Deux jours après l’annonce de la disparition de l’immense chanteur Christophe, l’équipe de chroniqueurs d’Addict-Culture a soigné sa tristesse en lui consacrant cet hommage collectif : comme vous allez pouvoir le constater, son oeuvre plurielle, alliant lyrisme éclatant et intimisme mélancolique, aura profondément marqué bon nombre d’entre nous.
Les mots de Jism…
[dropcap]A[/dropcap]llez, soyons fous : et si dans tout ce concert de louanges à propos de Christophe, j’apportais une petite note dissonante ? Non pas que je tienne à me faire conspuer, à dire du mal de Daniel Bevilacqua mais l’homme est… enfin, était complexe, constamment sur le fil du rasoir et générant des émotions et une perception elles aussi complexes. Longtemps, pour moi, Christophe fut un plaisir honteux, un chanteur ringard, l’auteur d’Aline (sorte d’Hélène avec 23 ans d’avance) et de Succès Fou, cœur de cible des ménagères de moins de cinquante ans guère plus crédible que Frédéric François. Il m’aura fallu attendre 1993 et l’avènement de Dominique A pour que la perception que j’avais de lui change. Pourquoi diable Dominique A, chantre de la nouvelle chanson française, déterrait-il ce débris de sous les décombres pour le mettre en avant ? Le Nantais avait piqué ma curiosité et, par son entremise, me fit découvrir Les Paradis Perdus ainsi que Les Mots Bleus. Néanmoins, en 1993, quand on est fondu de Sonic Youth, Ride et autres groupes à guitares fuzz, dire à ses amis que Christophe en fait, c’est superbe, c’est limite inconcevable. Question de crédibilité (et avec le recul, de connerie). Alors on garde ça pour soi, on ronge son frein.
Jusqu’en 1996, année où il sort Bevilacqua, son premier long format après treize ans d’absence. Là je découvre un artiste à l’opposé de ce que j’imaginais : un chanteur complètement ancré dans son époque, à l’affût de la nouveauté, avec des goûts très pointus (l’auteur d’Aline, admirateur de Suicide ? De Leftfield ? Faut arrêter les conneries là), un auteur de variété œuvrant dans l’underground et utilisant des sonorités techno, des nappes synthétiques pour publier un disque hermétique et très personnel, ainsi qu’un personnage haut en couleur, attachant, noctambule à côté de la plaque, alignant difficilement, entre deux silences, trois mots en interview. Bref, en 1996, si Christophe acquiert une certaine respectabilité auprès des critiques et d’un certain public, l’homme commence à forcer mon admiration. Le coup de grâce pour ma part sera rendu cinq ans plus tard au moment de Comm’Si La Terre Penchait. Là je me prends une claque énorme et Christophe entre dans mon panthéon personnel français, entre Bashung et Daho.
En 2001, je peux hurler mon admiration envers Christophe, dire auprès de tous que oui, Le Beau Bizarre, Les Paradis Perdus ou Les Mots Bleus sont de grands disques, que Samouraï ou Clichés D’Amour sont un peu moins grands mais de haute volée. Que oui, sa carrière est tout à fait singulière, digne d’un scénario hollywoodien avec une fin à la Capra : succès, addictions, traversée du désert, renaissance artistique et consécration critique et publique (qui viendra malgré tout un peu plus tard). Mais … mais … il restera toujours une ambivalence chez moi, ambivalence qui alimentera inlassablement mon admiration mais restera toujours présente, même au moment de son décès. Christophe restera pour moi, dans les années 70, le créateur d’un univers au charme suranné, précieux, un pied dans le grandiloquent, l’autre dans l’intemporalité, entre pur génie et ridicule assumé ainsi qu’un constructeur d’édifices sonores passionnants, fou des nouvelles technologies, dans sa toute dernière partie de carrière (Bevilacqua, Comm’Si La Terre Penchait, Aimer Ce Que Nous Sommes, Les Vestiges Du Chaos).
