L’audacieuse et pétillante chanteuse de « Retiens mon désir » laisse libre cours à ses envies d’allégresse sur un deuxième album enfiévré qui présage de « Nuits sans sommeil » exaltantes. Nous la rencontrons sous le toit vitré d’une brasserie parisienne pour mieux découvrir les facettes de sa bonne étoile.
Tu n’as pas vraiment fait de pause depuis la sortie de tes EP « Non mais oui » en 2014, suivis de ton 1er album « Retiens mon désir » en 2016 puis de l’EP « Tropi-Cléa » en 2017, avec lesquels tu as beaucoup tourné. Où as-tu trouvé le temps de préparer ce nouvel album ?
Cléa Vincent : Difficile en effet de garder une connexion à la création quand tu es tout le temps sur la route et que tu donnes beaucoup d’énergie sur scène… Ce qui m’a sauvée, c’est de ne pas être toute seule : en 2014, je me suis associée avec Raphaël Léger des Tahiti 80. J’avais composé seule tous les morceaux des EP mais j’ai trouvé avec lui une complicité d’écriture incroyable grâce à laquelle je vais deux fois plus vite. Tout devient simple, les situations se débloquent.
Notre collaboration varie selon les morceaux. C’est chaque fois différent, mais toujours en complémentarité. Pour Nuits sans sommeil , j’ai composé la partie clavier, le chant et la mélodie mais je n’avais pas toutes les paroles. Nous les avons finalisées ensemble et il a sublimé la chanson par sa production, avec ce côté très house. A contrario, il peut aussi me proposer un instrumental sur lequel travailler. On s’alimente mutuellement d’idées, ça crée une émulation. L’exercice est quand même vachement plus amusant qu’en solo.
Autre impression, celle que tout est « facile » pour toi. Pour autant, il y a cette phrase du single Dans les strass dans laquelle tu dis que «Ce n’est pas ce que tu imagines»…
C.V. : Pour la réalisation du clip, Vickie Chérie, du duo The Pirouettes, souhaitait que je joue la « diva de Las Vegas », toute en paillettes, pour évoquer le côté shiny de la vie d’artiste. C’est un mythe qui véhicule pas mal de stéréotypes : la légèreté, les caprices…
Or, dès qu’il y a de la lumière, cela emporte aussi une part d’ombre et il faut savoir toujours maintenir un équilibre psychologique entre les deux. Plus j’avance dans ce métier, plus je m’en rends compte. J’admire ceux qui réussissent à surmonter les épreuves et à tenir dans la durée en gardant la tête froide. Je n’en ai pas beaucoup, mais à ce titre, le succès semble être paradoxalement le plus difficile à gérer.
J’ai la chance d’avoir, je crois, une sorte d’ange gardien et un certain feeling avec les gens. J’ai su me faire accompagner de personnes très solides, présentes à mes côtés pour les bonnes raisons. Cela fait partie de ma stratégie de vie que de rechercher cette bienveillance.
Justement, que ce soit avec ton groupe, ton label, pour tes clips ou les autres projets auxquels tu participes (Garçons notamment, avec Carmen Maria Vega et Zaza Fournier)… tu sembles fonctionner en bande selon un mode Do It Yourself. Esprit de revanche et victoire de la débrouille dans un marché musical compliqué ?
[mks_pullquote align= »left » width= »250″ size= »18″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″] « Mener plusieurs side projects ne me déconcentre pas de mon projet principal – faire de la musique et avancer ensemble – ça contribue au contraire à le nourrir. » [/mks_pullquote]
C.V. : Quand j’étais enfant, je disais à mes parents que plus tard je travaillerai avec mes copains. Ils me répondaient « ce n’est pas possible ma chérie, cela ne se passe pas comme ça dans la vie » (rires). Aujourd’hui c’est pourtant exactement ce que vis : je suis sur scène avec eux et mon label est ma famille…
Peut-être que je recherche de l’affect, en tout cas j’aime m’entourer, être dans un mouvement permanent, constamment en action, et partager avec les gens que j’aime. Mener plusieurs side projects ne me déconcentre pas de mon projet principal – faire de la musique et avancer ensemble – ça contribue au contraire à le nourrir.
Nécessairement, comme je suis assez terrienne et que j’ai besoin de beaucoup de liberté, il est probable que ce chemin de l’indépendance soit celui qui me convienne le mieux. Mais ce n’était pas prémédité, je ne suis pas dans une posture. J’aurais adoré que tout se passe bien à l’époque où j’étais chez Polydor et je n’ai pas spécialement d’amertume. Je ne correspondais pas, c’est tout.
Je suis vraiment heureuse dans le chemin qui est le mien aujourd’hui. Il correspond davantage à ma philosophie et me permet d’être proche des gens avec lesquels je travaille et du public, tout en gardant le tempo. Ce ne serait pas possible dans un gros label. De l’idée à sa réalisation, tout va beaucoup plus vite quand tu es indé. Je me sentirais très frustrée d’être bloquée dans une démarche artistique, qu’on me dise d’attendre deux ou trois ans pour la concrétiser !
Au risque de paraître naïve, mon rêve est de pouvoir jouer partout, tout le temps, plutôt que de passer chez Drucker…
On sent sur ce nouvel album comme l’envie de t’affirmer davantage voire de régler quelques comptes. En tout cas de remettre les pendules à l’heure quant à ce que tu es, au-delà de l’image de fille sage qu’on a pu te coller.
