[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]C[/mks_dropcap]ar ce dont on se rend à peine compte sur Hex (et c’est aussi là le génie de Sutton), c’est que la moitié du travail sur ce disque est effectué via les ordinateurs et l’usage des samples. Un peu comme Maeror Tri, il retravaille à l’ordinateur certains sons produits par les instruments, certaines erreurs pour les inclure dans les morceaux et obtenir l’ambiance désirée. Pas étonnant qu’ensuite, une fois le groupe splitté, Sutton revienne vers Gish (celui qui lui a apporté une connaissance approfondie des samples) pour créer Boymerang, projet drum’n’bass à la tonalité pastel, juste entre Photek (sans la noirceur), Goldie (sans l’hypertrophie du moi) et Roni Size (avec qui il partage cette ambition de la rendre organique).
Boymerang sera, le temps du premier EP, un projet bicéphale avant que Gish ne quitte une nouvelle fois la barque, le laissant seul maître à bord (ou presque car il sera rejoint par le fidèle Lee Harris, ex-batteur de Talk Talk et co-fondateur de O’Rang pour lequel Sutton tient la… guitare, ainsi que Del Crabtree).
Entre 1995 et 1997, en deux EPs et un album (Balance Of The Force) Sutton va explorer tous les recoins du genre, jouer avec les contraintes et agrandir le cadre imposé en apportant sa touche personnelle (aérienne et organique) et sa science du silence, flirtant par moment avec l’ambient (sur le superbe Lazarus) ou l’électro déviante d’un Aphex Twin (Where It’s At ou Still par exemple).
Balance Of The Force est également, dans son style, une très grande réussite et, grâce à Boymerang, il parviendra enfin à toucher un public et même à avoir un certain succès (il gagnera plus d’argent en un seul EP qu’avec toute la discographie de Bark Psychosis).
Mais, le problème avec un style comme la drum’n’bass, c’est qu’au bout d’un moment, quand tu as légèrement révolutionné le genre, tu finis par tourner un peu à vide. Alors plutôt que faire tourner la planche à billets en sortant des disques sans âme (ce que lui proposait sa maison de disque à l’époque), Sutton préfère saborder Boymerang pour se consacrer à la production, poste qu’il occupe désormais à plein temps et pour lequel il obtient une certaine reconnaissance (Jarvis Cocker, These New Puritans ou British Sea Power bénéficieront de ses services).
Néanmoins, il faudra peu de temps pour que le démon de l’écriture revienne le titiller. Dès 1998 en fait, quand il intègre Coldharbourstores, groupe dans lequel il est non seulement producteur et ingénieur du son, mais aussi bassiste. Pendant quatre ans David Read, Michael McCabe, les deux têtes pensantes du groupe, et Sutton vont travailler leurs chansons, les peaufiner et sortir More Than The Other en janvier 2002.
Joli album d’indie rock lorgnant vers la dream pop et développant des atmosphères proches de, vous vous en doutez, Bark Psychosis (celui de I Know/Nothing Feels) ou encore d’un Damon & Naomi, More Than The Other va surtout permettre à Sutton de retrouver le goût de la composition et lui donner l’envie de réactiver Bark Psychosis.
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]S[/mks_dropcap]auf qu’en 1999, date à laquelle il recommence secrètement à écrire des chansons pour ce qui sera la suite de Hex, il est plutôt question d’envisager Bark Psychosis comme une entité collaborative réunie autour de Sutton qu’un véritable groupe.
En effet, si on retrouve la trace de quelques fidèles (Lee Harris aux fûts et Pete Beresford, déjà présent sur Hex, au vibraphone), tous les morceaux qui formeront le second album seront composés uniquement par Sutton qui jouera également la plupart des instruments. Viendront simplement se greffer autour de lui divers musiciens (qu’il n’aura pas à chercher bien loin pour certains, notamment Anja Buechele, présente sur le premier album de Coldharbourstores). Ou, plus étonnant, Simnett et Del Crabtree, samplés par Sutton mais crédités quand même sur le livret, mais pas de quoi constituer un noyau dur l’épaulant en toutes circonstances.
Pendant quatre ans donc, l’Anglais, ne manquant ni d’audace (pendant l’enregistrement de ///Codename : Dustsucker, il fera fuiter volontairement des morceaux sur les plate-formes peer to peer), ni d’humour (Codename Dustsucker pourrait bien faire référence au nom de code utilisé par Sutton pour éviter d’ébruiter le fait qu’il remette en route Bark Psychosis – Dustsucker étant le nom de son studio), va s’enfermer dans son studio et créer la suite de Hex.
