C’est au moment où l’on se perd réellement que l’on commence à se retrouver.
Henry David Thoreau, Journal, 1884.
[mks_dropcap style= »letter » size= »75″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]I[/mks_dropcap]l peut sembler étrange de commencer une chronique musicale en citant Thoreau, mais en écoutant le nouvel album de Cate Le Bon, Reward, sorti le 24 mai dernier chez Mexican Summer/Modulor, et en découvrant sa démarche peu commune pour le composer, ce fut comme une évidence, me plaisant à imaginer la galloise parcourant les œuvres de ce philosophe avant-gardiste de la fin du dix-neuvième siècle, à la recherche d’une existence plus authentique.
[mks_dropcap style= »letter » size= »75″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]E[/mks_dropcap]n effet, dix ans de carrière, quatre albums à son actif, trois EP, deux albums avec Tim Presley (White Fence) avec le projet DRINKS, la production du dernier Deerhunter, Cate Timothy, de son vrai nom, n’a pas chômé, et une certaine lassitude s’est fait ressentir, le moment de prendre du recul et du temps pour soi. C’est ainsi qu’en 2017 elle tombe sur un article concernant une école de mobilier à Londres et les changements de vision de la vie que cela a provoqué chez ses étudiants… En passionnée d’architecture et de design, elle décide donc de s’inscrire à l’école Waters & Acland, reconnue mondialement, dans la région de Lake District, située dans le nord-ouest de l’Angleterre.
Quand je vous parlais de démarche peu commune, je ne plaisantais pas, mais il semblerait que la jeune femme soit coutumière du genre. Nous sommes en 2013 et l’album Mug Museum sort chez Wichita Recordings, je découvre alors Cate Le Bon et je tombe littéralement sous le charme de cette artiste hors norme, cet accent welsh, je pense à Nico, un timbre reconnaissable, particulier.
Je fais des recherches, peu d’éléments à l’époque, surtout connue pour ses tournées en première partie de Gruff Rhys (Super Furry Animals), et le pari fou de composer un album en étudiant la poterie. Le titre de l’album fait référence aux cent tasses fabriquées pour l’occasion, comme si la création physique était lié à la création musicale, un savant mélange entre le corps et l’esprit.
[mks_dropcap style= »letter » size= »75″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]C[/mks_dropcap]’est donc dans la solitude d’un chalet isolé en plein cœur du comté de Cumbria, essentiellement rural, dans le nord-ouest de l’Angleterre que Cate Le Bon a composé son nouvel album Reward, durant l’année 2017.
Une année rythmée entre des journées en atelier à fabriquer des meubles, et des nuits en compagnie d’un piano, un Meers, son premier piano, et une nouvelle façon de composer au clavier, sans guitare, une approche plus personnelle de la musique, une manière de se reconnecter avec soi-même, de revenir à l’essentiel en redéfinissant son rapport à la création musicale.
Une forme de retraite où elle semble s’être retrouvée pour nous offrir un album introspectif et surréaliste à la fois, sans doute le plus intime de sa discographie, oserais-je dire son meilleur. Je le dis!
Dès les premières mesures de Reward, Cate Le Bon nous entraîne à Miami, là où tout a commencé, là où elle a eu une révélation alors qu’elle était en tournée pour l’album Crab Day. Ce moment où l’on goûte à l’absurdité de la vie, avec ce sentiment de ne pas être au bon endroit, à mille lieux de qui nous sommes. Un morceau qui annonce une période de changement et de renouveau, Never be the same again, no way. La voix de Cate en forme d’apaisement, la rythmique métronomique et hypnotique, les touches de synthés enrobées par le saxophone, Miami, répété comme un mantra, et l’envie de se replier, I take some time / I have some thoughts. Le ton est donné, mélancolique avec une touche de lumière, quelque part entre les montagnes et la chaleur de la Californie.
[mks_dropcap style= »letter » size= »75″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]M[/mks_dropcap]ais le premier single de l’album Daylight Matters est là pour nous rappeler que Cate Le Bon n’est jamais bien loin, avec ce son si caractéristique, comme venu d’une autre époque, à mi-chemin entre Kate Bush et David Bowie période Young Americans.
Notons au passage qu’elle a écouté Bowie tous les matins en se rendant à ses cours, parenthèse qui se ressent tout au long de Reward. Un morceau personnel sur son ressenti, seule, face à elle-même, dans une lente déambulation dans des lieux désertiques aux couleurs étranges, à la recherche d’un sens, d’un début de réponse.
