Dernier coup d’œil dans le rétro sur des BD ayant marqué l’année 2024, avec un focus sur la sélection officielle du Festival International de Bande Dessinée (FIBD), à Angoulême du 30 janvier au 2 février. On vous propose ainsi de relire la chronique que nous avons publiée en juin dernier sur La Route et nous attirons votre attention sur trois nouveaux titres.
Les travailleurs de la mer de Michel Durand – Glénat – Octobre 2024
![](https://addict-culture.com/wp-content/uploads/2025/01/Les-travailleurs-de-la-mer.jpeg)
Tout de noir et blanc vêtu, le dessin des Travailleurs de la mer (Glénat) est à couper le souffle. Celui-ci balaye toute la bande-dessinée, s’engouffrant même dans les voiles de la Durande, un bateau naufragé qu’un pêcheur amoureux dénommé Gilliat, va s’empresser d’aller démonter. Pourquoi prendre de tels risques ? Parce qu’en récupérant le moteur lui est promise la main de la jeune et jolie Déruchette. Ainsi en a décidé son oncle, propriétaire du bateau.
Adaptée d’un roman de Victor Hugo par Michel Durand, qui a débuté sa carrière chez Fluide Glacial en 1979, la bande-dessinée n’est autre qu’un vrai tour de force. En effet, on reste subjugué par la délicatesse du trait, réalisé en hachure, qui nourrit de grandes et belles pages de dessin. C’est là une performance artistique et graphique hors-norme.
On aime aussi le récit incroyable qui nous est livré, sa noirceur tout autant que son humanité, sa folie meurtrière tout autant que la bonté d’âme dont il va se nourrir. Car si Gilliat incarne un héros à la force de conviction titanesque, prêt à en découdre avec la machine dans un décor où se déchaînent les éléments, il n’en est pas moins un homme fragile qui, au sein de son village, suscite au mieux la curiosité des uns, au pire l’indifférence totale des autres.
La nature et l’océan, la démesure et la tempête, la trahison et l’amour… Nombreux sont les ingrédients qui contribuent à faire des Travailleurs de la mer une bande-dessinée aussi puissante que romanesque et mémorable.
Mourir pour la cause de Chris Oliveros traduit par Alexandre Fontaine Rousseau – Pow Pow – Octobre 2023
« On nous demandait si on était prêt à mourir pour la cause, sans nous dire ce qu’était la cause ». Ainsi s’ouvre la BD de Chris Oliveros publiée chez Pow Pow, qui cite le témoignage d’un étudiant racontant son recrutement par le Front de Libération du Québec (FLQ) en 1963. Iconoclaste, n’est-ce pas ?
La BD est à l’aune de ce ton, à la fois très documenté et distancié : les sources qui renvoient à la période noire qu’a connue la province canadienne dans les années 60, sont multiples et précises. À la fin de l’ouvrage, une dizaine de pages recense même des notes tout à fait passionnantes de l’auteur, qui contextualisent davantage encore les scènes décrites, avec force anecdotes et détails. Mais la manière dont l’histoire est racontée suscite aussi l’amusement et, la plupart du temps, un ahurissement total.
C’est là qu’est le point fort de la bande-dessinée, à la réalisation graphique minimaliste mais pas moins efficace : nous livrer un récit où le combat des uns, incarné par la violence et objet de multiples ratés ayant coûté la vie à des citoyens, s’accompagne d’un amateurisme total suscitant surprise et dérision.
Rappelons qu’au commencement, il était une fois une rupture d’égalité de traitement entre Anglophones et Francophones : à cette époque en effet, l’establishment anglais détient le pouvoir économique, engrangeant les dividendes quand les Canadiens français gagnent moitié moins et n’accèdent que très peu aux études supérieures.
S’en suit la création du FLQ, dont Chris Oliveros nous invite à suivre la folle destinée à travers trois incarnations : Georges Shoeters, François Schirm et Pierre Vallières. Le parcours de ces révolutionnaires égrène les 160 pages de l’ouvrage, premier tome d’un diptyque savamment travaillé.
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Comme une pierre de Luckas Iohanathan – Ilatana – Août 2024
![](https://addict-culture.com/wp-content/uploads/2025/01/couverture-commeunepierre.jpg)
Porter son fardeau, tel Sisyphe au pied de la montagne, condamné à la gravir de nouveau : c’est le crédo de Cristo, mais aussi et surtout celui de sa femme qui, à bout de force et de bras, s’occupe de Rosa, leur fille handicapée.
Dans un Brésil baigné d’une lumière apocalyptique, où il n’a pas plu depuis plus de 300 jours, la bande-dessinée de Luckas Iohanathan, sobrement intitulée « Comme une pierre » (Ilatina), livre un récit sec et angoissant, parfaitement construit. Celui-ci s’inscrit dans une bichromie composée d’orange et de noir qui enflamme l’ambiance.
Outre le fait que, face au malheur, les lourds silences puis les cris désespérés de la femme de Cristo façonnent, jour après jour, une situation devenue insupportable, nous sommes facilement happés par le dessein de personnages secondaires ayant fait irruption dans le paysage.
Leurs propos à peine voilés sur la perspective d’un sacrifice, susceptible de répondre à la colère d’un Dieu faisant tomber du ciel des oiseaux calcinés par le soleil, ne tardent pas à nous glacer le sang. Pour faire revenir l’eau, le moindre signe va être interprété. Dans cet océan d’incantations et de peine perdue, l’amertume de la mère de Rosa et son amour pour sa fille, auront-t-ils raison de la déraison ?
La réponse et le prix à payer sont à découvrir au fil des pages de la BD, dont la force graphique, utilisant le clair-obscur, séduit tout autant que le propos, économe et redoutablement efficace.