Jusqu’à noël l’équipe des chroniqueurs littéraires va vous aider à choisir vos cadeaux de noël en vous proposant une sélection de livres à offrir ! Vous y trouverez des idées de tout styles et pour tous les âges ! Nous vous dévoilons donc aujourd’hui notre dernière sélection et n’hésitez pas à aller lire les 2 autres conseils et tous les anciens que vous trouverez aussi ICI !
Les choix de Catherine
Feedback par Jakub Zulczyk, traduit par Kamil Barbarski et Érik Veaux, Rivages/Noir, mai 2023
Voilà un roman sans concession, où l’auteur se met à nu comme rarement. Et ce n’est pas un long fleuve tranquille.
Le héros s’appelle Marcin Kania, il a eu un certain succès dans la musique avec un tube absurde intitulé Je t’aime comme la Russie... Depuis, il a sombré dans l’alcoolisme, semant la désolation autour de lui. Ce qui ne l’a pas empêché de prospérer dans les spéculations immobilières qui gangrènent Varsovie. Le soir où son fils disparaît, Marcin ne se rappelle rien de ce qui s’est passé. Il a vu son fils, mais le reste de la nuit est un trou noir. Double peine : Marcin suit plus ou moins une cure de désintoxication. Il va devoir en même temps se mettre à la recherche de son fils. Bien sûr, le lecteur comprend très vite qu’il n’y aura pas de « happy end ». On aura rarement lu un texte aussi bouleversant ni aussi sincère sur l’alcoolisme.
Les romans de Zulczyk ont été adaptés en séries télé : s’il a volontiers participé à cette adaptation pour le premier roman, il avoue que pour Feedback (qu’on peut voir actuellement sur Netflix), il n’a pas voulu passer un instant de plus avec cet homme-là. Ce qui donne une idée du courage qu’il lui a fallu pour aller au bout de ce livre. Le lecteur, lui, en sort époustouflé et bouleversé.
Les choix de Papier crepon
Le Dernier Rivage par Nevil Shute, traduit par Marie-Odile Probst, Editions Le Chemin de Fer, 1957 (réédition 2021)
C’est l’été à Melbourne. Peter et Mary coulent des jours heureux, dans leur cottage, avec leur bébé. Lui s’apprête à prendre son poste d’officier quand elle s’interroge sur la façon d’agrémenter leur jardin… Bref, tout irait pour le mieux si ce n’était, bientôt, la fin du monde – et tous le savent.
Une guerre nucléaire a décimé la moitié de la planète et les retombées radioactives sont en train de se répendre dans l’hémisphère sud. Chaque personnage gère ce compte à rebours à sa manière. Déni, abandon, espoir… leurs réactions sont fascinantes – et le lecteur d’aller de sidération en admiration.
Un grand bravo aux éditions Le Chemin de Fer pour la réédition de ce classique du roman d’anticipation de 1957, particulièrement bien écrit – le style est au cordeau et les dialogues remarquables. Et les questionnements restent bien après avoir terminé le roman. Que faire des derniers mois de vie quand rien ne va nous survivre ? Comment intégrer l’implacable réalité ? Et que sauver de cette humanité mortifère ? Si c’est à sa capacité à interroger sa vision du monde que l’on définit un grand livre, il y a de quoi crier au chef d’œuvre.
Les choix de Gringo Pimento
Futur chlore Hypallage tome 4 par Sylvain Pattieu, L’école des loisirs, octobre 2023
Non sans émotion, je referme le quatrième tome de la série Hypallage de Sylvain Pattieu. 1000 pages au total pour suivre les aventures, les amours, les soucis de jeunes collégiens devenus lycéens. Le texte du formidable Sylvain Pattieu est souvent en prise avec l’actualité, des attentats dans Paris jusqu’aux gilets jaunes. Il nous aura offert une bien belle histoire, complètement actuelle.
Difficile de ne pas se sentir proche de ces pré adultes qui se débattent avec une société compliquée. Les différentes orientations possibles pour l’avenir, bénéficier d’une place dans un bon lycée en venant de la banlieue, les problèmes de genre, la maladie, la place des femmes dans la société et les hommes qui peuvent parfois les agresser, le deal et la police, les manifestations, l’amour qui débute et qui finit, la souffrance adolescente.