Quand sort le second single Home To You, en avril dernier, l’attente devient plus pressante. Cette ritournelle au clavier, obsédante, entêtante, ne me lâche plus, certainement le morceau que je préfère sur cet album, pendant lequel on a envie de donner du Aaaaaaah, à tue-tête. Je vous laisser imaginer!
Un univers fantasque qui me rappelle un certain Ariel Pink, association purement personnelle, mais l’ambiance joyeusement foutraque du morceau me fait dire que la solitude a plutôt bien réussi à Cate Le Bon.
A aucun moment je ne ressens de la noirceur, de la tristesse, de l’amertume. Bien au contraire, il se dégage un élan de liberté, comme un cri du cœur, et un furieux désir d’aller de l’avant en toutes circonstances. À l’image de ce clip, au milieu de nulle part où la richesse ne semble pas se situer dans les biens matériels, mais bien dans une forme de communion avec le monde qui nous entoure, la simplicité des instants et de ce que la vie peut nous apporter de plus cher, quelques instants de bonheur dans la banalité du quotidien… je vous défie de ne pas sourire avant la fin du clip !
[mks_dropcap style= »letter » size= »75″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]D[/mks_dropcap]u son kraut déjanté de Mother’s Mother’s Magazines à la celui de Magnificent Gestures, sur lequel Cate Le Bon s’offre un featuring de marque avec Kurt Vile, que l’on entend sur le refrain, la galloise nous perd dans un dédale de sons, de style, de sens.
À ce stade, il semble évident que Reward est un album qui se laisse appréhender sur la durée, ce qui est caractéristique des grands disques, de ceux qui donnent envie d’y revenir et de tendre l’oreille pour découvrir encore une nuance qui nous avait échappé.
Sur Here It Comes Again, autre sommet de l’album, j’ai parfois l’impression d’entendre Nico, le timbre, la diction, la teinte velvetienne… À d’autres moments la langueur down-tempo prend le dessus comme sur Sad Nudes, mélange de classique et de douce folie.
Le troisième single The Light, quant à lui déploie une rythmique jazzy, cool dans le sillon dense et lourd d’une basse reggae, que le saxophone vient renforcer, chanson exutoire, the light that finds me, pour retrouver un peu de chaleur après des moments d’introspection, you must die a little / you must hate yourself / bury the keys and get to work, une expérience de la solitude qui s’avère lumineuse.
[mks_dropcap style= »letter » size= »75″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]S[/mks_dropcap]ans doute est-il important de souligner que bien que Reward ait été composé dans la région de The Lakes en Angleterre, il a ensuite été enregistré aux Etats-Unis, en Californie, expliquant certainement la teinte chaleureuse qui s’en dégage.
De Los Angeles au désert de Joshua Tree, où avec Samur Khouja, coproducteur et ingénieur, Cate Le Bon a enregistré ses morceaux, en autarcie, préservant l’étincelle originelle de ses compositions, entourée uniquement de musiciens tels : Stella Mozgawa (de Warpaint) à la batterie et aux percussions, Stephen Black à la basse et au saxophone et ses collaborateurs Huw Evans (alias H.Hawkline) et Josh Klinghoffer (Red Hot Chili Peppers) aux guitares.
Un casting impressionnant qui a su faire émerger les chansons singulières de Cate Le Bon, pour nous livrer un album magnifique d’une richesse incroyable, aux assemblages fantasques mais immédiats. La lente construction d’une âme qui a fini par se retrouver dans sa retraite au bord d’un lac. Une expérience qui lui a permis de se plonger au fond d’elle-même mais aussi de prendre du recul sur le monde qui l’entoure, forte d’une lucidité nouvelle.
Car dans notre monde rien n’est gratuit, tout se mérite, et nous pouvons parfois perdre un peu le fil, comme l’indique le nom de l’album Reward : Les gens entendent le mot « récompense » et ils pensent que c’est un mot positif, dit Cate Le Bon, et pour moi c’est un mot assez sinistre, car il dépend de la relation entre le donneur et le récepteur. J’ai l’impression que c’est vraiment révélateur de l’époque dans laquelle nous vivons, où les mots sont utilisés comme des slogans, et où tout perd lentement son sens.
Une chose est sûre c’est que le nouvel album de Cate Le Bon, Reward, sorti le 24 mai 2019 chez Mexican Summer / Modulor, est loin de perdre son sens, bien au contraire, et il est disponible en CD, Vinyle ou Digital, par ICI, ou chez tous les bons disquaires !
Site Officiel // Facebook // Twitter // Instagram