[mks_dropcap style= »letter » size= »83″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]D[/mks_dropcap]ans une contrée lointaine où la sève des érables sécrète son sirop, vivait une belle jeune femme comblée par la divine providence. Une fée s’était penchée sur son berceau afin de lui octroyer le don de sublimer son auditoire d’un chant qui allait vite conquérir les lieux où musique d’opéra et raffinement faisaient bon ménage.
Histoire de rendre jaloux ses congénères, la soprano aux racines latines ne restait pas focalisée sur ses seules qualités vocales. Elle développait en effet un certain goût pour l’apprentissage de multiples instruments et pas forcément les plus commodes à appréhender.
De l’autre côté de l’océan, au royaume de la plus glamour des souveraines, un jeune homme s’adonnait aux séances scéniques des plus extrêmes. Le nom de son groupe, The Horrors, ne trompait pas sur la came. Le personnage semblait plongé tel un sombre épouvantail dans une aspiration qui vous glace d’effroi à chaque remontée d’acide. Le son était couvert d’une noirceur aussi vive que l’accoutrement de la bande était ténébreux.
Loin de passer pour un prince charmant, l’intéressé conduisait ses sbires du punk racé de Strange House aux diableries vociférantes de Primary Colors, opus dont le flou de la pochette rappelait les résurgences de pornographiques sensations.
Le contenu était dense et tendu !
Autant vous dire chers lecteurs que sur leurs CV respectifs, ces deux-là n’avaient rien à faire ensemble. Que la Belle et la Bête c’était bien un conte que l’on raconte aux petites filles pour les duper. A elles l’espérance de déceler un jour l’extase derrière l’impulsif dégoût. Balivernes !
Et pourtant …
En 2011, avec le soutien d’un certain Bobby Gillespie que je ne présente plus, Rachel Zeffira rencontre Faris Badwan afin de former le duo Cat’s Eyes. Un premier EP voit le jour (Broken Glass) avant que l’essai ne termine sur ma platine avec un éponyme premier long format de dix titres.
A la curiosité de l’improbable fusion succède chez moi un certain engouement pour cette petite fabrication aux contours espiègles et à l’architecture finement agencée. L’utopique osmose n’était pas une gageure. La même année, Skying (troisième délivrance de The Horrors) permettait d’entrevoir bien plus de couleurs qu’à l’accoutumée. Chose laissant supposer un désir chez Badwan de convoler vers un peu plus de nuances mélodiques.
Le couronnement de l’invraisemblable scénario s’opèrera dans l’antre même de la sainte spiritualité. Un goth’ qui s’adonne à la chansonnette au Vatican … Qui l’eût cru ? I knew It Was Over achève d’un coup cinglant nos quelques doutes. Il y a derrière cette prestation autre chose que les chœurs de chérubins et la puissance des grandes orgues. Exit le jeune punk sombre qui s’égosille, nous devinions un petit cœur d’artichaut qui battait pour sa nouvelle partenaire de jeu.
La romance ne s’arrêtera pas à ce que je pensais, à tort, une simple expérience d’un soir. L’an passé, le duo remettait le couvert après une parenthèse artistique de trois ans. The Duke Of Burgundy, film écrit et réalisé par Peter Strickland était habillé des sonorités apaisées de nos amis.
L’occasion de voir les tourtereaux à la vie comme à la scène en tenue de soirée pour recevoir les honneurs du prix de meilleure composition originale pour un film européen. Rien que notre rockeur en smoking, ça valait bien nos yeux écarquillés. Quel délice de se remémorer ses premières tenues de guerrier Halloween et de le retrouver ainsi fagoté pour les besoins de la cérémonie !
[mks_dropcap style= »letter » size= »83″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]C[/mks_dropcap]ertains considèreront l’abolition des frontières comme chose incongrue. Ce n’est pas mon cas. Je ne vais pas vous faire 3 tomes sur l’influence du Yīn (阴) et du Yáng (阳) car question philosophie chinoise j’avoue avoir zappé l’étude des développements les plus poussés. Il n’empêche que notre univers est fait de dualités et que, de celles-ci peuvent jaillir une force insoupçonnée. Pour synthétiser, comme le soleil a besoin de la lune, comme la glace a besoin du feu, Faris a besoin de Rachel et vice et versa. Cette complémentarité est d’ailleurs habilement mise en relief au travers de la pochette même de Treasure House. Le contenu est à cette image une expérience fusionnelle, osée et terriblement puissante.
