[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#a2b1de »]E[/mks_dropcap]n réalisant son premier film, après une carrière de réalisateur de court-métrages et de directeur de la photographie notamment, le franco-canadien Eric Gravel n’a pas voulu se cantonner à un seul registre.
C’est comme si, à l’occasion de ce grand saut, il avait voulu éprouver sa capacité à faire rire le spectateur avant de l’émouvoir, puis de lui faire serrer les dents devant les épreuves subies par son héroïne.
Crash Test Aglaé commence comme une franche comédie, même si son héroïne-titre (India Hair, visage fermé et boudeur, s’ouvrant progressivement), technicienne qui travaille dans les simulations d’accidents sur des mannequins, apprend très tôt que son usine va être fermée et qu’elle a le choix théorique entre une improbable poursuite de son activité en Inde – logique vu le prénom de l’actrice ? – et une reconversion dans un autre domaine sur le territoire français. La jeune femme, dont les troubles obsessionnels ne trouvent à être canalisés que dans son cadre professionnel, choisit contre toute attente la première solution, entraînant dans son sillage ses deux collègues et amies Lyette (Julie Depardieu) et Marcelle (Yolande Moreau). Le film va suivre son épopée dans un road-movie qui doit la mener au pays de Gandhi.
Une chose est sûre : la critique sociale du capitalisme qui génère les délocalisations et prend les salariés au piège n’intéresse guère Eric Gravel, contrairement à certains de ses homologues qui se sont risqués à cette thématique avec plus ou moins de réussite. Les dirigeants français de la filiale de la firme française qui emploie Aglaé sont traités avec une bouffonnerie un rien désinvolte.
Le film prend de l’ampleur lorsque le trio quitte la région parisienne, se pique de demander des comptes au grand Manitou suisse de l’entreprise, et se dispute sur le fonctionnement des essuie-glaces ou sur le meilleur chemin pour gagner l’Inde.
Un ton décalé juste ce qu’il faut, une dose de loufoquerie exploitée sans excès, des couleurs pop pimpantes, l’abattage de Julie Depardieu, et Yolande Moreau qui fait du Yolande Moreau : cette partie purement comédie est la plus réussie. La confrontation de trois générations d’actrices aux caractères discordants offre au film ses moments les plus savoureux.
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#a2b1de »]C[/mks_dropcap]omme dans une émission de télé-réalité, les deux autres aspirantes à l’aventure orientale sont éliminées successivement par leur manque d’audace et leur aspiration fondamentale au confort : Marcelle dans les bras de l’ex belle-mère allemande d’Aglaé, et Lyette auprès de son ex tout court, un syndicaliste à la manque. Reste notre technicienne, dont le quotidien va être compliqué par diverses mésaventures. Le film mute alors en en improbable survival movie, un genre de Into The Wild à la sauce russo-khazake.
Si le spectateur peut être déboussolé par ce retournement spectaculaire de la forme de l’œuvre, le lien avec le film est maintenu par la grâce de la poésie d’un mariage russe typique, de la beauté des paysages d’Asie centrale (on se souvient des antécédents d’Eric Gravel, rappelés plus haut) et du portrait d’une femme qui se révèle à elle-même, incarnée par une India Hair qui prend elle-même de l’épaisseur cinématographique. Aglaé ne teste plus les accidents, ce sont les accidents qui la testent et la forcent à sortir de sa routine.
Au rayon « Comédie dramatique française », qui a connu des fortunes que l’on qualifiera de diverses pour rester gentil, Crash Test Aglaé est un objet imparfait par volonté d’embrasser trop de genres, mais visuellement séduisant et fondamentalement attachant.
En salles depuis le 2 août 2017.