà programmée.
Dans ce monde moribond, tout semble prédéterminé : sa réussite, son emploi (le très ironique « Plastics ! »), et même sa sexualité que la cougar Mrs Robinson va prendre en charge, de gré ou de force. Cette inversion du motif de Lolita de Kubrick, sorti cinq ans plus tôt génère une désillusion nouvelle : si l’on suivant la déchéance passionnelle de l’un pour la jeune nymphette, on assiste ici surtout à une aventure blasée et exclusivement physique.
Le Lauréat est le film attendu sur la jeunesse. Avant lui, La Fureur de Vivre avait certes ouvert la voie, mais resté engoncé dans un classicisme encore maladroit. Avec le film de Mike Nichols, le Nouvel Hollywood fait son entrée : cynisme du propos, audace des points de vue permettent d’opposer deux mondes. Si les aussi séminaux Bonnie & Clyde et Easy Rider jouent la carte de la sédition, c’était pour traiter d’un monde underground et représenter la violence post code Hays ; ici, c’est la jeunesse bourgeoise qui fait sa révolution de velours (admirablement soulignée par la BO de Simon & Garfunkel), témoignant d’un étouffement que l’aquarium et le scaphandre métaphorisent à merveille.
Formellement, l’esthétique est au diapason de ces élans libertaires : montage en cuts ultrarapides, surcadrages, plans presque abstraits (le fameux point de vue sous la jambe de Mrs Robinson, le jeu sur les reflets des tables en verre, etc.) achèvent d’enfermer un personnage pour le moment dépourvu de toute individualité.
Le cadre wasp et ses codes est traité sous toutes ses coutures, et l’on montre avant tout sa capacité à générer des névroses. Dans ce portrait au vitriol que cherchera à faire perdurer Amercian Beauty quelques décennies plus tard, la comédie s’invite donc tout naturellement. Car le récit montre avant tout la façon dont un jeune se trompe dans son émancipation : les ballets dans l’hôtel, le fait de devoir changer de nom en disent long sur son incapacité à devenir lui-même. Les ellipses elles-mêmes ne disent pas autre chose : en quatre ans, Benjamin se contente d’être allongé sur des lits ou flottant sur une piscine : certes, il a quitté le fond du bassin, mais il reste toujours à la dérive.
Il fallait sans doute s’immerger dans ce cynisme pour que puisse surgir la véritable romance, qui se présente pourtant sous les feux de l’injonction : poussivement favorisé par ses parents, formellement proscrite par sa maîtresse, Elaine est donc à fuir, avant qu’elle ne dévoile cet indicible charme qui permet enfin l’échappée du cadre.
L’émancipation se fait dès lors sur tous les fronts : l’amour s’affranchit des codes et permet une traversée du pays au pas de course, le sabotage d’une cérémonie et d’un sacrement, la dévoiement d’un crucifix au profit du close combat et le rejet de toute la tradition adulte.
De ce point de vue, Le Lauréat est une romcom fraiche, insolente et résolument moderne, un coup de pied inconscient dans un univers rigide qu’on laisse derrière soi, retranscrit à merveille dans l’ultime plan du film : les noces clandestines et publiques, iconoclastes et enfantines, de deux sourires hébétés et ravis à l’arrière d’un bus.