[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#003289″]U[/mks_dropcap]ne citation tirée de La Société de Consommation de Jean Baudrillard pourrait être accolée au livre de Cécile Portier, De Toutes Pièces, publié par Quidam éditeur :
La société de consommation a besoin de ses objets pour être et plus précisément elle a besoin de les détruire.
Mais l’auteure place en début de son livre une tout autre citation tenue par Elfriede Jelinek : Voici que le langage en personne veut se mettre à parler ». Ce qui ouvre évidemment à de plus amples interprétations sur ce livre inventif et stimulant.
Il s’agit du journal fictif d’un curateur ayant carte blanche pour composer un cabinet de curiosités. On lui donne l’argent pour trouver les objets qui peupleront ce cabinet et on l’envoie dans un « hangar isolé, proche de la frontière luxembourgeoise, mais du mauvais côté. Et en tout état de cause pas du tout situé dans l’enclave protectrice du franc ». Durant toute une année, cet étrange personnage note dans ce journal ses acquisitions mais aussi ses états d’âmes à son grand regret.
Car ce curateur est pragmatique. Lucide sur l’état du monde, il est un être obsédé par les objets inanimés. Il le dit : « La fragilité des objets m’émeut » ou encore « J’aime chez les objets leurs absences de résiliences ». Il a aussi un goût pour les cadavres et autres squelettes. « Pourquoi le nier ? J’aime comment cède la chair. » dit-il pendant la recension d’objets de torture. Il abhorre les relations humaines si ce n’est même avec le vivant tout court. Mais la carapace de cet être qu’on imagine recroquevillé va se fendre. Il recense dans son journal ses déceptions vis-à-vis des commanditaires qui vont détériorer son humeur.
Il y aura la relation avec un chat, les décisions contradictoires des financiers et puis une chute. Cécile Portier maîtrise à la perfection la construction de ce journal, laisse y transparaître juste assez pour lire entre les lignes. Elle invente la personnalité du curateur et de son univers à travers une langue taillée sur mesure. C’est au final la chronique d’un monde où l’objet a plus d’importance que le vivant et l’humain, où tout s’entasse, s’inventorie, s’admire et se contemple. L’auteure dresse aussi un portrait sensible d’un anti-héros dont le revirement sera la chose la plus touchante, la lueur d’humanité.
De toutes pièces de Cécile Portier
Paru le 20 septembre chez Quidam éditeur