[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#c98e18″]B[/mks_dropcap]esoin de vous détendre ? Prenez un coup d’Édouard Launet ! Non, ce n’est pas une nouvelle liqueur bobo parisienne… mais un cocktail euphorisant de faits divers savamment dosés, et drôlement commentés.
Composé de 68 très courts billets, ce livre, léger comme “une saucisse de Morteau dans la stratosphère” (fait divers n°34), se dévore sans faim. Sans aucune prétention, Édouard Launet s’amuse à commenter un inventaire de faits divers, tous plus « croquignolesques » les uns que les autres.
Ici, rien ne pèse : pas d’analyse sémiologique à la Barthes ou de circonvolutions littéraires à la Flaubert (qui s’inspira jadis d’un fait divers pour construire sa Bovary). Il prend le fait divers avec d’autres pincettes. Dans une forme de journalisme récréatif, il nous livre l’incongruité du monde avec beaucoup d’humour et une grosse tranche de dérision. Un chouette divertissement, en somme.
Un homme sans divertissement
Évidemment, nous n’avons pas affaire ici à de la grande littérature, ni même à une quelconque visée scientifique (contrairement à ce que le sous-titre peut laisser entendre). Édouard Launet attrape le fait divers par sa fonction première : le divertissement.
Oui, même s’il est souvent atroce ou gore, le fait divers divertit. Et le fait même très bien. D’une certaine manière, on n’a pas trouvé mieux que ces nouvelles fantastiques du quotidien pour masquer la misère infinie de l’homme sans dieu blabla….
Il n’est qu’à voir la place considérable que le fait divers tient dans nos journaux ; et à le mettre en rapport avec l’impact insignifiant qu’il a sur le monde et sur nos vies. Et c’est pourquoi rassembler une soixantaine de ceux-ci ne pouvait que fonctionner. En y ajoutant un angle gentiment scientifique, en traitant ces petits faits divers comme des faits de laboratoire, Édouard Launet ne fait qu’accroître leur pouvoir comique.
Le livre s’affirme donc d’abord comme un piège imparable… et comme le parfait cadeau de Noël à sa belle famille. De quoi nourrir une bonne dizaine d’années de dîners mondains.
Défi ultime à l’imagination
Certes, il y a de ça chez Édouard Launet. Surtout si vous piochez dedans comme on picore des chocolats pralinés un soir de gros cafard. Mais pour le critique consciencieux (c’est moi) qui le lit d’une traite, l’effet d’accumulation crée vite une sensation étrange. Une sorte de cri intérieur du genre : “ils sont fous ces humains !”. Comme si “ces humains” n’étaient pas vraiment les mêmes que nos humains à nous.
En réalité, le fait divers dessine peu à peu un univers parallèle. Un univers étranger où la vie dépasse (et de loin) l’imagination. Devant nos yeux ébahis, un monde où tout est renversé remplace le monde habituel. Nous voici redevenus enfants, même devant les pires atrocités.
Tout à coup, l’horreur devient comique : “Le présumé violeur se défend : “j’ai trébuché et je l’ai pénétrée par accident”. Le rêve devient réalité : “Il oublie sa femme à la station-service et ne s’en aperçoit que 100 kilomètres plus loin”. La mafia change ses méthodes : “Sicile : ils tuent leur invité avec une motte de beurre”.
On rit noir, mais on rit quand même, avouez-le.
C’est un peu la théorie du chaos à la portée d’un chien (écrasé). La combinatoire du monde s’affole et tout devient possible. Même l’impensable : “Après une opération chirurgicale, un italien se réveille en parlant français”. Pauvre homme…
Défaite de la pensée, victoire de la poésie
Édouard Launet tente, comme nous le faisons tous, de donner du sens à l’insensé. C’est dans notre nature. Ces défis à la raison nous stimulent. Mais même s’il met chaque fait divers en regard d’un fait scientifique, on comprend vite que l’ambition est vaine. La science est toujours dépassée par la vie. Le fait divers apporte la preuve (scientifique) que la vie est proprement inépuisable.
Définitivement, notre monde est plus free jazz que menuet. Le fait divers est la fausse note qui redonne des couleurs à la musique de nos jours On pourrait se lever chaque jour avec pour seule bonne raison celle de lire une nouvelle fois la rubrique intarissable.
“Qu’est-ce que la vie a bien pu inventer ce matin ?” Quelque chose de fortuit, de l’ordre de l’anomalie, qui échappe au construit, et donc à la science. Le monde en est plein. Comme autant de ressources de rêverie, de sursauts et de rires éternels.
L’intelligence aussi a besoin de ces moments de désaxement (et de délassement). Le sous-titre est trompeur. C’est moins la science des faits divers qu’il nous est donné de lire, que la poésie de la vie. La réalité seule a la légitimité d’écrire ces histoires invraisemblables.
Aussi, sans rien enlever à Édouard Launet, c’est à la vie elle-même qu’il faut finalement décerner le titre du plus formidable poète et du plus grand comique de tous les temps.
Le Coup de Marteau sur la Tête du Chat d’Édouard Launet
paru chez Seuil le 12 octobre 2017.