[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]C[/mks_dropcap]omme vous pouvez le constater, 2017 est terminée et je ne pouvais pas finir cette année sans évoquer l’un de ses meilleurs albums dans une catégorie que vous appréciez tous pour sa chaleur, sa sincérité et sa petite touche fleur bleue, à savoir le black metal.
Pour réparer cette injustice flagrante dont, je le sais pertinemment, vous vous seriez bien passés, je m’en vais vous causer d’un jeune groupe allemand, gentil et propre sur lui, qui vient de sortir un second album rien de moins qu’indispensable.
Le groupe, c’est Dauþuz, créé en 2016, avec à sa tête deux jeunes garçons dans le vent, néo-romantiques à leur façon, Aragonyth S, celui qui joue de tous les instruments, et Syderyth G le timide qui vocalise tendrement et joue de la guitare acoustique. Le duo a donc sorti, en octobre dernier, une petite confiserie à déguster tendrement en compagnie de l’être aimé, Die Grubenmähre.
Bon, ok, la confiserie est un tantinet âpre et l’être aimé enterré six pieds sous terre, mais il n’empêche que, hormis ces détails quelque peu superflus, Die Grubenmähre est un des grands disques de l’année 2017, toutes catégories confondues.
Un disque qui commence par vous perdre en plein field recordings, dans une grotte, près d’une source, et se joue des faux-semblants en présentant une charmante introduction de deux minutes totalement acoustique d’une très belle mélancolie, comme si un virtuose de la guitare sèche s’était paumé dans une grotte espagnole pour y jouer la sérénade.
Sauf qu’au lieu d’y trouver sa dulcinée, le gars se retrouve nez à nez avec un ours. D’où les hurlements après le choc, et cette impression de fuite en avant qui se produit à l’écoute du second morceau Extero Metallum, titre à la tension extrême bénéficiant de quelques accalmies (le temps de reprendre son souffle) pour repartir à chaque fois sur les chapeaux de roue.
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]P[/mks_dropcap]our être un peu plus sérieux, Extero Metallum plante le décor de ce que sera le metal de Dauþuz : nerveux, speed, d’une noirceur abyssale et étonnamment dense, bénéficiant d’une maîtrise des silences et des accélérations plutôt incroyables. Un metal violent, intense comme le chant grandiloquent et hurlé du très impressionnant Syderyth (capable de hurler à la fois très haut dans les aigus et bas dans les graves).
Mais la violence, aussi impressionnante soit-elle, serait totalement vaine et tournerait à la démonstration si elle ne s’accompagnait pas d’un savoir-faire mélodique imparable. Bon, là je ne vous parle pas d’un groupe de hard rock capable de vous pondre des soli à rallonge, aussi techniques que chiants (citez qui vous voulez, ne vous gênez pas), mais plutôt de true black metal à l’ancienne constitué de riffs monstrueux, des blasts à n’en plus finir, puisant ses racines en Norvège du côté de Darkthrone.
Donc les mélodies sont noyées sous une chape de désespoir, au point qu’il faille creuser profondément pour les trouver, mais elles sont là, bien présentes. Et ce d’autant plus que les influences de Dauþuz ne se limitent pas seulement à Darkthrone mais également au black metal symphonique d’Emperor, période In The Nightside Eclipse, donnant par cette occasion une dimension progressive à leur musique et la rendant bien plus abordable.
Parce que si vous passez outre le chant qui pourra vous écorcher les oreilles, d’un point de vue musical Dauþuz a suffisamment de savoir-faire pour rendre ses « chansons » passionnantes. Pour cela, le duo sait parfaitement varier les atmosphères et poser ses respirations, et n’hésite pas à introduire des chœurs clairs, flirtant avec l’épique, ajoutant une dimension grandiose à leur metal.
Tout cela pourrait fleurer bon le ridicule, épique et black metal font rarement bon ménage, loin de là, mais c’est justement ce qui fait tout le sel de Dauþuz, cette capacité à trouver un équilibre naturel entre épique, pagan, speed, black metal et folklore.
Pour cela, le duo va s’imposer un régime assez drastique : dix morceaux, un acoustique encadrant deux morceaux black à chaque fois. Avec un peu de recul et de mauvaise foi, on pourrait très bien se dire que l’ensemble paraît trop maîtrisé pour être honnête, qu’on serait presque à la limite de la pose. Sauf qu’ici, les pauses acoustiques s’avèrent réellement indispensables pour faire baisser la tension qui ne cesse de progresser à chaque nouveau morceau pour atteindre son paroxysme sur celui en deux parties donnant son titre à l’album : Die Grubenmähre.
Là, Dauþuz parvient à marier de façon ahurissante mélodies qui vous restent vissées dans le crâne (suffit d’écouter l’intro sur la première partie), violence pure (d’une rare intensité sur Grubenmärhe I) et pagan (sur la seconde), en dérivant de l’un vers l’autre pour treize minutes à la fois éprouvantes (la tension ne faiblit à aucun moment) et impressionnantes (pour les mêmes raisons qu’elles sont éprouvantes), vous laissant sur les rotules quand arrive le blast final.
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]A[/mks_dropcap]utant le dire, Luciae arrive à point nommé pour conclure en beauté ce disque haletant : épilogue apaisé et suite logique des dérives pagan du précédent morceau, il permet à l’auditeur d’atterrir en douceur, d’évacuer toutes les tensions et surtout, comme je le disais plus haut, d’admirer la maîtrise dont font preuve les Allemands dans le mélange des genres.
Car il faut bien se rendre à l’évidence : Die Grubenmähre, dans son style, ressemble furieusement à du travail d’orfèvre. Un travail d’équilibriste bruyant, violent certes, mais qui réussit à marier les extrêmes sans coutures apparentes, un peu comme si la créature de Frankenstein avait été conçue par Yves Saint Laurent.
Bref, arriver à un tel résultat en si peu de temps, tout en réussissant à gommer les rares erreurs précédentes, laisse présager pour Dauþuz un avenir doré au sein de la scène black metal. Reste plus qu’à attendre qu’ils enfoncent définitivement le clou avec leur prochain disque, qu’on surveillera avec une impatience non feinte.
Sorti le 28 Octobre 2017 en numérique, en CD chez Selenfrost.tictail et, en mars prochain, pour la version vinyle qui, de toute façon, n’est déjà plus disponible.