Après de longues années de silence et d’oubli, Brian Evenson intéresse à nouveau la France. En 2023 Quidam et déjà Rivages via la collection Imaginaire ont publié deux ouvrages de cet auteur.
Voici le troisième : un recueil de nouvelles. 22 exactement.
Avec Comptine pour la dissolution du monde, on retrouve l’écrivain qu’on connaît. Celui qui s’amuse à nous perdre, à tordre la réalité et à nous faire peur.
Au centre de ces nouvelles, souvent, une maison. Dans laquelle une fille sans visage est cloîtrée, dans laquelle une enfant disparaît, où l’on tourne un film et où l’on tue finalement le propriétaire, où une porte est condamnée car trop dangereuse. Ou encore une maison habitée par « une chose » qu’il faudrait absolument éviter. Difficile de ne pas penser au chef d’œuvre La maison des feuilles de Mark Z. Danielewski.
« La première porte, qui donnait sur la plaine, pouvait être ouverte en cas de besoin, m’avait informé ma soeur. La seconde, non, jamais. L’ouvrir reviendrait à provoquer la fin. »
─ Brian Evenson, Comptine pour la dissolution du monde
Sur la couverture proposée par Rivages, cet homme main levée, illuminé par une lumière orangée, on dirait Samuel Beckett. Et pourtant on ne voit pas son visage. J’interprète donc. Je vois Beckett pour une philosophie de l’absurde partagée par Brian Evenson. Et pour continuer dans l’interprétation, j’imagine un soleil quasi nucléaire, un soleil comme dans le film de Danny Boyle, Sunshine. Un soleil qui se meurt, de la science fiction pareille à celle d’Evenson.
Il faut accepter de se laisser porter. De ne pas tout comprendre. D’être horrifié parfois, choqué aussi.
Regarder se débattre des êtres plus ou moins humains, plus ou moins perdus et parfois sans être même sûr de leur identité. C’est un point qui revient souvent avec Evenson, une sorte de trouble de l’identité ou un passage d’un état à un autre et ce passage ne permet plus vraiment de savoir si l’on est toujours humain et si l’on s’est transformé en quelque chose d’autre. Quoi ? Là aussi il faut laisser l’auteur nous porter et nous laisser dans le doute.
Evenson évoque souvent la frontière entre la vie et la mort à travers notamment un personnage mort car trouvé en putréfaction par un de ses camarades sur une planète inconnue. Pourtant ce mort parle et agit tout en reconnaissant être mort. Et cette nouvelle particulière nous rappelle que Brian Evenson a écrit un roman à propos d’une des créatures les plus connues du cinéma mondial : Alien.
D’ailleurs l’espace et son exploration semble être un autre point d’intérêt chez Evenson. Mais souvent quelque chose tourne mal. Vaisseaux abimés et équipage mort. Pourtant avec des copies ou des scans du cerveau à parti d’ondes l’auteur « s’amuse » à faire revivre ces morts qui se mettent à parler sans avoir conscience d’être déjà mort. Scènes terribles, émouvantes et éprouvantes quand le seul humain encore vivant débranche définitivement ces morts en sursis.
« Mais ce n’est pas une histoire de ce genre, du genre de celles qui livrent une explication. Elle raconte simplement les faits et, comme vous le savez, les faits ne s’expliquent pas, ou en tout cas leur explication ne suffit jamais à changer leur cours. Il se comportait comme un homme et, à bien des égards, il en était un, mais il n’était pas humain, ce qui ne l’empêchait pas de l’oublier parfois et de se laisser aller à couler. »
─ Brian Evenson, Comptine pour la dissolution du monde
Lire Brian Evenson a souvent, voire toujours, été une expérience spéciale, hors normes. Avec ce nouveau recueil de nouvelles, il ne déroge pas à sa règle. Il dérange, il interroge, il fait peur ou amuse selon le degré de lecture que l’on trouve mais une chose est certaine : il ne laisse jamais indifférent.
Comptine pour la dissolution du monde de Brian Evenson
Traduit par Jonathan Baillehache