[mks_dropcap style= »letter » size= »52″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#993366″]A[/mks_dropcap]border la mort avec les enfants n’est jamais chose aisée. Il serait fastidieux et vain de lister les raisons d’une telle difficulté mais elles se situent entre le rejet social puisque nos sociétés de l’Entertainment ont remisé au placard la grande faucheuse, juste à côté d’un monsieur âgé qu’on nommait Dieu, il fut un temps. Entre le rejet social et la peur la plus intime. Le doute auquel nous sommes presque tous confrontés, glace les lèvres des plus vaillants à tenter de dire la fragilité de l’existence, l’éphémère, le cycle de la vie. Même les religieux ou les êtres portés par une grande spiritualité ne trouvent que rarement les mots justes. Et d’ailleurs que savons-nous réellement de la mort ? Le scientisme depuis les Lumières et son fils indigne, le matérialisme, ne laissent que peu de place à la quête philosophique, à la recherche du sens de la vie pas plus qu’à l’amour. Un prochain dossier Vents d’Orage tentera de donner un éclairage nouveau, à tout le moins un peu singulier, à cette problématique de la vie après la vie.
Quelle riche idée, alors, que de convier les plus petits tout aussi bien que les plus grands, à s’interroger par le biais d’une création théâtrale ? Et le théâtre d’ombres semblait effectivement tout indiqué pour ne pas heurter les sensibilités. Le voile se lève, un peu, sans que nous puissions mettre un visage sur les protagonistes qui s’attachent à nous faire faire le pas de côté et tenter de saisir la signification et l’universalité de ce qui nous attend tous. Dans un texte poétique, doux comme le miel et intelligent, le narrateur nous susurre l’histoire d’un enfant à qui l’on a caché des choses… l’histoire d’un secret de famille que sa mère, déjà confrontée à la mort prochaine du mari et père, décide quand il en est temps encore, de révéler à son enfant malade et condamné.
[mks_dropcap style= »letter » size= »52″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#993366″]R[/mks_dropcap]ien ne sera énoncé de manière brutale. C’est bien à cela que servent les contes, après tout. La mort rode, fanfaronne, sûre de son fait et de sa victoire prochaine. Très vite les sourires fascinés par la magie du jeu de lumière s’estompent et la tristesse gagne le spectateur à voir les épaules du jeune garçon s’affaisser, renoncer. Mais les ombres sont joueuses aussi, et l’espoir tenace. Sans jamais verser dans la niaiserie ou l’angélisme, l’auteur Stéphane Jaubertie raconte la bataille, le désir de vivre envers et contre tout, la colombe contre la corneille. A trop la craindre la mort, on la croirait invincible. Elle gagnera, un jour. Pour l’heure, la tumeur bat en retraite parce que tant qu’il y a de la vie…
[mks_dropcap style= »letter » size= »52″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#993366″]S[/mks_dropcap]ans mauvais jeu de mots, tout dans cette création, du texte aux créations visuelles, de la mise en scène au jeu d’acteurs, illumine. Une heure de magie enchanteresse qu’il faudrait montrer à l’humanité toute entière, celle qui court, celle qui oublie, néglige le sort du patient, celle qui fait l’autruche gavée de consumérisme et de jeux, à ne plus vouloir regarder l’issue en face. Notons que tout est construit de main d’homme, tout est d’ombres portées sans aucun effet spécial créé via le numérique. Un travail d’artisan, d’orfèvre ayant demandé au metteur en scène, Johanny Bert, et à son équipe, des mois et des mois de réglages, de tâtonnements, de bricolages pour un résultat aussi moderne que sensible. « De passage » a tout bonnement réinventé un genre tombé en désuétude, celui du théâtre d’ombres… pour le faire passer de l’ombre à la lumière.
[mks_dropcap style= »letter » size= »52″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#993366″]L[/mks_dropcap]e pitch : Pourquoi devrions-nous toujours raconter aux enfants des histoires gaies de lapins bleus ? Travailler pour le jeune public permet de raconter avec sensibilité et responsabilité la fragilité de notre monde. Les enfants sont les princes curieux, dévoreurs de découvertes multiples. L’obscurité aussi les intrigue, la tristesse aussi les attrape.
Et le théâtre peut fonder en eux des sentiments nouveaux pour mieux affronter la réalité et l’importance d’être vivant. Avec beaucoup de délicatesse, Stéphane Jaubertie aborde les sujets de la parentalité, du souvenir et du secret. L’écriture est proche d’un théâtre-récit. Un conte d’aujourd’hui. L’auteur rend le spectateur actif dans sa relation à l’imaginaire. Rien n’est sombre, tout est lumineux et éclatant de vitalité.
De passage
Théâtre d’ombres
Auteur : Stéphane Jaubertie
Avec : Maxime Dubreuil en alternance avec Ludovic Molière, Laëtitia Le Mesle, Christophe Luiz, Cécile Vitrant
Metteur en scène : Johanny Bert assistée de Thomas Gornet
Régie lumière : Gilles Richard
Régie son : Simon Muller
Jusqu’au 5 juin 2016 au Théâtre de l’Epée de Bois, Cartoucherie de Vincennes, 75012 Paris
Puis en tournée dans toute la France
Image bandeau : Jean-Louis Fernandez