Toute sa vie, sa carrière, n’aura été qu’un paradoxe. Il ne se définissait pas comme musicien, encore moins comme chanteur, et pourtant sa voix, qui n’a jamais subie le poids des années, est l’élément qui l’identifiait aussitôt. Il restait très discret sur sa vie privée mais si vous vouliez tout connaître de lui, il suffisait juste de lire ses textes (son enfance, romancée évidemment, dans Le Dernier Des Bevilacqua, sa passion des voitures, du cinéma dans chacun de ses albums). Il a toujours vécu au bord. De tout. Comme un funambule. En dehors et parmi nous. Avec ça, comment voulez-vous ne pas être pétri de sentiments contradictoires à l’écoute de sa musique. Il était l’un des rares artistes, peut-être même le seul, à susciter autant de remous en moi et rien que pour ça, je lui en serai éternellement reconnaissant.
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Les mots de Ninie…
[dropcap]É[/dropcap]crire sur Christophe… C’est un truc de super costauds me suis-je dit en premier. Comment font-ils ceux qui analysent, mettent en perspective en mode ping-pong en ce moment ? Une énergie qui demande du recul et du sang froid que je n’ai pas en de pareilles circonstances.
Mais ne rien dire, c’est laisser le cercueil se fermer sans moi. Pas que ça me pose un problème à mon Moi tout petit à côté de son très grand Lui. On s’en fiche au fond de mon avis. Juste une peur qu’on ne dise pas, pas tout, qu’on oublie et que l’on n’en reste qu’au stade de quelques souvenirs éparpillés et incomplets. Les madeleines au beurre c’est bon. Au beurre un peu rance, ça craint. Et ne pas tout dire, c’est un deuil qui ne se fera pas chez moi..
Mais parler de quoi ? Parler de moi ? De mon rapport à sa musique ? Non. Parler me semble ridicule, s’amuse-t il à me souffler, alors que je réfléchis à ce que je pourrais en dire.
La réponse est venue du pommeau de la douche brûlante. “Parle du cinéma, Ninie, même si tu n’y connais pas grand chose dans ce domaine”. Voilà, prendre la tangente pour écrire, aller là où je me sentais si bien avec lui car qui mieux que Le Dernier Des Bevilacqua nous faisait vivre le cinéma dans sa musique.
Christophe était cinéphile. Intarissable sur le cinéma,il en parlait parfois plus que sa propre musique en interviews. Spectateur passionné et passeur hors pair, il s’enrichissait des films visionnés durant ses longues nuits blanches chez lui pour nourrir son inspiration et ses disques, en faire de véritables objets cinématographiques à écouter, transgressant très souvent des codes musicaux étriqués. Ecouter un disque de Christophe, c’est fermer les yeux et sentir un film beau et bizarre vous bouleverser les sens. Suivre en mode travelling une nuit Boulevard des Italiens sur Un Peu Menteur. Partir dans un Orient fantasmé sur Odore Di Femina affublée d’une robe Yves Saint Laurent « sous la dentelle, de picot bleu ciel, dans la soie moirée ».
Chez lui, on « astique le réel », les femmes y sont muses et fatales, « même si pas spécialement belles ». Christophe tourne radicalement le dos au naturalisme, semblable à bien des égards à son frère Des Esseintes né un siècle auparavant.
C’est donc tout naturellement que certains réalisateurs se sont tournés vers Christophe pour leurs films, intégrant là ses chansons, comme Alain Corneau dans Les Mots Bleus, ou pour le mettre aux manettes de la bande sonore de leurs films. Georges Lautner pour La Route De Salina dès 1970 ou très récemment Bruno Dumont et sa Jeanne mystique, dans laquelle Christophe délivre une de ses plus belles partitions.
Mais Christophe ne s’est pas contenté de mettre en musique le cinéma. Il est parfois passé devant la caméra, jouant parfois son propre rôle comme dans le film Quand J’Étais Chanteur de Xavier Giannoli, sorti en 2006. Un court-métrage peu connu, Juke-Box, sorti en 2013, où Christophe a le premier rôle, est à ce propos particulièrement saisissant. Première fiction du réalisateur Ilan Klipper, qui s’était auparavant attelé à des documentaires sur le monde policier ou psychiatrique, elle nous raconte l’histoire d’un vieux chanteur, Daniel, qui passe ses journées enfermé chez lui dans un appartement où les vestiges du passé s’accumulent de manière chaotique. Obsédé par ses succès d’antan, l’homme, aux portes de la folie, tourne en rond à la recherche d’un nouveau départ musical. Les services médicaux auxquels il s’oppose tentent de le faire revenir à la raison. En vain, seule compte la recherche de la grâce à travers la création musicale.