C.V. : Ta réflexion me fait penser à France Gall, femme-enfant interprétant Les Sucettes puis véritablement femme après sa rencontre avec Michel Berger. Il y a un peu de cette rupture sur ce disque.
C’est pour cela que je suis allée chercher deux producteurs, Raphaël Léger et Clément Roussel. Je savais qu’ils allaient m’aider dans cette orientation. Une évolution liée à mon âge et à tout ce que j’ai vécu depuis la sortie de Retiens mon désir. Mon oreille et mes goûts se sont affinés et j’ai désormais une vision très précise de ce que je veux, quelque chose de direct et percutant.
Ce disque doit être une clé d’entrée pour des concerts plus ardents. Je vois bien comment était foutu mon set. Certains morceaux ont moins leur place aujourd’hui. J’ai vraiment envie d’emmener le public d’un point A à un point B sans jamais lâcher la pression.
La production est en effet plus riche et la musique ouvertement orientée dancefloor, avec des variantes : reggae, électro, deep house, disco baléarique…
C.V. : En commençant à adapter les morceaux pour la scène, je me rends d’autant plus compte que c’est hyper dansant en effet, même si les points d’appui sont différents. C’est un peu l’esprit d’un dj set, avec une unité mais aussi une variation de motifs rythmiques ; l’idée étant de faire danser tout en maintenant une attention.
Ma voix est légèrement cuivrée, elle se détache plutôt bien du mix, tant sur disque qu’en live. Je n’ai donc pas cette crainte que la musique masque les paroles de mes chansons. D’ailleurs, on peut être happé au premier abord par la tonalité électro du disque et puis constater ensuite que je raconte quelque chose et s’intéresser à mes textes. J’aime bien cette double entrée. La démarche me semble plus intéressante que d’arriver en hurlant « Écoutez-moi, j’ai un truc à vous dire ! » (rires). Je préfère qu’on accroche sur ma musique et qu’on voit comme derrière il y a de la substance, des messages…
Le disque est très féminin. À l’écoute de « Sexe d’un garçon » ou de « Femme est la nuit », devrais-je dire féministe ?
C.V. : « Sexe d’un garçon » m’est venu du mouvement #MeeToo mais pas uniquement. C’est le résultat de conversations avec mes amies qui me rapportent régulièrement que dans leurs sphères professionnelles, il y a des traitements de faveur à l’égard des hommes. J’apprends des trucs qui me sidèrent, sur les différences de salaires notamment, et cela m’inspire forcément parce que je ne comprends vraiment pas pourquoi !
Depuis mes débuts dans la musique, je n’ai pas eu le sentiment de me situer dans un clivage homme/femme ni de subir quoi que ce soit de sexiste, peut-être parce que je suis optimiste. Mais plus j’y réfléchis et en parle, plus je m’aperçois que ce n’est pas si évident au final…
C’est donc aussi pour moi une façon de m’affirmer dans une démarche positive, sans dénoncer ou jeter la pierre. Ce n’est parce que je ne suis pas un homme que je n’ai pas le droit d’être sur scène et de vous chanter des chansons. Tout comme la parole d’une femme à son travail mérite d’être autant écoutée et prise en compte que celle d’un homme. Personnellement, je n’ai peur de rien !
Tes morceaux sont souvent très addictifs. Il suffit de les écouter une fois pour que le refrain nous colle aux tympans. Au-delà de ton univers pop, es-tu à la recherche du « tube » ?
[mks_pullquote align= »right » width= »250″ size= »18″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″] « Je recherche moins l’efficacité que ce qui me plait » [/mks_pullquote]
C.V. : Je recherche moins l’efficacité que ce qui me plait, et ça peut être long, très long, très très long… On dit que Serge Gainsbourg a écrit La Javanaise » en cinq minutes. Il m’est arrivé de vivre de mini-miracles avec un ou deux morceaux. Mais c’est le plus souvent un véritable enfer de développements et de retournements dans tous les sens.
Mon processus consiste à creuser et creuser encore les brouillons d’une idée jusqu’à ce que naisse un truc qui me parle vraiment, avec ou sans texte. Ensuite, si j’ai le sentiment de tenir quelque chose de fort, je le fais écouter à Raphaël et on le développe jusqu’au bout. Ce n’est pas non plus évident pour moi de faire écouter une nouvelle chanson, c’est même assez flippant…
Il règne aussi comme un parfum de mélancolie, sur « Ici et maintenant » (laisse-moi m’effacer du monde tel qu’il est fait…) et « Phone », ainsi qu’en arrière-goût de morceaux plus up.
C.V. : Complètement. Je déteste la solitude, c’est terrible. Un stress naît chez moi dès qu’apparaît une forme d’abandon. Je provoque ces situations de spleen, en m’isolant une semaine à la campagne par exemple, car elles me font venir des angoisses, des peurs, du manque aussi : un état d’urgence et une tension dont j’ai besoin pour écrire. Cela ressort immanquablement dans mes chansons, comme une autre partie de moi…
Nuits sans sommeil de Cléa Vincent
Midnight Special Records – Sortie le 1er mars 2019
En concert au Krakatoa (Merignac) le 20 mars, au Splendid (Lille) le 23 mars, au Théâtre du Nord (Tourcoing) le 29 mars, à l’EMB (Sannois) le 30 mars, à La Cigale (Paris) le 9 avril.