Vous me direz que beaucoup de livres de jeunesse abordent ces thèmes, que des séries s’en saisissent aussi. Et c’est vrai mais j’ajoute qu’avec cette série, Sylvain Pattieu continue son travail sur la langue, déjà perçu dans l’extraordinaire Forêt-Furieuse aux éditions Rouergue. Avec Hypallage, j’ai souvent eu l’impression de lire une sorte de mélange de poésie, de slam, de rap, de prose rimée et extrêmement rythmée rendant la lecture encore plus passionnante.
Sylvain Pattieu se dit, dans ses remerciements toujours nombreux, comme ses personnages « à la fois tristes et fiers ».
L’aventure Hypallage se termine de façon abrupte, sur une dernière rencontre entre ses héros, dans un de ces fameux grecs où ils adorent manger. L’auteur nous laisse imaginer la suite, il ne nous révèle rien de ce que vous devenir Lina et Margaux, Aimée, Zako et son pote l’idéaliste Mohammed-Ali. C’est à la fois doux et amer cette fin.
Mais avant cela, tous ces jeunes auront eu le temps de grandir, de se comprendre, de s’aimer ou de s’embrouiller, de se réconcilier et finalement, comme dans la vie, de se séparer peut-être définitivement.
Pour nous, hors de question d’abandonner Sylvain Pattieu. Un nouveau roman est annoncé pour 2024, avec un titre évocateur : Une vie qui se cabre. En attendant, on peut relire la série Hypallage ou Forêt-Furieuse, se plonger dans ses poésies avec En armes !
Les choix de Dealeusedesheet!
Le choix du roi par Laurence Lieutaud, éditions Grasset, mai 2023
« Trois ou quatre fois par semaine, soit aux aurores, soit à la tombée du jour, je chausse mes baskets et je pars à la conquête de mon Everest. Il faut que j’atteigne le sommet de l’épuisement, que je suffoque, que j’aie quelques instants la certitude d’une mort imminente. Quand mes poumons brûlent comme si on les avait chauffés au fer rouge, quand le feu gagne tout mon corps, c’est comme si j’appuyais sur un disjoncteur pour couper les circuits de mes pensées. »
Un fils parfait, vraiment. Même quand il tue une fille à peine plus jeune que lui. Un fils prodigue, une famille comblée par la fierté d’avoir eu « le choix du roi ». Mais ces quelques lignes plus haut résument à elles seules toute la détresse endurée par sa mère, Karine, lorsque le vernis de la perfection se fissure et laisse apparaître un enfant qu’elle ne connaît pas, un Roi qu’elle a envie « de décapiter » si elle s’autorisait à dire juste un mot…
Laurence Lieutaud nous place ici face à un dilemme, une réflexion inimaginable : que ferions-nous si, comme Karine, nous étions la mère de ce Roi ? Irions-nous jusqu’à cacher l’innommable au point de nous (tout) détruire ?
Un roman haletant, passionnant, une plume très ciselée, fine, qui sait rendre la tension incroyable qui nous tient éveillés même après avoir lu les dernières lignes …
Les choix de Monica
La Petite-fille, Bernhard Schlink, traduit de l’allemand par Bernard Lortholary, éditions Gallimard, février 2023
Encensé par les libraires en ce début d’année, La Petite-fille fait écho à nos questions et inquiétudes relatives à l’actualité européenne et, soyons francs, à l’actualité tout court. A travers le récit de Kaspar, vieux libraire découvrant un pan de vie inconnu de sa feue épouse, Birgit, Bernhard Schlink met en lumière la transmission active au sein même de la cellule familiale d’idéologies que l’on pensait révolues.
Kaspar découvre qu’il est grand-père et découvre les tourments et les angoisses de Birgit, le coeur à l’Est de l’Allemagne malgré toute une vie passée à l’Ouest, par des écrits que sa femme souhaitait faire publier. Catharsis ? Probablement pas. Une quête en revanche, sûrement.
