BiT commence avec un filet d’humains se déplaçant en mouvements universels, un mélange de danses connues de tous. Un début en ombres chinoises qui se découvre au jour, petit à petit. Les costumes, totalement atemporels se font l’écho de l’universalité du mouvement. J’ai pu y voir le madison, la danse des canards, les danses folkloriques, les délires d’amis en soirée, les slams, les rondes des kermesses de notre enfance, les flirts en boîtes de nuits. Les références sont multiples selon la culture individuelle du spectateur. Du tumulte sort un beat qui s’amplifie, s’accélère, du grondement sourd monte un rythme techno.
Puis les corps s’entremêlent et se dénudent pour glisser lentement, presque religieusement, enroulés de draps, proposant presque une fresque picturale, avant le coït. Le coït entre femme et femme, homme et homme, homme et femme, l’amour universel, au rythme saccadé des va-et-vient. Un rythme qui manque de douceur, mécanique, presque bestial. L’homme devient alors bête, insecte, une lutte de pouvoir entre mantes religieuses. La prise de conscience de la durée si éphémère de la vie, la relativité à apporter à nos existences. Viennent alors trois femmes, les Parques, omnitemporelles, avec leurs costumes entre les déesses grecques et les femmes de la renaissance, tenant un fil. La première le déroule, la deuxième le suit, la troisième le coupe. Le spectacle porte alors le sens de la vie, deux spectres préfigurant la mort font une apparition funeste avant que deux moines se chargent de la mise en terre.
La représentation prend alors une tournure très sombre avec les moines aux masques mi-enfantins, mi-spectraux. Un moment poignant montre le viol collectif d’un personnage qui a sombré, qui reste à terre. Chacun y aura interprété selon sa sensibilité ce qu’il y voit… En tout cas, le lien entre religion et sexualité, frustrée, est gravement mis en scène. Un moment gênant, choquant, puissant. La reprise de la première danse introductive par ces mêmes moines fait froid dans le dos. Cette apparition religieuse se terminera par le déferlement de pièces d’or derrière lequel les moines vont glisser, avidement… La luxure, l’envie, l’avarice, les péchés, le ciment catholique de la culpabilité, est dénoncé.
Pour finir, la chorégraphe Maguy Marin fait revenir ses danseurs en habits de lumière, paillettes et costumes pour une dernière ronde. Ils vont alors tenter de monter les plans inclinés qui feront figure, suivant l’interprétation de chacun du mur de la réussite, du mur du bonheur ou pourquoi tout simplement de la vie et de ses obstacles à surmonter. Au dernier passage, le rire revient, le rythme s’accélère, la vie reprend ses droits, plus légère. Chaque personnage va enjamber le mur, du premier, rapidement, à celle qui montera lentement mais sûrement, à celui qui retentera des dizaines de fois l’ascension. Enfin, le dernier personnage prend son élan et prend le mur à bras-le-corps, monte, saute et la lumière s’éteint sur l’image de son envol, de son saut heureux et libérateur.
Le spectacle est total, une foultitude d’interprétations possibles et de références suivant la culture individuelle. Le spectateur est respecté, bousculé, interpellé. Une magnifique chorégraphie sur la vie, la société, l’accord des rythmes, des âmes, le partage.