[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]J[/mks_dropcap]e voulais écrire un article.
Je voulais écrire un article sur Comme un Bal de Fantômes et son auteur depuis des semaines. Mais j’ai tardé à le faire et aujourd’hui, il pleut des articles. De bons, de très bons même, de beaux, de très beaux, à tel point que je ne vois pas ce que je pourrais dire de plus ou de mieux. Je ne vois pas du tout et pourtant, je voulais vraiment écrire un article.
Eric Poindron, c’est un type rare et singulier dont j’ignorais encore le nom et l’existence il y a quelques mois. Un drôle de phénomène qui a son propre univers. Un passionné, un curieux, un magicien. Un peu dandy, un peu génie, un peu chapelier fou aussi.
Si je devais l’inscrire dans la lignée de personnages réels ou fictifs, je le décrirais comme un mélange détonnant d’Harry Houdini, de Claude Seignolle (un de ses maîtres), de Fantômas, de Salvador Dali, d’Oscar Wilde et de Lewis Carroll. Il appelle « fantômes » les grands hommes qui lui sont chers. Ceux qui le suivent et l’accompagnent partout, écrivains, poètes, artistes, auxquels ce livre rend merveilleusement hommage.
C‘est une sorte de maître ès fantaisies qui a surgi un jour sur mon écran, « comme un génie hors de sa lampe », en un grand éclair, au moment où la solitude du libraire qui n’est plus m’avait fait perdre mon côté Alice au Pays des Merveilles. Il a surgi de je ne sais où, tel un lapin blanc amical, avec son érudition, sa générosité et sa folie douce et a ranimé l’étincelle. Il l’ignore, mais je lui dois beaucoup. Il pourrait être l’un de mes fantômes.
Par quel miracle, me direz-vous ? C’est qu’il faut le voir pour le croire. Un pied sur terre et l’autre dans les nuages, notre homme est un rêve-à-tout, un éclectique, un saltimbanque, à la passion et à l’humour contagieux. Il trafique des photos dans lesquelles il se met en scène dans des costumes et situations improbables ou hilarantes, sur des vélocipèdes et de drôles d’engins qui raviraient Léonard de Vinci ou Jules Verne. Il pense, comme moi, que les adultes doivent garder leur âme d’enfant. Qu’ils ont le droit de rêver et de s’aventurer eux aussi. Et il le fait, sans hésitation aucune.
Féru de fantastique et de légendes, il collectionne les crânes et les objets étranges, et son cabinet de curiosités en ferait pâlir d’envie plus d’un.
Ce sacré personnage est aussi un écrivain de talent et nous emmène en voyage dans ce roman-poème en fragments qui ne ressemble à aucun autre. Il faut dire que la géographie de notre homme est vaste, de la cathédrale de sa ville natale aux toits de la capitale, de promenades en des lieux familiers en incursions en terres étrangères.
Il y a les expéditions et les voyages intérieurs, les réminiscences du passé et les méditations du moment, la passion des livres et la découverte des écrivains. Entre mélancolie, poésie et fantaisie, l’auteur se raconte en six saisons à travers la mémoire, les lieux, la nature et les grands hommes qu’il admire, dans un recueil que l’on ne saurait résumer mais qui est véritablement à son image : inclassable, érudit et extrêmement touchant.
Eric Poindron, c’est un homme aux mille visages. Un pérégrin. Un pirate. Un poète. Un excentrique qui cultive et assume pleinement sa différence, et aime ceux qui ont « une petite araignée au plafond, des petits singes dans le grenier, des chauves-souris dans le beffroi ».
Il aurait aimé être « raconteur de marelles, essayeur de labyrinthes, dresseur de petits pois et de chat volant », comme je rêvais d’être éleveuse de libellules, charmeuse de serpents ou collectionneuse d’étoiles.
Il n’a de cesse de nous rappeler que l’imagination n’a pas d’âge, avec des aphorismes savoureux tels celui-ci : « il est interdit de faire du vélo dans le ciel de peur de déranger les nuages ». Mais si vous trouvez comment ne pas les déranger, n’hésitez surtout pas, notre ami ne vous en tiendra pas rigueur.
