[mks_icon icon= »fa-star-o » color= »#fffff » type= »fa »] [mks_highlight color= »#fffff »] Les coups de cœur de Célina[/mks_highlight]
Motorman
Et une dernière suggestion de livre de poche à déposer sous le sapin. Attention, livre plus qu’étrange. Celui ou celle qui le recevra pourra se demander si les lutins du Père Noël n’étaient pas sous acide quand ils ont confectionné ce cadeau. Publié aux États-Unis en 1972, épuisé ensuite jusqu’en 2004, ce premier roman de David Ohle, auteur méconnu en France, a la réputation d’être culte. Il suscita l’enthousiasme de lecteurs touchés, certains se dirent foudroyés, par une poésie de l’étrange, nourrie d’inventions langagières, de visions dystopiques très fortes, d’une mélancolie prégnante, d’une imagination folle, gracile, presque enchantée.
Le héros de ce récit s’appelle Moldenke et n’a plus qu’un seul poumon mais quatre cœurs transplantés de moutons. Reclus dans son appartement, il regarde à travers sa fenêtre-hublot le ciel de Texaco City faisant s’alterner deux soleils et sept lunes. Il subit les appels téléphoniques incessants d’un mystérieux Bunce, témoin de tous ses faits et gestes. Il a la nostalgie d’un temps qu’il a peut-être vécu, ou bien rêvé, où l’air était encore respirable. Et un jour, il trouve la force de quitter la ville, affrontant le Dehors et les Fonds.
Je ne suis pas férue de SF mais les premières lignes de ce roman m’ont happée.Je n’ai pu m’empêcher de tourner les pages, envoûtée, m’attachant intimement à Moldenke, personnage en quête de vie et de liberté. Voici ce qu’en dit Ben Marcus, qui a rédigé la préface irrésistible de la réédition américaine de 2004 : « Lire Motorman aujourd’hui c’est rencontrer la preuve qu’un livre peut à la fois être émouvant et excentrique, maculé d’humanité et artistiquement ambitieux, sens dessus dessous pour cause de chagrin et éblouissant par le spectacle qu’il offre »…
David Ohle, Motorman, traduit de l’anglais (États-Unis) par Nicolas Richard, Éditions Cambourakis Poche, novembre 2016
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[mks_icon icon= »fa-star-o » color= »#fffff » type= »fa »] [mks_highlight color= »#fffff »] Les coups de cœur de Monica[/mks_highlight]
N’essuie jamais de larmes sans gants
N’essuie jamais de larmes sans gants de Jonas Gardell aux éditions Gaïa. Pour l’amour, pour la tendresse, pour la passion. Pour se rappeler que certains combats ne sont toujours pas gagnés. Pour le côté documentaire de ce roman éblouissant qui vous touchera au plus profond de votre âme. Rasmus, Benjamin, Paul, Reine, Seppo, Lars-Ake, Bengt, amis, amoureux, une famille qu’ils se sont construite et qui se prendra en pleine figure l’arrivée de l’épidémie de SIDA au début des années 1980 à Stockholm. Un roman indispensable, sublime.
Jonas Gardell, N’essuie jamais de larmes sans gants traduit du suédois par Jean-Baptiste Coursaud et Lena Grumbach, éditions Gaïa
La maison dans laquelle
Je défie quiconque de me trouver quelque chose d’équivalent, un livre qui s’immisce en vous avec une telle force, un roman dont les personnages vous accompagnent du matin au soir, même pendant les heures où le bouquin est fermé, éteint, en veille. La Maison dans Laquelle est l’un des livres qui auront marqué l’année 2016 en France grâce aux éditions Monsieur Toussaint Louverture. Il fallait trouver et publier ce roman ! La Maison accueille les éclopés, les manchots, les aveugles, les inadaptés ou présumés comme tels, tous mineurs, tous différents. En son sein des groupes, des bandes, avec chacune un chef à leur tête. Un microcosme autonome, régi par des lois tacites et dont l’organisation, sous couvert d’anarchie, est réglée comme du papier à musique. Mais pour la comprendre il faut en être. Une superbe métaphore sur 953 pages.
