Tenir encore une fois la plume et vous prévenir en préambule que la critique qui s’annonce sera forcément emprunte d’un défaut d’objectivité. L’artiste que je me dois de vous présenter (si ceci est encore nécessaire) est depuis des lustres au tableau d’honneur de mes icônes.
Nous sommes à la fin des années 80, votre humble serviteur tétanisé par cette voix capable d’ébranler les plus stoïques, amoureux de ce visage mutin, subjugué par cette femme-enfant au charisme évident. Le groupe est islandais et leur titre Birthday est un passeport pour des aventures au-delà des éruptions volcaniques et autres plaisirs boréals.
C’est en 1993 que la carrière solo de Björk débute avec une pop qui transperce les codes, une musique qui flirte avec l’électronique et se lie à des envolées lyriques magnifiées par une diva contemporaine aussi adulée que détestée. Musique vivante d’une chanteuse totalement habitée dont la prouesse aura été d’affubler une âme à ses machines. La force de la fille de Gudmund réside dans cette imprégnation des sagas. Un enracinement qui vient s’émanciper pour tendre vers des horizons osés. Il suffit de passer quelques jours à Reykjavík, capitale qui combine respect des traditions et bouillonnement technologique, pour appréhender cette ambivalence qui lui permit et lui permet encore de se distinguer des autres. Elle, l’ambassadrice d’une île magique. Elle, toujours à la pointe d’expériences artistiques venant briser les barrières du genre. Elle, qui album après album aura permis de mettre en lumière une multitude de collaborateurs inspirés. Si les dernières compositions furent élitistes, c’est toujours avec brillance que cette dame de glace aura sublimé la matière.
Début 2015, un faire-part manuscrit nous informant la naissance de neuf nouveaux titres. Un album Vulnicura qui finalement se trouve plus tôt que prévu en mode lecture sur nos platines. On parle de voyage vers l’irréel. Décorticage alors du nouvel opus, le cœur qui s’emballe comme le soir de notre première nuit d’amour.
Stonemilker : Des cordes qui indubitablement nous rappellent aux bons souvenirs d’Homogenic et Vespertine (à mon sens, les deux sommets de sa discographie) … Ce chant qui ne sera jamais égalé. Cette puissance naturelle qui coule, nous berce et nous émeut encore une fois. Bien plus qu’hier et bien moins que demain. On imagine alors un retour aux structures moins alambiquées. Un regain de jouvence ?
Lionsong : Pas un rugissement, plutôt un miaulement contenu mais transfiguré au travers du mixage imaginé par Arca, bidouilleur adhérent de la hype. Le Dj vénézuélien venu prêter main forte à notre interprète sur pratiquement tout l’ensemble de l’œuvre. Mélange d’humeurs fantaisistes, histoire d’exorciser le mal qui ronge la belle.
History of Touches : Vibrations cosmiques misent en relief par des nappes synthétiques. L’électricité qui vient se greffer a un souffle enivrant. Je suis en lévitation … Au royaume des songes … Une apesanteur bienfaitrice … Tellement heureux au-dessus du spectacle qui s’offre à moi.
Black Lake : Dix Minutes d’une plongée en eaux troubles. La douceur des harmonies pour une sérénité en trompe l’œil. Une progression aux confluences de la sobriété légère et le mystère d’un monde inconnu. S’y perdre, histoire d’oublier les affres du réel. Le rythme s’accélère pour nous conduire aux béatitudes. Des ondes qui ne pourront laisser insensibles ceux qui sauront écouter cette merveille avec le cœur. Celui de Björk est blessé mais aspire à de nouvelles effusions. Des silences et soupirs majestueux qui en disent long … Morceau plaintif choisi pour attiser la curiosité des fans, le teasing parfait pour la rétrospective du MoMa (on vous en parlait déjà ICI)
Family : Le décor s’assombrit soudainement. Björk revient vers des mécanismes tendance « art et essai » … Développement dont elle aura usé et parfois abusé depuis l’album Medúlla. Forcément l’auditeur sera intrigué voir hermétique au concept à des années lumières de la galaxie formatée sur le dogme couplet-refrain-couplet. Le fil conducteur de cet enchevêtrement auditif reposant dans les disparités du monde des rêves dans lequel l’auditeur est immergé.
Notget : Accélération des mouvements pour une explosion technoïde teintée de chaleur poétique. L’islandaise y excelle encore. On imagine alors le déchainement des sons lors des prochaines sorties scéniques. Les grandes orgues nous chavirent en nous sommes à la limite de l’orgasme. Pour confidence, j’ai franchi la frontière de l’adultère cérébral depuis plusieurs années.
Atom Dance : Sensibilité audacieuse pour ce nouveau morceau en duo avec Antony Hegarty. Autre personnalité attachante dont je vous avais déjà parlé ici même suite au sublime projet « Turning ». Le chanteur d’Antony & The Johnsons apporte cette fois-ci une contribution discrète mais toujours exquise à cette folie chimérique.
Mouth Mantra : Le bémol de Vulnicura. Les éléments s’entrechoquent mais faute de recul on est pris de vertige. Une peinture abrasive qui n’arrivera sans doute pas à conquérir le plus farouche des fans. Une passion qui s’essouffle à regret.
Quicksand : On a connu final plus remarqué. On préfèrera l’homonyme exécuté par une autre légende vivante (Le sieur David Bowie pour les béotiens). Comme si l’espiègle Björk avait fini par retomber dans ses retranchements « arty ».
Au final, un nouvel album qui délivre une impressionnante allégorie visionnaire : L’univers intime de son auteur sublimé par le besoin de catalyser la douleur. Forcément il y a au sein de Vulnicura la réponse sous-jacente à la rupture amoureuse. Il en ressort une virtuosité indéniable au service de l’exploration onirique. La sophistication savante des sens pour nourrir les fantasmes et soigner les fêlures du présent.
Album désormais disponible en format non dématérialisé (dont une version deluxe) chez votre disquaire.
Au rayon des informations utiles, escales prévues cet été aux Nuits de Fourvière et sur La Route du Rock …
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