Il célèbre la nature avec la passion d’un artiste et l’innocence émerveillée d’un enfant. Avec lui, les abeilles ont des tailles mannequin, les guêpes caracolent, les papillons s’amusent avec les étoiles. Les souris dansent et les rats de bibliothèques font la lecture aux chats tout gris. Les dames blanches font la ronde avec des fous amusés et des fantômes malheureux. Avec lui, les fées, la poésie et l’amitié gouvernent le monde. Et c’est un enchantement.
Il aime « les pluies de libellules », les blés coupés et les nuits de pleine lune. Il aime la fête, les amis et le vin. S’il était un Dieu, il serait sans doute Dionysos errant de par le monde, entouré de musiciens et de convives, de jolies dames et de catins, entre chants et allégresse, excès et démesure.
Il aime les gitans, la bohème et la liberté. Il aime « les gens de peu et les gens de bien ». Il n’a que faire que l’on soit prince ou berger, énarque ou analphabète, prix Nobel de littérature ou marchand ambulant, ex-libraire ou futur je-ne-sais-quoi. Ou même futur je-ne-sais-rien.
Il chérit l’enfance et les souvenirs, malgré les chagrins que l’on devine, et nous entraîne de presbytères en parvis d’église, de Reims à Paris, d’Ostende à Trêves, des jardins de la mémoire aux quatre coins du monde avec la même tendresse, le même enthousiasme que s’il partait en voyage au pays d’Oz ou en mission sur la lune.
Eric Poindron, c’est un hurluberlu. Un bibliobrius. Un bibliopathe et j’en passe, vous verrez bien. Un amoureux fou des mots et des écrivains, qui passe d’un auteur à l’autre avec une facilité et une érudition remarquables dans un recueil qui l’est tout autant. Un passionné qui nous emmène à la rencontre de mille et un fantômes (la liste en fin d’ouvrage devrait vous laisser songeurs) et dont certains sont aussi les miens : André Dhôtel, Vladimir Nabokov, Lord Byron, Tarjei Vesaas ou Peter Schlemil.
Vous en croiserez et découvrirez bien d’autres encore, parmi lesquels Gérard de Nerval, Paul Fort, Pierre Bergounioux, Apollinaire, Alfred Jarry… Et ne craignez surtout pas de suivre notre homme dans ses pérégrinations de peur de ne pas suivre, justement. Ses écrits sont comme lui : généreux et attachants, qu’importe que l’on ne sache rien des fantômes qu’il convoque ou n’aime guère la poésie.
Eric Poindron, c’est tout simplement un chantre de la vie et de la littérature. Ils sont rares et nécessaires en ce monde de bruit et de fureur. Un libre penseur à l’érudition et la curiosité tellement étonnante et insatiable, que l’on ne peut s’empêcher de le trouver formidable. Il travaille aux éditions Le Castor Astral et dirige une collection qui lui ressemble, dont le nom lui va comme un gant : Curiosa & cætera…
Je voulais donc écrire un article sur Comme un Bal des Fantômes et son auteur, et vous dire mille choses. Je voulais écrire un bel article, très sérieux et professionnel. Je comptais y mettre de la poésie, des feux d’artifice, des éloges et tout le tralala, comme l’ont fait les autres.
Je voulais vous inciter à aller à ce bal extraordinaire pour vous permettre d’y rencontrer fantômes et dames blanches, papillons et libellules, gens de plumes et Jean de la lune. Parce que ce livre est rare, que c’est un véritable cabinet de curiosités en soi et que j’aurais bien voulu que vous découvriez, vous aussi, cet enchanteur des temps modernes et son univers singulier.
Mais voilà, j’ai tardé à le faire et aujourd’hui, il pleut des articles. De bons, de très bons même, de beaux, de très beaux, et je ne vois pas ce que je pourrais dire de plus ou de mieux. Je ne vois pas du tout… Tant pis pour moi !
Comme un Bal des Fantômes d’Eric Poindron
Juin 2017 – collection Curiosa & cætera – éditions Le Castor Astral
À noter aussi, l’excellent L’Étrange Questionnaire d’Eric Poindron, paru aux éditions les Venterniers en novembre 2016.