La Maison dans Laquelle, Mariam Petrosyan, Traduction Raphaëlle Pache, Éditions Monsieur Toussaint Louverture, 2016
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[mks_icon icon= »fa-star-o » color= »#fffff » type= »fa »] [mks_highlight color= »#fffff »] Les coups de cœur de Velda[/mks_highlight]
Double suicide manqué aux 48 cascades d’Akamé
Un roman dérangeant, magnifique et superbement traduit par Véronique Perrin, qui a su rendre des niveaux de langage et d’expression très différents, tout en nous offrant une lecture fluide, où les obstacles secrets sont autant de progressions vers une intimité grandissante avec les mots de l’auteur. Double suicide manqué… raconte l’histoire d’un homme qui s’applique à s’arrêter de vivre, à oublier ses repères, à renoncer. Loin de Tokyo, occupé à un travail minable, Ikushima Yoichi fait des choses simples… Peut-on renoncer au monde tout en continuant à y vivre ? Lui échapper quand il nous rattrape ? Peut-on être désespéré et aimer quand même ? Aimer, comment ? Ce ne sont que quelques-unes des questions que soulève ce roman très troublant.
Kurumatani Chōkitsu, Double suicide manqué aux 48 cascades d’Akamé, traduit du japonais par Véronique Perrin, éditions Vagabonde.
Envoyée spéciale
Si vous ne connaissez pas Echenoz, ne vous attendez surtout pas à un roman à la John Le Carré. Si Echenoz tisse avec habileté et précision une intrigue complexe, l’aventure du lecteur est guidée par le style de l’écrivain. Il emmène ses héros, à commencer par Constance, enlevée pour d’obscures raisons, séquestrée dans la Creuse, puis expédiée en Corée du nord pour une mission rocambolesque, d’un Paris décrit « à la Modiano », par quartiers, par rues, par lieux minutieusement détaillés, à une campagne creusoise bien loin des récits à la nature writing, pour les faire échouer là-bas, en Corée du nord, un pays décrit de façon froide, clinique, et d’autant plus effrayante.
Si vous lisez Envoyée spéciale, laissez de côté vos bonnes vieilles habitudes : ce texte formidablement écrit va vous soustraire à votre confort, vous arracher des rires hystériques, des interrogations métaphysiques ou pataphysiques, vous plonger dans un voluptueux plaisir dont il serait vraiment dommage de se priver.
Jean Echenoz, Envoyée spéciale, éditions de Minuit
Les Moutons électriques
Pour terminer, une heureuse initiative des Moutons électriques et du collectif d’éditeurs « Les Indés de l’imaginaire » (ActuSF, Mnémos et les Moutons électriques), qui proposent pour les fêtes de fin d’année une série de « paniers », des colis à prix cassés contenant chacun une sélection de titres épuisés et hors commercialisation. Au programme : « Mondes mécaniques et lointains« , « Mondes merveilleux » et « Mondes dangereux« .
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[mks_icon icon= »fa-star-o » color= »#fffff » type= »fa »] [mks_highlight color= »#fffff »] Les coups de cœur de Gringo Pimento[/mks_highlight]
On se souvient du nom des assassins
Vous cherchez du romanesque ? On se souvient du nom des assassins est fait pour vous.
Dominique Maisons, après un formidable et très noir Festin des fauves est de retour en cette rentrée littéraire 2016 et le moins que l’on puisse dire c’est qu’il ne nous déçoit pas. Loin de là !
Tout d’abord, je veux souligner le risque pris par l’auteur. Il sort de sa zone de confort et nous propose un roman, certes policier mais policier début de XXème siècle. Il aurait pu repartir sur un nouveau roman noir, moderne, avec une intrigue utilisant les technologies actuelles. Pas du tout. Il situe son intrigue début 1900, 1909 pour être exact, avec deux héros singuliers. Un journaliste écrivain très connu et un jeune homme issu de l’immigration italienne qui devient son secrétaire-ami-homme à tout faire.
Quelques personnages gravitent autour d’eux. Des psychologues, des médecins, des libraires, des militaires, des domestiques. Des gentils, des méchants très méchants. Des meurtres rituels, des enquêtes, des poursuites, une histoire d’amour. Tout y passe.
Cela pourrait paraître banal et déjà-vu mais Dominique Maisons nous prend complètement et nous emmène dans son histoire. D’abord par son style. Il se lance dans une écriture très début du siècle, quasiment surannée mais délicieuse et adaptée à son propos. L’usage quasi systématique du passé simple par exemple est une merveille. Il est aussi capable de passer de scènes intimes à des scènes d’actions hallucinantes et rarement vues. Et surtout, il nous donne un rythme. Impossible de lâcher son roman. Il pourrait presque se lire d’une traite.