Fiction clairement affichée, le film entretient cependant une ambiguïté dès le titre si l’on connait la passion du bonhomme pour les juke-box qu’il collectionnait avec amour. Pendant ces vingt minutes, on se surprend à se demander si c’est la vie de Daniel Berthon ou celle de Daniel Bevilacqua que l’on regarde tant l’histoire semble se calquer sur l’existence atypique de Christophe, oiseau de nuit parisien connu pour vivre reclus, dans son appartement, à chercher des sons sur ses machines. Cette ambivalence est entretenue par la liberté laissée à Christophe d’improviser de la musique durant le film, en prise directe devant la caméra et aussi par quelques détails ici et là, comme ce portrait de lui plus jeune accroché au miroir.
Juke-Box est en cela un objet étonnant. Un film équivoque, ancré dans la fiction mais flirtant parfois avec le documentaire, qui nous permet pendant quelques instants d’approcher ce personnage insaisissable qu’incarnait Christophe. Vivement recommandé à toute personne curieuse de l’artiste, il est à voir ici.
Christophe, ces dernières années, exprimait très régulièrement l’envie d’être acteur et même de monter un one-man show au vu du succès de ses potacheries qu’il aimait balancer sur scène, des blagues qui venaient contrebalancer la mélancolie de ses textes et qui faisaient beaucoup rire son public. On ne saura jamais si cet artiste un peu menteur disait vrai car la maladie aura mis un coup d’arrêt brutal à une carrière, pas prête de s’essouffler, elle. Y a plus de parties au compteur du flipper, rien n’aura plus vraiment le même goût mais qu’à cela ne tienne, continuons d’enfiler nos robes de taffetas et de danser pour lui, sur sa musique qui sonne super, ouverte à tous les coeurs verts.
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Les mots de French Godgiven…
[dropcap]A[/dropcap]près l’avalanche d’hommages de tous horizons qui a suivi l’annonce de la disparition du chanteur et compositeur Daniel Bevilacqua, dit Christophe, il est désormais impossible, pour ceux qui persisteraient encore à lui dénier ce titre, de ne pas voir en lui l’un des piliers essentiels de la pop française du dernier demi-siècle. Du cri primal d’Aline en 1965 jusqu’à la splendeur nacrée et crépusculaire de ce qui restera donc son ultime album studio original, Les Vestiges Du Chaos publié en 2016, la musique de Christophe aura bravé les outrages du temps et traversé les années tout en touchant plusieurs générations conquises par son art habité, délicat et déchirant.
Aussi précieux sur les formats courts (de la ribambelle de tubes qui jalonneront son parcours jusqu’au milieu des années 80, des fébriles Marionnettes au ravageur Succès Fou) que sur la longueur d’albums conçus comme des odyssées intérieures à la fois follement épiques et éminemment personnelles (de la flamme baroque des Paradis Perdus à l’introspection feutrée du Beau Bizarre, en passant par la poignante mise à nu des Mots Bleus), cet artiste curieux de tout (et honteux de rien) aura fait évoluer sa démarche vers des sommets de précision formelle impressionnante, tout en nimbant d’une lumière aveuglante les gouffres de noirceur qui hantaient sa psyché sensible et ébréchée.
Pour ma part, c’est avec l’album Bevilacqua, publié en mai 1996 après de longues années de silence discographique, que j’allais prendre la pleine mesure de l’importance de Christophe. Jetant un pont aussi vertigineux que fragile entre tradition boisée et modernité électronique, ce disque dense et aérien aura asséné un vigoureux démenti à ceux qui ne voyaient plus en lui qu’un survivant ringard, tout juste bon à réinterpréter ses vieux tubes sur des plateaux de télévision glacés et pathétiques : celui que beaucoup considéraient, encore à l’époque, comme un crooner pour midinettes, avait mis un point d’honneur à se réinventer en tête chercheuse musicale, reprenant à son compte, avec une passion communicative balayant tout soupçon d’opportunisme, les (r)évolutions sonores les plus récentes.