Kaspar va se heurter (et nous avec lui) à la réalité des Völkisch, mouvement nationaliste radical qui a traversé les décennies et qui a semblé être la réponse adéquate pour de nombreux allemands de l’Est déçus par les conséquences de la réunification. Parmi eux, sa petite-fille. Ce texte, il faut le lire et ensuite l’offrir ! Entre passé et présent, entre ce qui nous lie et ce qui nous oppose, Bernhard Schlink parvient à garder l’équilibre et nous offre à la fin un grand roman européen qui peut être considéré aussi comme un signal d’alarme.
Les choix de Claire
Sans preuve et sans aveu par Philippe Jaenada, Points, 2023
Alain Laprie a été condamné à 15 ans de prison pour meurtre. Il est incarcéré depuis trois ans pour l’assassinat de sa tante.
Après l’avoir rencontré, avant son incarcération, Philippe Jaenada s’est intéressé à son affaire et il s’est vite rendu compte des disfonctionnements de l’enquête et de la justice. Persuadé de son innocence, il reprend tous les éléments de l’enquête, pointe tous les manquements, toutes les erreurs, toutes les failles. Avec une précision impressionnante, il éclaire les faits sous un jour nouveau. Et puis fait inespéré : suite à la sortie du livre et grâce à la médiatisation de l’auteur, l’enquête est rouverte, et l’espoir renait pour Alain Laprie.
La danseuse de Patrick Modiano, Gallimard, Octobre 2023
Raconter un livre de Patrick Modiano, c’est comme tenter de raconter un rêve. Il y a des éléments colorés et tangibles, et puis des choses et des gens plus flous, dont on ne distingue que les contours.
Modiano est un écrivain de la mémoire. De ce qu’il en reste et de ce qu’on en fait, comment on la transforme. Le narrateur a vingt ans dans les années 60, il vit de petits boulots au gré des rencontres. Est-ce lui ? ça y ressemble. Dans ce livre très court comme un souvenir qui passe et puis qui disparait, le jeune homme est fasciné par une danseuse. Il décortique ses gestes, il la regarde, l’admire, tente de la comprendre. Elle a un fils, il s’en occupe beaucoup. Qui est-elle pour lui, que représente-t-elle ? Elle a des relations troubles, elle le fascine. Elle est le reflet d’une époque, de la jeunesse « C’est le temps des rencontres » dit-il.
On se laisse emporter par les images et les parfums, et on se retrouve là-bas, avec lui, avec elle. Ses souvenirs deviennent aussi les nôtres.
Les Aiguilles d’or de Michael Mc Dowell traduit par Jean Szlamowicz, Monsieur Toussaint Louverture, 6 Octobre 2023
New-York 1882. Dans un décor à la Dickens, les uns fêtent le nouvel an dans l’opulence, tandis que les autres vivent dans une misère crasse. Au cœur du funeste quartier dit du « Triangle noir », un pasteur moralisateur fortuné décide d’éradiquer le mal, en s’opposant à une famille de femmes criminelles.
Sorti en 2023 après le succès de la série Blackwater, Les aiguilles d’or est en réalité un roman antérieur à la trilogie. Roman noir qui raconte la confrontation entre deux familles pas plus vertueuses l’une que l’autre, Les aiguilles d’or est immoralement satisfaisant.
Et puis tenir un livre de Monsieur Toussaint Laventure dans les mains, c’est comme toucher un objet précieux tant le soin apporté par l’éditeur à ses publications est incroyable !
Les choix de Barriga
L’enfant dans le taxi par Sylvain Prudhomme, éditions de Minuit, août 2023
Alors qu’il assiste à l’enterrement de son grand père, le narrateur de ce roman est accosté par un oncle qui lui apprend l’existence d’un autre oncle caché. Ce dernier serait issu d’une relation illégitime du défunt pendant un séjour en Allemagne. Cette histoire a été longuement cachée comme un embarras familial dont il ne faut plus évoquer. D’ailleurs le narrateur aborde le sujet avec sa grand mère mais se voit témoin d’une colère noire et affublé de reproche.
C’est avec peu d’éléments que Simon décide de mener son enquête et de donner une identité et un visage à cet oncle éloigné.
Il brosse une mythologie familiale passionnante et addictive en nous faisant part des trouvailles tout en évoquant sa posture personnelle contrastée.
On retrouve avec plaisir l’écriture et la finesse d’analyse des sentiments de la part de Sylvain Prudhomme, sa qualité stylistique subtile teintée de mélancolie douce amère.