Un grand roman d’aventures policières. Un hommage merveilleux aux polars d’antan.
On se souvient du nom des assassins de Dominique Maisons, Éditions de La Martinière, octobre 2016
Albergo Italia
Bourré de références littéraires, Albergo Italia est un roman policier prenant place dans une colonie italienne, en Érythrée. L’armée est en place, des policiers
également. Deux particulièrement. Un italien, Colaprico et son adjoint africain Ogba. Ces deux là s’entendent comme larron en foire, ce qui déplait fortement aux autorités. Holmes et Watson en quelque sorte. Mais ici, Carlo Lucarelli fait de l’adjoint le plus malin des deux. C’est lui qui fera avancer le plus l’enquête. Car enquête policière il y a: un mort dans une chambre close.
Magie noire, spiritisme, meurtres dans une ambiance malsaine de colonie et de racisme.
Un court roman très prenant.
Albergo Italia de Carlo Lucarelli, traduit de l’italien par Serge Quadruppani, éditions Métailié, octobre 2016
Le convalescent
Il en faut du culot, pour un premier roman, pour appeler son héros Akos Pfliegman, en faire un homme quasi nain, chauve, infirme et muet. De plus Akos est le dernier de sa lignée et Jessica Anthony a décidé de nous raconter non seulement son histoire mais également celle de ses ancêtres.
Le roman est un va et vient entre le présent d’Akos et celui, des siècles avant, de quelques tribus barbares dans le bassin des Carpates. Pour corser le tout, Akos est amoureux d’un docteur. Grande âme, elle tente de le soigner, contre l’avis de tous.
Un roman des origines, drôle et tendre mais aussi furieux et terrible. Jessica Anthony, un auteur à suivre!
Le convalescent de Jessica Anthony, traduit de l’anglais (États-Unis) par Pierre Demarty, Cherche midi, juin 2016
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[mks_icon icon= »fa-star-o » color= »#fffff » type= »fa »] [mks_highlight color= »#fffff »] Les coups de cœur de Marianne[/mks_highlight]
La Revue 303
La revue 303 (pour l’addition des numéros de départements qui composent le Pays de la Loire) s’est lancée dans un ambitieux projet : créer un Hors-série sur la bande dessinée. Neuvième art aux styles et personnages multiples, il y a beaucoup de choses à en dire. Ici, chacun pourra se régaler des créations originales d’une vingtaine d’auteurs : entretiens, dessins, portraits, essais, photographies. On y trouve des noms tels que Pascal Rabaté, Etienne Davodeau, Marc-Antoine Mathieu, Brüno, Hervé Tanquerelle, Cyril Pedrosa, Gwen de Bonneval et beaucoup d’autres. La lumière est faite sur la richesse du monde de la BD et confirme son statut d’art à part entière. Le directeur éditorial n’est autre que François-Jean Goudeau, premier directeur et créateur de la médiathèque La Bulle à Mazé, pôle référence de la bande dessinée où œuvre une équipe survitaminée et passionnée. La maquette est également très soignée et en fait un très bel bojet, à offrir aux amateurs, spécialistes et curieux qui sauront apprécier la qualité du travail fourni par 303.
Disponible aux Editions 303.
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[mks_icon icon= »fa-star-o » color= »#fffff » type= »fa »] [mks_highlight color= »#fffff »] Les coups de cœur de Barz[/mks_highlight]
10:04
Ben a eu la chance et la surprise d’être récompensé d’un immense succès critique pour son premier roman. Un éditeur lui propose donc un à-valoir à six chiffres pour l’écriture et la publication de son deuxième roman. Le problème est que Ben se vit d’avantage comme un poète que comme un romancier et qu’il considérait déjà son premier roman comme une imposture. Entre questionnements sur les différentes façons de dépenser une telle somme d’argent et interrogations sur les dérèglements du monde de l’édition qui propose des sommes faramineuses à des auteurs sur la base de pas grand chose, Ben Lerner dresse un autoportrait étonnant et insolent d’un romancier poète génial qui se vit comme un Tartuffe. Après son fantastique premier roman Au départ d’Atocha, Ben Lerner récidive et bouscule résolument les frontières de la narration.
