[mks_dropcap style= »letter » size= »75″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]D[/mks_dropcap]u 11 octobre au 9 février, les Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique accueillent une exposition inédite à travers laquelle René Magritte et Salvador Dali semblent prendre langue. Les deux éminents ambassadeurs du surréalisme voient leurs œuvres mises en parallèle et reliées par des thématiques aussi diverses que « Formes X Figures », « Écriture X Images », « Objets X Flammes » ou « Rêve X Hallucination ». Si une première tentative de rapprochement eut lieu en décembre 2018 au Dali Museum de Floride, l’exposition bruxelloise élargit la confrontation artistique en l’ouvrant à plus de cent œuvres, issues de quelque quarante musées internationaux et collections privées. Une monstration qui jette une lumière profuse sur les procédés picturaux inédits des deux artistes : le surréalisme réinvente le monde en estompant ses certitudes et accentuant ses convulsions, ce qui se traduit chez eux par une rupture partielle avec les modèles canoniques de la peinture, des représentations classiques investies d’éléments inattendus et une dissonance parfois poussée à son paroxysme – et elle-même renforcée par des titres énigmatiques.
René Magritte et Salvador Dali se rencontrent pour la première fois en 1929, peu après l’arrivée à Paris du peintre espagnol. En août de la même année, le Belge se rend à Cadaqués, le port d’attache catalan de son ami, où il retrouvera Gala et Paul Éluard, Camille Goemans et Luis Buñuel. Cette réunion est importante, car séminale. À partir de là, Magritte et Dali ne vont jamais plus cesser de s’observer, de prendre le pouls de leur œuvre respective, de s’influencer à des degrés divers. Le surréalisme est une réaction à l’effondrement civilisationnel que constitua la guerre 1914-1918. Il a constitué l’un des plus importants courants artistiques du XXe siècle. Ses débordements créatifs sont contenus, et pas seulement en germes, chez René Magritte et Salvador Dali : le premier se définit par une sorte de conceptualisme linguistique (souvenez-vous de la fameuse pipe) quand le second, plus « pulsionnel », se répand en images obsédantes et dans une forme de symbolisme freudien. Leur sensibilité artistique est proche, même si le Belge se joue plus volontiers des formes, des figures et des espaces – souvent entremêlés – quand l’Espagnol, qui lui vouait une profonde admiration, opte pour des images ambiguës et des métamorphoses en tout genre.
La visite débute par des espaces participatifs de co-création, aménagés dans quatre alcôves, mais aussi par deux expériences immersives. On passe ensuite rapidement à la confrontation visuelle des deux artistes, qui semblent dialoguer par tableaux interposés. Une déclaration du Commissaire Michel Draguet permet de prendre la pleine mesure de ce qui se joue alors sous nos yeux : « La relation qui unit Magritte à Dali et Dali à Magritte est sans doute l’une des plus fécondes [du mouvement surréaliste]. » C’est ainsi que les objets en feu peints par Magritte se voient réinjectés dans le « Dîner dans le désert éclairé par les girafes en feu » de Salvador Dali. Magritte se réapproprie la Vénus de Milo en 1931, avant que Dali n’en fasse de même en 1936, la lestant de « tiroirs » semblables à ceux que Freud voulait ouvrir par la psychanalyse. « L’île des morts » d’Arnold Böcklin a d’abord inspiré le peintre belge qui en reproduit l’aspect insulaire avant de s’inviter dans le titre d’un tableau de l’Espagnol (« Cour ouest de l’île des morts »). Quand Magritte présente sa « Réponse imprévue » en 1933, révélant l’essence de la porte et confondant la dualité ouvert/fermé, Dali lui rétorque par « L’expulsion du meuble-aliment » en 1934, les deux tableaux entrant en résonance par la découpe, le couple plein/vide et l’anthropomorphisme inversé.
L’exposition présentée par les Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique met en exergue ces « mises en miroir ». Elles constituent le cœur battant de Dali & Magritte et démontrent que les deux monstres sacrés du surréalisme avaient beaucoup en commun, non seulement dans leur volonté de rompre avec l’académisme des peintres classiques, mais aussi dans le mimétisme qui unissait leur œuvre. Dans leur « Guide du visiteur », les organisateurs verbalisent en ces termes la proximité entre les deux artistes : « À partir de cette rencontre, Magritte se dégage petit à petit de la charge psychanalytique sans doute liée au suicide de sa mère pour creuser la représentation. Progressivement se met en place un questionnement sur l’objet dans sa quotidienneté qui rencontre certaines aspirations de Dali. En sens inverse, le peintre espagnol découvre chez Magritte des « trouvailles » visuelles comme les objets en feu qu’il reprendra à son compte. »