Sébastien voit sa vie bouleverser par un coup de fil. A défaut d’appel téléphonique, c’est cet album qui m’a bouleversé à sa sortie. Mais de quel album parle-t-il ? Du 3ème album de Diabologum, aussi appelé Ce N’est Pas Perdu Pour Tout Le Monde, sorti en octobre 1996, que nos amis D’ici D’ailleurs ont l’idée lumineuse de ressortir 18 ans plus tard accompagné de son lot d’inédits et faces B introuvables. Comme l’objet est imposant, on ne sera pas de trop avec Jism pour vous en parler, mon sémillant partenaire se concentrant sur les inédits, vu que lui, il a le temps de se pencher dessus.
1996, à part quelques francs tireurs solitaires, comme Dominique A, Miossec qui commençait à Boire et Alain Bashung qui revenait sur le devant de la scène, la France, musicalement, c’était le désert ou presque. Heureusement de jeunes labels essayaient de bouleverser les choses. parmi ceux-ci, Lithium, petit label nantais fut notre Creation ou Factory à nous, en accueillant les premiers pas de Dominique A, Françoiz Breut ou Mendelson et bien sûr Diabologum.
Diabologum, c’était d’abord Arnaud Michniak et Michel Cloup. Après 2 bons albums sortis en 1993 et 1994 (C’était Un Lundi Après-midi Semblable Aux Autres et Le Goût du Jour), Diabologum explose leur univers abandonnant le chant pour des textes parlés soutenus par des guitares saturés et des samples.
Quand j’ai découvert cet album à sa sortie, j’avoue avoir été bousculé, interloqué et abasourdi par chaque morceau, une vraie claque de 40 minutes, je n’étais pas le seul, les Inrockuptibles parlaient d’une bombe incendiaire dans le rock français. Comment, chez nous, pouvait-on être aussi original (De la Neige En Eté, rien que le titre ?) Comment ont-ils réussi à allier Expérimentation et Mélodie ? Un mystère, une aberration, une divine surprise.
A Découvrir absolument et 365 jours ouvrables étaient les tubes de notre hiver 1996, pendant que l’épure d’Une Histoire De Séduction nous semblait un ovni et que le classique de Richard Hell Blank Generation se transformait en instrumental beau et triste.
L’album atteint son sommet avec La Maman et La Putain, reprise du monologue de Françoise Lebrun dans le film de Jean Eustache, superbement mis en musique version Post-Rock par le groupe. Diabologum alterne tout le long du disque des morceaux résolument rock (Un Instant Précis) et des pièces plus expérimentales (Dernier Étage). 18 ans plus tard, l’album n’a pas pris une ride, tant il était déjà hors du temps à sa sortie même si clairement ancrée dans la réalité des années 1990. La puissance de l’album fut telle (de même que les prestations scéniques, souvenirs émus d’un concert malouin) que le groupe ne s’en remit pas, changement de Programme pour l’un, une nouvelle expérience pour l’autre.
Pour les chanceux qui les connurent à cette époque, les futurs quadras que nous sommes donc devenus, Lithium proposait #3 en plusieurs éditions avec différents artwork. Les plus malins achetèrent les éditions digipack, proposées avec un cd en bonus : deux morceaux expérimentaux, Tie-Break Pour Bandini II et II—–II, atteignant la longueur de l’album originale, limitées à 1000 exemplaires. Les plus chanceux (et perspicaces si l’on y songe) acquérirent le vinyle édité avec l’artwork bien connu et les morceaux supplémentaires, limité lui à 500 exemplaires. Pensez donc que 500 exemplaires en vinyle, l’objet devint rare et fort coté. Les autres, pour acquérir de nouveau l’objet sous forme de galette noire et imposante durent attendre 18 années, le temps que #3 devienne enfin adulte, jusqu’à ce qu’Ici D’ailleurs, label indispensable, se décide avec l’accord des membres du groupe et de l’ancien patron de Lithium à rééditer la chose.
Comme l’a dit Beach Boy lors de la précédente partie, ce ne sont pas moins de neuf titres quasi introuvables (enfin presque : les Eps A Découvrir Absolument et 365 Jours Ouvrables sont encore disponibles en les cherchant bien, le split avec Manta Ray en revanche c’est une autre paire de manche et ne parlons pas de la compile Lithium #1) et deux inédits qui font ici leur apparition. Pour qui se demandera si l’édition présente est indispensable, je serais tenté de répondre par l’affirmative tant les morceaux proposés ici, sans avoir la puissance ni la cohérence de #3 parce que prévus pour des Eps (pour la plupart) et non pensés pour former un album, sont excellents. La première face propose l’intégralité des deux Eps issus de cette époque ainsi qu’un inédit sorti des sessions de #3. La seconde, beaucoup plus rare, sombre et expérimental, montre un groupe libre, au sommet de son art, capable de produire des morceaux d’une grande intensité et toujours d’actualité presque vingt ans après leur sortie.
Pourtant, au risque de me contredire, à l’écoute de ce second disque, ce qui frappe, justement, c’est la grande cohérence de l’ensemble. Ce ne sont certes que des « chutes » ou encore des rebuts destinés à remplir les Eps, mais comme Diabologum n’est pas tout à fait ordinaire, on sent bien que le groupe, à cette époque, les a pensé comme un tout sans chercher à faire du simple remplissage. Moralité, une fois assemblés, collés, mis bout à bout, comme chaque morceaux de #3, on se retrouve face à une compile ayant plus l’air d’un album, dont la qualité va crescendo jusqu’au magnifique Et Si Nous N’avions Pas Eté Là… qui, s’il reste encore Diabologum dans l’esprit, montre la direction que prendra Michniack avec Programme : minimaliste et intense.
Au final, il y a 19 ans, Diabologum faisait l’événement auprès d’une petite frange d’auditeurs curieux et bousculait le Rock Français comme rarement (et vos deux chroniqueurs avec). Depuis, jusque là, rien n’est venu supplanter ce disque, cet ovni, au point que la réédition fait de nouveau figure d’événement majeur dans le paysage musical actuel. Ici D’ailleurs nous offre une seconde chance de redécouvrir #3, sous un angle différent, n’hésitez pas à la saisir, le jeu en vaut largement la chandelle.