Petit rappel avant de débuter cette chronique : En 2021, nous avions laissé Big Brave avec Vital, grand disque dans lequel le trio canadien creusait son sillon tout en se renouvelant. Trois ans et un disque plus tard, la donne a légèrement changé. Nature Morte, sorti l’an dernier, a quelque peu rebattu les cartes. A force de creuser un même sillon, le groupe a malheureusement fini par s’enliser. Bien sûr, tout n’est pas négatif dans Nature Morte, l’intro de The Fable Of Subjugation ou le formidable The Ten Of Swords laissent augurer de nouvelles directions mais il reste, dans l’ensemble, une déception en regard d’une discographie assez exemplaire.
Inutile de vous dire, alors, que j’attendais A Chaos Of Flowers au tournant. Et soyons clair, rien ne laissait présager quoi que ce soit de bon : déjà, un an entre deux disques, c’est suspect, ça hume la redite. Ensuite, le visuel, identique à celui de Nature Morte, n’engageait rien de bon.
Bref, ça partait mal.
Et c’est probablement pour cette raison que, dès I Felt A Funeral, A Chaos Of Flowers, m’a cueilli. Car Big Brave y fait sa révolution. Terminé les antagonismes bruit/silence, les frappes telluriques de Tasy Hudson, le chant parfois crispant de Robin Wattie. Place maintenant à une violence bien plus rentrée. L’implosion en lieu et place de l’explosion. Celle qui fait de nombreux dégâts, laisse des paysages désolés (A Song For Marie Part III), irradiés (Theft) et permet à Big Brave de se remettre en cause et s’aventurer vers de nouvelles directions. Celles empruntées par Low au temps de Double Negative.
On y retrouve ici cette volonté identique de faire rentrer le chaos aux forceps dans un format prédéfini, presque pop (exit le long format des disques précédents). Le trio laisse de côté l’aspect brut, si ce n’est brutal, de sa musique pour une approche plus subtile, presque douce. Tasy Hudson se met quasiment en retrait, optant pour des balais plutôt que des baguettes, les guitares de Wattie et Ball préfèrent dessiner des paysages que trancher dans le vif et surtout, le chant de Robin Wattie se libère de la contrainte d’une Kazu énervée pour s’approcher de celui de Mimie Parker (pour preuve, le superbe Canon : In Canon).
Autre point commun avec Low, ce travail sur le son, qui faisait la marque des deux derniers albums du groupe de Duluth. Si celui de Low était abrasif au possible, l’idée, sur A Chaos Of Flowers, est de s’en inspirer sans pour autant être aussi radical. D’où cette impression d’implosion évoquée plus haut. Mais là où chez Low la beauté résidait dans la destruction totale (qu’on peut retrouver dans le très expérimental Chanson Pour Mon Ombre), il reste ici, dans ces paysages irradiés, un espoir, une luxuriance qui ne demande qu’à s’exprimer (Not Speaking Of The Ways, Canon : In Canon), parfaitement illustrée par le visuel de l’album.
Enfin, autre approche que le trio n’avait pas entamée jusque là, celle du psychédélisme. Leur identité s’est toujours affirmée dans un drone/noise, la plupart du temps, brut. Ici, outre l’ombre de Low, apparaît en filigrane celle des Américains de Bardo Pond. Comme eux, leur noise s’approche d’une matière spumescente en fusion (Quotidian : Solemnity) et s’ouvre sur un psychédélisme rêche, certes, là où il n’y avait jusqu’ici qu’une certaine rigidité.
En somme, avec ce nouvel album, le trio délaisse l’aspect extrême de leur identité pour privilégier une approche au final beaucoup plus introspective. La rage qui les habitait jusqu’à maintenant est toujours présente mais elle ne s’exprime plus par bouffées de violence, elle est juste contenue, intériorisée et les dévore comme rarement. Ce qui amène au total une atmosphère épurée, presque douce, illustrant parfaitement le titre de cet opus : un chaos de fleurs.
Big Brave · A Chaos Of Flowers
Thrill Jockey – 19 Avril 2024