[dropcap]E[/dropcap]n 2003, le multi-instrumentiste folk Sufjan Stevens s’embarque dans un projet un peu fou (en réalité, une blague potache de la part de cet artiste prolifique pour faire parler de sa musique) : composer un album par État américain.
Il démarre avec l’album Michigan. Fort du succès critique du disque, l’artiste remet le couvert deux ans plus tard avec l’album Illinois. Dans chacun de ces deux disques, Stevens s’inscrit en réalité dans la tradition folk d’écrire et chanter des histoires du pays. Pour cela, il se documente abondamment et longuement. Illinois aborde ainsi la vie du tueur en série John Wayne Gacy, le poète Carl Sandburg ou encore l’exposition universelle qui se tint à Chicago en 1893.
Bien que le titre officiel du disque soit Illinois, sur la pochette on peut lire « Sufjan Stevens Invites You To: Come on Feel the Illinoise », clin d’œil à une erreur de prononciation courante sur le nom de l’État d’Illinois mais aussi à une chanson d’un groupe de hard rock, Slade, intitulée Cum On Feel The Noize. La pochette a d’ailleurs connu, depuis la sortie du disque, 5 versions différentes, ce qui n’en finit plus de passionner les fans collectionneurs les plus acharnés. Le Superman qui survolait la Tour Sears dans la version initiale et désormais très rare a dû, pour des questions de droit d’auteur, être recouvert puis remplacé par des ballons. En 2015, le personnage de Blue Marvel apparaît pour la réédition des dix ans du disque.
Avec Illinois, Sufjan Stevens tourne définitivement le dos à l’étiquette simpliste de joueur de banjo d’Americana qu’on lui avait collée un peu trop rapidement avec les albums Michigan et Seven Swans, alors que l’artiste avait déjà sorti un étrange objet musical en 2001, Enjoy Your Rabbit, un concept-album d’electronica autour des animaux du zodiaque chinois.
Bien que Sufjan Stevens crée son album presque tout seul tant au niveau de l’écriture que de l’enregistrement des instruments, Illinois frappe par ses fulgurances baroques et sa générosité musicale. À la fantaisie de la longueur du nom des titres (le record revenant au 2e morceau : The Black Hawk War, or, How to Demolish an Entire Civilization and Still Feel Good About Yourself in the Morning, or, We Apologize for the Inconvenience but You’re Going to Have to Leave Now, or, ‘I Have Fought the Big Knives and Will Continue to Fight Them Until They Are Off Our Lands!) répond une exubérance folle dans les compositions et une débauche instrumentale, contrebalancée par une voix toute en sensibilité et fragilité.
L’album est acclamé à sa sortie et est considéré comme le meilleur album de l’année 2005 par nombre de critiques reconnus. S’en suit une tournée flamboyante qui installera définitivement l’artiste dans la cour des très grands.
Néanmoins, le boulimique Sufjan Stevens n’en restera pas là et sortira dans la foulée l’année suivante The Avalanche : Outtakes and Extras from the Illinois Album, un disque avec tout ce que l’artiste n’avait pu mettre dans Illinois, avec notamment pas moins de trois versions différentes de Chicago, le titre sans doute le plus célèbre de l’artiste, immortalisé notamment dans le film Little Miss Sunshine.
Illinois reste à ce jour considéré comme un des albums majeurs de la première décennie du XXIe siècle. Bon anniversaire à ce disque passionnant et déjà culte !