[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#495379#5A6A90″]C[/mks_dropcap]yril Herry fait partie des personnages singuliers du monde de l’édition. Bien loin de Paris, beaucoup plus près de Limoges, il préside depuis 2009 aux destinées des éditions Écorce, qui ont publié entre autres Eric Maneval, Séverine Chevalier, Franck Bouysse et Fred Gevart. Photographe et vidéaste, il a donné naissance avec la Manufacture de livres à la collection Territori, qui nous a offert bon nombre de belles surprises depuis sa création. Auteur d’un premier roman, Lille aux mortes paru en 2008 aux éditions Ravet-Anceau, il revient enfin à l’écriture avec Scalp, qui vient de sortir au Seuil. Cyril Herry aime photographier les forêts, les arbres, les carcasses de voitures abandonnées, construire des cabanes dans les bois, la pêche et les feux de bois. On ne s’étonnera donc pas que l’histoire singulière qu’il nous raconte se déroule près d’un étang, en pleine forêt, le plus loin possible des hommes.
Teresa et son fils Hans, 9 ans, voyagent en 4L blanche. Leur destination : l’étang des Froids, niché au milieu d’une des trois forêts de la région. Et, au bord de cet étang, une yourte construite par Alex, le « vrai » père de Hans. Le petit garçon vient d’apprendre que Stan, celui qu’il prenait pour son père, ne l’était pas vraiment, et que le nouveau compagnon de sa mère, Jean-Loïc, qu’il aime bien, a choisi de se jeter d’un des plus hauts viaducs de France. Du même coup, sa mère lui confie que son père biologique, Alex, l’a quittée, qu’il a bourlingué, milité, beaucoup, et s’est installé là, seul, au milieu de nulle part. Sapins, ronces, lierre, hêtres, chênes : voilà la société que s’est choisie Alex, loin des humains. A 9 ans, il y a de quoi mûrir en accéléré…
La yourte est là, mais pas Alex. Aucune trace de l’homme. Teresa décide de poursuivre sa route : elle a prévu de passer quelques jours avec Hans chez des amis, dans l’Aveyron. Mais Hans résiste, se sauve, se cramponne à ce nouveau lieu, qu’il voudrait faire sien, et où, surtout, il voudrait trouver son père. Quelques jours, juste quelques jours, pour lui donner une chance, pour se donner une chance. A partir de ce moment, la place de Teresa change : elle prend la tangente en quelque sorte, et devient le témoin impuissant de la vie de son fils. Elle le regarde sans plus le comprendre, ce petit bonhomme avec ses boucles blondes et ses vêtements qui n’arrêtent pas d’être trop petits… Hans est inébranlable, à sa façon. Teresa plante la tente, près de la yourte : ils resteront, un peu. Ils attendront, en vain. Hans ira pêcher, il sait faire. Il explorera la forêt, et ce qu’il y trouvera ne le réconfortera pas. Teresa, elle, rencontrera un voisin, quelqu’un qui connaît un peu Alex, et qui dit ne pas savoir où il est ni quand il va revenir.
Cyril Herry a-t-il écrit un conte ? L’histoire d’un petit garçon qui devient un homme, ou un enfant sauvage ? Ce sera à vous de juger : au fil de son histoire, il instille, page après page, des pistes d’angoisse, des germes de peur. Comme le dit la 4° de couverture : « On aura toujours peur au fond des bois la nuit venue, quoi qu’on dise. » Oui, on a peur avec Hans, voire on a peur de Hans. Car bientôt, le lecteur se retrouve dans la même position que Teresa : spectateur, impuissant, témoin d’une mutation inéluctable, d’un cheminement inexorable vers la violence. L’enfant Apache, bientôt, ne joue plus. Quant à Teresa, elle s’apercevra vite qu’elle n’a rien à attendre, hormis le pire, des quelques humains qu’elle rencontre.
Scalp, roman initiatique ? Roman noir ? Selon que l’on ait de la nature humaine une vision plus ou moins désespérée, on choisira son camp. Faut-il se tenir loin des hommes ? Est-ce seulement possible ? Cyril Herry, tel qu’en lui-même, construit son histoire à partir de ce qui le fascine ou l’obsède : la forêt, les branches qui servent à se frayer un chemin ou à se défendre, les feuilles sèches qui craquent sous les pas, ou pourrissantes avec leur odeur écœurante, les eaux troubles et poissonneuses, les carcasses de voitures, l’emprise trop souvent barbare de l’homme sur la nature. Il met en scène, tout en subtilité et en sensibilité, le point de bascule entre la lumière et l’ombre, l’ambiguïté de la nature humaine, son pouvoir de nuisance et son insondable lâcheté, mêlée d’un instinct grégaire fatal à celui qui voudrait faire un pas de côté. Belle histoire sombre, Scalp est, aussi, un magnifique portrait d’enfant, un roman à la fois tendre et tendu comme un arc. Une lecture qui, comme toutes celles qui comptent, n’en finit pas de nous hanter quand on croit en avoir terminé.
Cyril Herry, Scalp
Le Seuil, février 2018
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Superbe article qui donne vraiment envie!