Prenez le titre d’ouverture qui donne le nom à l’opus. C’est un concentré de fééries montées sur ressort. La voix étouffée du mâle de service s’y fait singulièrement toute penaude au contact d’une harpe délicate.
Avec Drag, c’est madame qui prend les commandes. L’orchestration est subtilement soignée afin de préparer une envolée lyrique teintée d’un leitmotiv assassin scandant « they will keep us apart » pour un décalage mis en lumière dans un clip nous rejouant une version trash de la guerre des Rose. Au rayon de la dérision et du clin d’œil, nous sommes servis… Match nul, balle au centre.
Dans la foulée, la bluette Chameleon Queen se pointe fourni de ses excès kitch. Harmonium et trompette viennent tendre les bras aux murmures naïfs du prétendu mauvais garçon. Les poncifs volent en éclat car derrière la couche de vernie se trame un attachant contraste qui balance un message appuyé à ceux qui voudront bien l’entendre. Si aux premières écoutes j’ai pu ricaner de ce parallélisme avec un petit monde cucul la praline pas très loin des incontournables (ou pas) Rondò Veneziano s’essayant à la majesté de Georg Friederich Haendel, au final je retiens une chanson dont l’addiction devient au fur et à mesure des écoutes répétées, une petite gêne qui pourrait vite devenir pour vous aussi un plaisir honteux.
Sans transition nous dévalons la frise chronologique pour une tentation du côté des glorieuses 60’s. Be Careful Where You Park Your Car n’y va d’ailleurs pas par quatre chemins. Le flashback est terrassant : Le duo joue ici avec une rythmique amplifiée par des clappements frétillants. Nul mal pour imaginer le jukebox au fond d’une salle où le gentil loubard Fonzie ajuste sa banane.
Une séquence nostalgie qui laisse place à des vibrations plus psychédéliques : Standoff et sa rythmique enjouée canalisent une attirance pour une pop dont les infimes virilités sont marquées d’une recherche permanente de sublimation. Pour le cas d’espèce, c’est le hautbois qui fait la nique aux efforts électroniques afin de dorer de préciosité un des morceaux les plus attractifs du disque.
Progressivement c’est une musique imagée qui prend le dessus. Nous passons de caresses solaires idéales pour la sieste (pas forcément crapuleuse) à la quiétude imprégnée de The Missing Hour. Le vibraphone est troqué, l’ensemble majestueux peut résonner. Girl In A Room en est la plus noble démonstration avec ses cordes imposantes digne d’une BO de film épique où la fantasmagorie des songes serait le nerf du synopsis. Au-delà de l’allégorie visuelle, c’est le témoignage de moyens bien plus massifs qui s’offrent à nous.
Arrive la piste numéro 9. L’antépénultième croisade va poser ses valises au sein même de Buckingham Palace.
Se faisant passer pour un ensemble baroque, Cat’s Eyes se paye l’incruste au palais royale histoire de dévoiler le fameux We’ll be Waiting dont le chant semble ici emprunté au respectable Capitaine Caverne. Bis repetita pour le couple potache (voir plus haut l’évocation de la petite virée dans la demeure du souverain pontife) qui justifie sa réputation de joyeux drilles usant d’un sacré toupet pour contourner les règles même de sécurité. Punk’s not dead !
C’est donc un condensé de friandises aussi sucrées qu’amères, aussi douteuses qu’assurées, aussi raffinées que délurées qui s’étirent sur un peu plus de 30 minutes.
Names Of The Mountains offrira les dernières boucles hypnotiques pour une course dont le chant soyeux viendra se heurter à une énergie que les frileux considèreront saugrenue.
Teardrops pourra alors se laisser ressentir comme le dernier trésor laissé dans la demeure, là où il fait si bon vivre. L’homme vêtu de noir pourra alors se remémorer, un sourire goguenard aux lèvres, les fondations d’une étrange maison.
Au final, j’ai bien envie de vous prédire qu’ils vécurent heureux et vendirent beaucoup d’albums.
Treasure House, sorti chez Kobalt Label Services est, depuis aujourd’hui, dans toutes les bonnes nurseries.