[mks_dropcap style= »letter » size= »52″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]P[/mks_dropcap]our un écrivain, écrire est ce qui lui parait le plus évident. Ce n’est pourtant pas chose simple. Enfin, les gestes oui. S’asseoir devant une machine à écrire, un ordinateur. Ou prendre un stylo, un carnet, une feuille. Et court la fiction, et galope la poésie, et triple-galope l’imagination.
Puis la lassitude. À quoi bon écrire une histoire de sombrero qui tombe du ciel, à quoi bon écrire une histoire de colline à la montagne. Celle que j’aime est partie. Et je parie qu’elle couche avec un autre, qu’elle se fait tringler à quatre rues d’ici. Et moi, avec mes poèmes, merde.
Ce que je ne sais pas, bien sûr, c’est qu’elle dort seule. Qu’elle se tourne et se retourne dans un rêve qui n’est pas le mien. J’ai besoin d’être en colère, d’envoyer tout bazarder, mes vers en mille morceaux. Et tu aimes ça ? Elle est comment sa bite ? Je continue à écrire mais il faut tout foutre à la poubelle. Toute cette fiction, là, envahissante, nuit et jour, qui me cherche des poux. Elle ne m’est d’aucun secours et vit sa vie sans moi.
L’écrivain se met dans la tête de celle. L’écrivain se met dans la tête de celui. À chaque instant.
Il ne lui avait fallu qu’un an environ pour comprendre qu’aimer un type comme lui ne lui faisait aucun bien : il lui en avait fallu un de plus pour y mettre un terme et découvrir qu’elle était bien contente que ça soit fini.
Il y avait même des fois où elle se demandait comment elle avait fait pour tenir si longtemps.
La prochaine fois que je tombe amoureuse, je prends mes précautions, s’était-elle dit. En même temps qu’elle se promettait un autre truc. Qui était que plus jamais elle ne sortirait avec un écrivain : même charmant. Même sensible. Plein d’imagination. Même chouette. Parce qu’un écrivain, au bout du compte, ça ne vaut pas grand-chose. Ça coûte trop cher, côté affectif et en plus, c’est trop compliqué à entretenir. C’est comme d’avoir un aspirateur qui n’arrête pas de tomber en panne et qu’il n’y a qu’Einstein à savoir le réparer.
Non. Son prochain amant, ce serait un balai.
Il ne lui reste que l’écriture, même s’il s’en passerait bien.
Il faut laisser courir, dérouler le fil, certains parlent d’écriture automatique, comme une arme, t’appuies une fois sur la gâchette, et après ça se met en branle, faut juste bien tenir pour pas que ça parte dans tous les sens. Mais il arrive que la fiction prenne ses aises et se débrouille sans l’auteur. Qui, lui, attend désespérément qu’elle revienne, ou au moins qu’elle fasse signe, en tout cas pas qu’elle s’envoie en l’air avec le premier venu à quatre rues d’ici.
Et comme dit le chanteur, Au revoir mon amour, peut-être un autre jour, peut-être une autre année.
À demain.
Retombées de sombrero, de Richard Brautigan, traduit de l’anglais (États-Unis) par Robert Pépin, paru chez 10-18