Si cet album ne rencontrera pas le succès commercial escompté, il constituera en revanche un retour d’envergure sur le plan artistique, pour ce chanteur qui aura élevé, avec une ambition majestueuse dépourvue de prétention inique, l’exigence au rang d’art majeur, tout en témoignant d’une humilité confondante et généreuse, réfractaire à toute forme d’élitisme. C’est avec la beauté irréelle du long format suivant, le fantasmagorique Comm’Si La Terre Penchait de 2001, que Christophe allait enfin retrouver les faveurs du public pour ne plus s’en séparer : de concerts bouleversants en collaborations pertinentes avec tout ce que le milieu artistique français compte d’héritiers énamourés, largement influencés par le caractère puissamment émotionnel de sa musique, le chanteur allait encore vivre deux décennies d’une activité soutenue et inespérée, consacrant enfin la richesse de son univers comme l’une des plus originales et défricheuses qui soient.
Au final, le plus sidérant dans l’histoire de Christophe, qui rejetait comme personne le terme de « carrière » pour la décrire, aura été sa faculté à s’inscrire avec grâce et discrétion dans le patrimoine culturel national, constituant un trait d’union héroïque et improbable entre les yéyés de Salut Les Copains ! et les branchés indés des Inrocks, les puristes exégètes de Rock & Folk et les frondeurs techno de Trax Magazine, séduisant aussi bien le « grand public » de Michel Drucker que celui, plus marginal, des DJs érudits du collectif underground D*I*R*T*Y Sound System.
Et si « les choses les plus belles au fond / restent toujours en suspension », comme il l’évoquait avec légèreté et conviction combinées sur Le Tourne-Coeur, chanson-somme d’une classe ahurissante, il est clair que sa forme unique de blues astral, nourrie d’une tension fiévreuse et hautement attachante, cumulant accessibilité évidente et orfèvrerie opiniâtre, en aura fait incontestablement partie.
Nul doute qu’elle restera, pour longtemps et pour beaucoup d’entre nous, gravée dans le marbre de notre inconscient collectif comme de nos mémoires individuelles.
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Les mots de Catherine…
[dropcap]U[/dropcap]n soir de 1966, mon grand-père rentre de Paris. A l’époque, je suis une toute petite fille, je vis avec mes grands-parents, à une cinquantaine de kilomètres de Paris. Autant dire le bout du monde… La veille au soir, le pépé m’avait envoyée au lit après une engueulade carabinée. Larmes, cris, etc. Ce jour-là, mon grand-père est allé déjeuner avec de vieux amis. Mon pépé avait une grande gueule, mais un cœur gros comme ça. Il accroche son chapeau et son pardessus, me regarde du coin de l’œil, pose sa serviette de cuir et en extrait une enveloppe kraft, qu’il me tend sans un mot. Dedans, il y avait ça :
Comme sur la photo, avec une dédicace en plus : Christophe, Daniel Bevilacqua, était le neveu d’un ami de mon grand-père. Ce dernier préparait son coup depuis plusieurs semaines. Ce jour-là, dans la campagne du Vexin, une petite fille avait des étoiles dans les yeux. Hélas, le 45 tours dédicacé a fini par disparaître lors d’un déménagement…
De 1970 à 2000, Christophe conduit des voitures trop rapides, perd son permis de conduire, rend hommage à James Dean en écrivant la musique du film de Lautner, La route de Salina, oubliable bien qu’adoré par Quentin Tarantino, joue au poker avec ses copains, Alan Vega par exemple, sort une dizaine d’albums studio dont chacun recèle au minimum une pépite. Des signes magiques que nous envoie, de temps à autre, ce prince des ténèbres, homme paradoxal amoureux de la lumière des juke-box et des voitures de sport, homme de la nuit, homme des silences et des sons qu’il sait comme nul autre attraper au vol pour les faire siens. Ces années-là, les amateurs de musique ont intérêt à s’accrocher, pour le meilleur et pour le pire. Du glam au punk, du post-rock à la house, du grunge au hip hop, il y a de quoi perdre la boule. Christophe, lui, est toujours là. Dans les soirées, on s’arrange pour glisser Les Paradis perdus, Succès fou ou Senorita : les uns vous prennent pour la reine des ringards, mais d’autres sont conquis, pour toujours. Car quand on aime Christophe, c’est pour toujours. En 2001, le miracle : Comm’ si la terre penchait est l’occasion d’un retour sur scène impressionnant.