/// Codename : Dustsucker paraîtra chez Fire Records le 26 juillet 2004 et, s’il n’est peut-être pas supérieur à Hex, il en est au moins l’égal. Les deux ont en commun d’être des œuvres crépusculaires, mais autant Hex est un disque aqueux, complexe et fluide, brassant nombre de styles différents (dub, jazz, ambient, rock, électro, expérimental), formant une œuvre immersive dans laquelle l’auditeur se perd et se noie, jusqu’au bercement ultime des ressacs de Pendulum Man (appelé ainsi parce que Sutton n’arrêtait pas de faire des allers-retours lors des sessions de ce morceau), autant /// Codename est urbain, anxiogène, à la fois sombre et irradiant et tout aussi complexe sous une apparente simplicité.
En effet, ce qui frappe à l’écoute de ///Codename, à l’inverse de Hex, c’est l’accessibilité qui s’en dégage. L’album présente huit chansons et un interlude aux structures identifiables, avec des mélodies plus ou moins abordables (Shapeshifting, 400 Winters, Black Meat, Burning The City accrochent l’oreille dès la première écoute), aux styles divers (pop, rock, folk, jazz, expérimental avec une touche d’électro) et aux sonorités variées ( on passe de l’anxiogène Miss Abuse au jazz folk éthéré de 400 Winters ou du mélancolique Burning The City au vaporeux INQB8TR).
Neuf titres qui sonnent un peu comme le pendant urbain de Hex : si celui-ci semblait fonctionner comme une sorte de vision aquatique et lointaine de la cité urbaine, /// Codename plonge directement dedans, visite les bas-fonds (Miss Abuse), les quartier louches et enfumés (INQB8TR), dévastés (Burning The City), cosmopolites (Rose) en passant par d’autres plus fréquentables (400 Winters).
Comme rien n’est vraiment simple chez Bark Psychosis, le guide vous paume dès qu’il en a l’occasion, soit en vous hypnotisant (le génial Miss Abuse et sa boucle finale qui vous entraîne dans un état de sidération proche de la torpeur, ou encore l’apaisant Rose, hybride de musique traditionnelle japonaise et d’ambient, dans lequel Silke Roch répète ad libitum le même mantra : Trust me), ou alors en vous faisant passer par des chemins inattendus (The Black Meat où vous passez d’une dream pop légère lézardée de temps à autres par des bruits métalliques à une pop song classieuse – sorte de Living In Another World apaisé – pour finir sur de l’ambient lorgnant vers l’indus).
Ce qui amène quelque part au même résultat que Hex : le chemin a été sinueux, constamment surprenant, beau, parfois éprouvant et quand arrive la dernière note, vous êtes complètement largué. En pleine mer pour Hex, au bout du monde pour ///Codename.
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]A[/mks_dropcap]u final, s’il n’a pas l’aspect novateur de Hex, s’il ne débarque pas comme un ovni dans le paysage musical anglais et qu’il est parfaitement ancré dans son époque (contrairement à Hex qui lui semble intemporel), ///Codename assoit définitivement le talent de Sutton, autant dans l’écriture des morceaux que le traitement du son (le plus bel exemple reste Shapeshifting qui parvient à concilier avec génie les deux, mélodies imparables et expérimentations sonores, pour appuyer la dualité du titre) et redonne une visibilité inattendue à Bark Psychosis, plus conséquente que Hex au final.
Depuis, Sutton est retourné à ses activités de producteur, donnant parfois quelques interviews et semble avoir complètement abandonné l’idée d’écrire un nouveau chapitre à l’aventure Bark Psychosis, précisant qu’il le fera seulement quand le besoin s’en fera ressentir.
C’est donc avec une joie certaine, mais également la mort dans l’âme, que l’on accueille cette réédition de Hex par Fire Records supervisée justement par Sutton. La mort dans l’âme certes, mais bercé par un soupçon d’espoir. Souvenez-vous, en 1999, quand Sutton prend part au premier album de Coldharbourstores, il remet en marche Bark Psychosis dans la foulée.
En janvier dernier, est sorti Wilderness, second album de Coldharbourstores (après un hiatus de quinze ans) dont il est toujours membre et producteur. Alors, même si ce second est en demi-teinte (avec de très belles réussites, Broken And Bad, parfois étranges comme Kissing, mais surtout une désagréable impression d’écouter une sorte de trip hop un peu daté avec quelques louchées de Depeche Mode, Locust ou Alpha).
Le fait de voir Graham Sutton sortir de sa tanière pour contribuer à l’élaboration d’un disque est une excellente nouvelle. Et si on se réfère à ce qu’il s’est passé en 2002, peut-être pourrions-nous avoir des nouvelles de Bark Psychosis avant 2020.
Qui sait ?
Hex ressort le 15 Septembre en double vinyle, CD et numérique chez Fire Records et chez tous les disquaires intemporels de France et de Navarre.