Ben Lerner, 10:04, traduit de l’anglais (États-Unis) par Jakuta Alikavazovic, Éditions de l’Olivier, 2016
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[mks_icon icon= »fa-star-o » color= »#fffff » type= »fa »] [mks_highlight color= »#fffff »] Les coups de cœur de Lou[/mks_highlight]
Adieu, je pars à la gare
« Il a fait beau, il a plu hier ; c’est un peu toute ma vie. Et pourtant, non ! Hier j’ai mené une existence vraiment extraordinaire […] »
« […] et que tu n’as pas compris que la réclame lumineuse de “ Sunlight ”, si je me souviens bien doublait le décor et que je ne t’en aime pas moins pour cela et que si tu continues à te montrer si froide dans tes lettres tu me feras complètement perdre la tête, car c’est dans la logique de l’amour et qu’il pleut à faire déborder les fontaines et que je viens de relire Nietzsche […] »
« À la suite de tes lettres ma tête a une très grande effervescence et je m’amuse à la boire continuellement sans songer à rien. »
Arthur Cravan est un homme mystérieux, fascinant, subversif, flamboyant. En trente et un ans, le splendide géant de plus de deux mètres a été poète, boxeur, aventurier, précurseur de dada, directeur de la revue Maintenant vendue à la criée, anticonformiste, irrévérencieux, provocateur prompt au scandale, tombeur, amant, noceur.
À New York, qu’il a rejoint pour fuir la guerre en Europe, Arthur Cravan a une aventure avec Sophie Treadwell, dramaturge, journaliste, et maîtresse de Marcel Duchamp. La jeune femme, quelques jours plus tard, roule vers l’Ouest en automobile. Arthur reste à New York et désespère de la revoir. Il lui écrit trente-cinq lettres entre le printemps 1917 à sa disparition en 1918. Puis l’on perd sa piste entre Mexico et Buenos Aires… Un naufrage au large du golfe du Mexique, peut-être une balle près d’une frontière. Ses lettres à Sophie Treadwell vibrent de sa fureur et de sa fièvre, de son effervescence, de sa fascination pour la vitesse et le mouvement. La dernière, une carte postale qui annonce un long voyage, porte les dernières lignes que l’on connaît de lui.
Les éditions Cent pages avaient édité, en 2014, un volume magnifique intitulé Pas maintenant qui regroupait une série d’images du combat de boxe entre Arthur Cravan et Jack Johnson, les lettres à Sophie Treadwell et le prosopoème Notes, chef-d’œuvre du poète. Publier indépendamment les lettres est une merveilleuse idée et Adieu, je pars à la gare est un livre précieux, un objet conçu et fabriqué avec soin, de sa couverture d’un noir mat aux fac-similés et aux ex-libris glissés entre les pages. Un vrai trésor et un beau cadeau.
Adieu, je pars à la gare, Arthur Cravan, Cent pages, 2016. (Édition, retranscription et notes de Bertrand Lacarelle.)
Le vide de la distance n’est nulle part ailleurs
« Le langage, c’est simplement la matière restante pouvant être tracée. »
« Or, c’est un fait que nous n’avons pas de récepteurs sensoriels spécifiques dédiés à la perception de cette étendue. Mais l’au-delà peut être considéré comme valide, puisqu’en son noyau la matière s’est formée à minuit, heure sidérale. »
Un coffret blanc, tranche noire. Noires les pages, troublées par du bruit. Des lettres brouillées foncent la page, lettres superposées, enchevêtrées. Puis des mots se dégagent, que l’on aperçoit, déchiffre, attrape. Des phrases parsemées, de plus en plus nombreuses. Les pages blanchissent, les nuages de mots s’éclaircissent, et n’apparaissent plus que quelques lignes, une voix seule dans le silence évoque l’univers, les photons, le langage, la communication, les rêves, la distance, les civilisations, l’inconscient, la physique, la métaphysique. Qui questionne le vide.
Le vide de la distance n’est nulle part ailleurs est un très beau livre graphique qui prolonge sur papier l’installation multimédia This Is Major Tom To Ground Control, un projet artistique de Véronique Béland qui relie les radiotélescopes de l’Observatoire de Paris à un générateur automatique de textes aléatoires qui retranscrit en temps réel la « voix de l’Univers ». Véronique Béland a plongé dans le corpus pour assembler des particules choisies qui composent un texte poétique fragmenté qui interroge le sens du langage et rappelle le surréalisme et l’écriture automatique des Champs magnétiques de Soupault et Breton. Il est édité par le précieux label sun/sun, « éditeur de livres, créateurs d’objets »
Le vide de la distance n’est nulle part ailleurs, Véronique Béland. Ouvrage édité par sun/sun, co-édité avec le label Bipolar et co-produit par Rurart, 2016.
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