En mars 2002, c’est encore l’image de ce Daniel Bevilacqua en chemise à carreaux qui m’accompagne au moment où je fais la queue à l’Olympia pour assister au grand « come back » de l’idole des sixties. L’Olympia est bourré à craquer – à l’entracte, c’est un concours de poses. Tout ce que Paris compte de musiciens, chanteurs, auteurs, comédiens, journalistes en mal de visibilité est là. Et même si c’est agaçant pour ceux qui suivent le bonhomme depuis presque 40 ans, tant mieux pour le Beau Bizarre. Un retour magistral, poignant, un souci de l’esthétique et un goût du risque incomparables : ces concerts-là, ceux qui y étaient ne sont pas près de les oublier.
2011, la Machine, cette salle nichée au pied du Moulin Rouge. Alan Vega y donne un concert, le premier depuis… longtemps. Un concert apocalyptique. Christophe arrive, nimbé de fumée bleue. Il est là, fidèle à son vieil ami. Ange gardien ou complice de la nuit vertigineuse ? Un peu des deux sans doute. Pendant ce temps-là, derrière, Daniel Darc et sa fiancée boivent un verre au bar. Ce soir-là, trois légendes aussi fracassées qu’inoubliables sont ensemble, au pied du Moulin Rouge. Aujourd’hui, je rêve de ces trois-là autour d’un magnum de champagne glacé, quelque part dans les limbes, dissimulés derrière un nuage de brume violette et pourpre, veillant sur nous à leur manière.
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Les mots de Christophe Gatschiné…
[dropcap]B[/dropcap]ien des artistes débordent de talent, peu ont une aura. Aussi, je me souviens combien, lors de ce showcase/rencontre du 15 avril 2016, j’avais été fasciné par l’extraordinaire charisme de Christophe. Un corps fragile mais une présence éclatante, cristallisée par cette incomparable voix céleste. Instantanément, il avait suspendu le temps et agrandi l’espace du forum Saint-Lazare, nous faisant entrer en état d’apesanteur pour nous élever vers son univers surnaturel. Sans doute y tutoyait-il déjà le divin.
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Les mots d’Adrien Meignan…
[dropcap]Q[/dropcap]uand j’étais adolescent, je me souviens de Christophe, de l’avis que j’avais sur lui, qui n’était en fait que l’avis de mes parents. C’était ridicule puisque je considérais ce grand artiste comme un plouc qui continuait à faire carrière de son succès passé. Lorsque l’on voyait une affiche d’un de ses concerts ou entendait telle personne lui faire un éloge, moi et mes parents, nous ne comprenions pas, étions dépassés, des ploucs en somme.
Mais comme dit l’expression, il n’y a que les cons qui ne changent pas d’avis, et la vie m’a permis d’apprécier Christophe à sa juste valeur. Un musicien passionné et passionnant, une voix et une douceur particulières. J’ai compris que l’on pouvait l’aimer profondément, qu’il s’agisse de sa musique ou sa personne. Mes ami.e.s qui l’aimaient m’ont appris à aller au-delà de mes préjugés et la véritable rencontre que j’eus avec le talent de Christophe se fit un soir d’été.
C’était il n’y a pas si longtemps, dans la cour d’une école transformée en salle de quartier. J’avais réalisé ma performance de lecture lors du festival qui s’y tenait. Pour la première fois, je me présentais dans une performance. Après le trac, l’adrénaline puis l’apaisement et les félicitations, je me souviens être assis à une table avec un ami et un couple. En arrière fond, un DJ proposait des musiques agréables. Puis il passa le morceau Les Marionnettes.
Avec mes amis, nous discutions et par moment, je levais la tête pour chantonner le refrain et respirer le bonheur que cela produisait. Ce fut ce soir-là où je réalisais que Christophe m’avait accompagné malgré mes avis ridicules d’adolescent. J’aime me remémorer cette soirée et l’air des Marionnettes comme une douce mélopée m’ayant toujours bercé.
