[mks_dropcap style= »letter » size= »83″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]L[/mks_dropcap]e 14 de la rue Rochefoucauld, à Paris, est infesté de bestioles. Ou, dit autrement, le musée Gustave-Moreau accueille du 18 au 30 mai, le street artist Codex Urbanus – dont l’habituel terrain de jeu se situe quelques rues plus haut, dans le XVIIIe arrondissement, où son bestiaire fait partie du paysage. Le fait qu’un musée de la RMN (Réunion des musées nationaux) montre de l’art contemporain est en soi un événement. Et « chez Gustave », « lieu insolite voulu par le peintre et conçu par lui de son vivant, affirme Juliette Arsène-Henry, conférencière, c’est une première totalement inattendue. » Mais qui fonctionne. Retour sur la genèse d’un dialogue entre des artistes que deux siècles séparent.
« Ça fait des années que je connais l’œuvre de Moreau et que j’ai envie de faire quelque chose dans son musée », explique Codex Urbanus. Le street artist parisien, « entré au musée » via l’Espace Dali et le musée de l’Eventail en 2014 et 2015, confirme aujourd’hui son intention, mais avec une implication plus personnelle. « J’ai fait ma proposition à la direction du musée, je pensais aller au casse-pipe, et pour tout dire, les débuts ont été timides. Je suis arrivé avec un ensemble d’œuvres, réalisées sans leur accord. Il faut prendre en compte que je sors de nulle part : je n’ai pas de cote, juste des petites bêtes sur les murs de Paris. J’étais hyper heureux qu’ils disent oui. »
Ce qui n’était pas gagné quand on sait la réticence muséale vis-à-vis du street art. Mais il y a entre Gustave Moreau et Codex Urbanus des connections évidentes. A commencer par un « univers semblable », justifie Juliette Arsène-Henry, et « un attrait pour le fantastique et l’imaginaire », continue Codex Urbanus qui « trouve louable de représenter des choses qui n’existent pas ». Parmi les muses, les fées, les Galatée et les Thésée (plusieurs milliers de dessins et peintures du maître du symbolisme) prennent place des coupures de journaux retravaillées, des hippocampes roses ailés, un concert d’étranges oiseaux. « Gustave Moreau a développé des mondes étranges peuplés de créatures fantastiques, raconte Juliette Arsène-Henry. Et c’est aussi ce que fait Codex Urbanus en tant que street artist. »
La connexion serait imparfaite si un contre-point n’était pas là pour la sublimer. Gustave Moreau est l’essence même du représentant de la culture muséale dans ce qu’elle a de plus figée. Concevant son propre musée, réfléchissant personnellement aux meubles qui présenteront ses œuvres, l’artiste, mort en 1895, s’inscrit alors dans une volonté d’éternité pour ses toiles et dessins. A la fin de sa vie, il ne sort plus de chez lui. A l’exact opposé, Codex Urbanus est d’abord un street artist qui, de fait, officie dans la rue: « Le street art est éphémère, illégal et gratuit, et sa reconnaissance se fait tous les jours en dehors de la chose muséale. »
Mais alors, le street art au musée: un paradoxe? « Dans le cadre de cette exposition, dit Codex Urbanus, comme à l’Espace Dali ou au musée de l’Eventail, j’interviens en tant qu’artiste. Je ne prends pas de risque comme dans la rue, et la contrepartie, c’est que j’ai nécessairement moins de liberté. Au musée Gustave-Moreau, il suffit de considérer l’environnement qui nécessite une approche délicate. On ne peut pas faire n’importe quoi, n’importe comment. Ce n’est pas comme un mur qu’on choisit dans la rue au milieu de la nuit. Reste qu’exposer dans un musée est un début de reconnaissance et une manière de renouer avec la peinture pour laquelle l’intérêt s’est perdu depuis Duchamp. Et pour moi, ce musée-là en particulier, c’est un rêve de gosse. »
Codex s’invite chez Gustave
Du 18 au 30 mai
Musée national Gustave-Moreau
14, rue de La Rochefoucauld 75009 Paris
La conférencière Juliette Arsène-Henry propose des visites guidées les samedis 21 et 28 mai ainsi qu’un atelier en famille le mercredi 25 mai.