Pour son premier roman publié en France (et son troisième, dont deux publiés au Québec) Joël Casseus fait une entrée fracassante, ou frappe un grand coup – c’est tout comme – entrant par la grande porte dans la catégorie auteur à suivre (absolument).
Une couverture couleur kraft, aux inscriptions aussi énigmatiques qu’hypnotiques, un objet qui retient l’attention et qui intrigue comme savent si bien le faire les éditions du Tripode, qui cette fois-ci n’a pas recourt à l’immense talent de leur graphiste habituelle, aka Juliette Maroni, mais à un jeune artiste rennais : Anthony Folliard. Voilà pour la forme.
Et pour le fond, me direz-vous ?
Pour le fond : un texte court, vif comme un combat de boxe, et quel combat – un genre de Mohamed Ali qui affronte Georges Foreman en 1974, au minimum. La langue de Joël Casseus vous attrape aux première lignes, et si le procédé narratif peut déstabiliser pendant les dix premières pages, soyez-en sur.e.s, il prend toute son ampleur et toute sa puissance au fil des pages.
Et, en effet, dans les premières pages, on cherche le fil, la caméra va d’un personnage à un autre, sans préambules, pourtant au fil des mots, la narration s’installe, et très vite on identifie le ton, le phrasé de chacun des personnages. Ils sont huit.
Huit voix donc, et huit pensées, huit façon de dire la désillusion, la dévastation, l’exil, la survie. Car c’est de cela dont il s’agira. On ne sait ni où, ni vraiment quand, on trace les contours d’un conflit armé sans commune mesure qui laisse le monde dans lequel évolue nos huit survivants sur une terre dévastée, aride, peuplée de carcasse et de cimetière de drones. Ce flou qui entoure l’histoire s’avère au final une tournure brillante et efficace en cela qu’elle donne au texte une universalité singulière. Ils pourraient être n’importe qui, n’importe où. Ils sont surtout les victimes des dérives mondiales. Ils sont aussi l’image même de ce que fait le monde à l’humanité, de tout ce qu’il créée de peurs, de luttes acharnées, d’inégalités, d’injustice. De ce que l’être humain devient ou peut devenir et de la peur de l’autre qui s’installe et ôte aux uns et aux autres toutes capacités à être ensemble. Femme, enfants, vieux, jeunes, ils n’ont plus de commun que la survie, incapables de dialogues, seulement apte à lutter, s’acharner, se méfier.
Joël Casseus, sociologue, spécialiste du racisme, auteur engagé, signe avec Crépuscules une fable abrupte et sans appel, comme la terre qui l’accueille, une histoire que l’on lit en apnée, aspiré par la violence sourde et latente qui s’en dégage, abasourdi aussi par la beauté des mots et de l’écriture qu’est celle de l’auteur québécois.