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Les mots de Mag Chinaski…
[dropcap]D[/dropcap]ifficile de trouver les mots, car quoi que je dise ils ne seront jamais à la hauteur de ce que je ressens depuis hier soir : une tristesse infinie. Je ne saurais dire quand la rencontre avec Christophe, le Beau Bizarre, a eu lieu, car mon enfance a été bercée, comme sans doute beaucoup d’entre nous, par les succès populaires qu’il nous a laissés, d’Aline aux Mots Bleus. Mais en y réfléchissant un petit peu, c’est sur le tard que j’ai découvert l’univers de ce Dandy avec un grand « D », un drôle d’oiseau nocturne vivant dans un monde qui n’appartenait qu’à lui, habité, fantasque, quelque peu irréel.
Alors je n’aurai pas d’histoires extraordinaires à partager avec vous, pas de souvenirs d’enfance en particulier… et je n’ai même pas eu la chance de le voir en concert… mais je n’oublierai jamais ma première fois avec Les Paradis Perdus. L’émotion intense qui m’a traversée de part en part, les frissons qui ont parcouru ma peau, sous mon casque, transpercée par la beauté sublime des arrangements, la petite larme de joie sur la montée orgasmique du titre homonyme. Mon étonnement quand j’ai découvert que les textes étaient signés Jean-Michel Jarre, oui… tout ça à la fois, même sur le tard. Sa musique est et restera intemporelle, divine… chaque note, un moment de grâce en suspension, suscitant à la fois la joie, la peine, la nostalgie, la vie tout simplement, teintée de bleu. Après cette rencontre au sommet et en toute intimité, je me suis jetée oreilles et âme sur sa discographie et depuis lors il a rejoint mon panthéon des grands de la chanson française… Merci Daniel et bon voyage vers ces lointains paradis !
La séance est finie, le dernier musicien est parti…
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Les mots de Erick D. Hayes…
[dropcap]C[/dropcap]omment j’ai appris à aimer ce qu’il est.
Sous l’ère giscardienne, le choix des chaînes télé se limitait au nombre de trois et l’on ne pouvait éviter les émissions de variétés de Maritie et Gilbert Carpentier. J’avais cinq ans lorsque j’ai vécu la mort tragique de Claude François comme un deuil national. Cela situe les choses. On ne choisissait pas cette culture de masse. C’était un monde donné. Ce qui ne nous empêchait pas d’entretenir une certaine défiance vis à vis d’elle, par l’humour et la caricature.
Pour moi, Christophe a toujours fait partie de ce paysage, au même titre que Dalida, Joe Dassin, Eddy Mitchell… Je m’en suis plutôt tenu à distance pour ne pas dire éloigné à mesure que j’ai grandi. Hormis pour Serge Gainsbourg, outsider toutes catégories. Peu à peu, j’ai tout de même trouvé un peu d’intérêt pour quelques figures par des faits souvent anecdotiques, parfois un peu plus conséquents. Par exemple, Eddy Mitchell demeurera l’éternel mec cool qui présentait La Dernière Séance, la deuxième partie de soirée cinéma à la télé. La chanson générique était aussi, et est toujours, appréciable. Lorsque j’ai vu Eddy Mitchell dans Jusqu’au Bout du Monde de Wim Wenders (1991), mon approbation pour le personnage est montée de plusieurs crans. Pour Christophe, cela a été beaucoup plus tardif. Les Marionnettes et Aline sont pour ainsi dire inscrites au patrimoine national de la chanson française. On ne discute plus de la bienséance de la Tour Eiffel.
Lorsque j’ai commencé à creuser le sillon de l’histoire des musiques électroniques, Christophe a gagné une certaine aura. Les Mots Bleus a été composée avec Jean-Michel Jarre. Je connaissais évidemment la chanson. La voix de Christophe ne m’était pas indifférente, comment pourrait-elle l’être. L’écouter vraiment, par choix, et non plus par inadvertance lors d’un passage radio, est une toute autre démarche… Mais c’est surtout le fait de découvrir qu’il fallait inverser les rôles répartis selon des a priori. Jean-Michel Jarre n’était pas le compositeur, mais le parolier, tandis que Christophe avait conçu la musique sur un orgue Eminent. Figurait même sur ce disque Didier Batard à la basse, membre de Heldon (groupe fondateur en matière de musique électronique rock française), qui officia dans la même période sur des disques de Nougaro et de Manset.
La sortie de l’album Aimer Ce Que Nous Sommes en 2008 m’a totalement converti. Outre sa voix apte à nous emmener plus haut que le firmament, Christophe se révélait être essentiellement un compositeur sachant ciseler son propre écrin. C’est avec cet album que j’ai réellement compris que Christophe était en premier lieu un chercheur de sons. Il déclarait même, à qui voulait bien l’entendre, qu’il ne se considérait pas comme un chanteur et que ce n’était pas « mieux avant ». Bien au contraire, les technologies musicales lui permettaient de s’éclater comme jamais dans ses créations. Sur cet album, les recherches de textures sont poussées très loin, sans pour autant abandonner la simplicité de l’approche mélodique au clavier.
Dans le milieu des aficionados de musiques « avant-gardistes », Aimer Ce Que Nous Sommes a fait l’effet d’une petite bombe à fragmentation. Cela semblait être une blague, une faute de goût : « Quoi ? Tu as acheté l’album de Christophe ? » On aurait pu rapidement conclure à une manœuvre d’artiste en quête de respectabilité, vu la longueur de la liste des participants : les trompettistes Erik Truffaz et Jac Berrocal, Pamelia Kurstin au thérémine, Christophe Van Huffel et Murcof à l’électronique, Patrick Muller aux claviers, Steve Argüelles à la batterie… Et, choc des mondes, la voix d’Isabelle Adjani sur le titre d’ouverture « Wo Wo Wo Wo ». Ce casting a incontestablement contribué à attirer la curiosité d’un auditoire adepte de musiques « expérimentales ». La qualité de l’album est telle que cela n’a pas été qu’une simple passade. Aimer Ce Que Nous Sommes est une œuvre baroque pleinement contemporaine, dont les deux grands poncifs journalistiques « lynchien » et « lumineux » peuvent être utilisés et confrontés sans en venir à bout. Christophe joue avec les opposés : l’ombre et la lumière, l’acoustique et le synthétique, le mélodique et le bruitisme. Phénomène extrêmement rare dans la chanson française, ce disque ne s’écoute pas seulement pour la voix de son chanteur, mais pour la musique elle-même. Pas trop commun non plus, aucun titre ne se circonscrit à un style en particulier. It Must Be A Sign inclut à la fois des textures aux frontières du silence, la voix vibrante de vieillesse de la photographe Denise Colomb et l’ascenseur émotionnel d’un chœur d’enfants.
Autre exemple, le morceau Interview De… est pratiquement une œuvre de musique acousmatique, une façon de jouer avec la matière sonore. La matière utilisée est celle de bribes d’interviews de Christophe. Sa voix était belle, même lorsqu’il ne faisait simplement que parler. Le choix des extraits et le mixage intègrent une bonne dose d’humour. Christophe dégageait une aura, il avait une stature, mais il ne se prenait pas non plus trop au sérieux. Le titre Interview De… n’est pas fait pour écouter religieusement ses paroles, il est lacéré d’attaques puissantes de « blues industriel ». Le titre de l’album lui-même a quelque chose de programmatique : Aimer Ce Que Nous Sommes est parfait pour méditer au beau milieu de notre chaos contemporain.
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Les mots de Lilie Del Sol…
[dropcap]P[/dropcap]arfois les mots ne viennent pas… les larmes coulent et on ne se l’explique pas. Les mots restent coincés au fond de la gorge. Nouée.
Merci Christophe.
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Les crayons de Cécile…
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Pour mieux revenir sur l’oeuvre pléthorique et foisonnante de Christophe, l’équipe d’Addict-Culture a concocté la playlist suivante, couvrant en trente titres, emblématiques ou plus obscurs, toutes les périodes de son parcours singulier et inimitable :
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Sur Youtube
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Sur Spotify
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