Eric Reinhardt, auteur du très remarqué Le système Victoria en 2011, revient au roman après une parenthèse théâtrale (Élisabeth ou l’Équité) avec L’amour et les forêts. Le moins que l’on puisse dire de ce nouveau roman est qu’il marquera les esprits.
Eric Reinhardt écrit bien. Très bien même le plus souvent. Une fois son style apprivoisé (et le début du livre n’est pas de tout repos) on peut se laisser porter par son récit. Il faut toutefois rester attentif car l’auteur mélange les narrateurs. Lui, en tant qu’auteur, son héroïne, une personne de sa famille (sans préciser qui pour ne pas dévoiler l’intrigue), des lettres, des échanges internet.
Cette mise en scène dans le roman de l’homme/auteur Eric Reinhardt rappelle souvent les écrits d’Emmanuel Carrère mais là où souvent Carrère parle de lui, Reinhardt préfère ne pas donner grand chose de lui et se réfugier derrière Bénédicte Ombredanne dont on va suivre les pérégrinations tout au long des 370 pages de ce livre. Cette jeune femme, au destin trouble, extrêmement romanesque – et il s’agit sûrement de la raison pour laquelle Reinhardt choisit d’écrire sur elle – existe-t-elle vraiment ? On ne le saura pas. Est-ce si important ?
Bénédicte Ombredanne, toujours nommée avec son patronyme (comme pour mieux faire fonctionner une distanciation triste), femme d’une trentaine d’années, rêveuse, se lit d’amitié avec l’auteur, à la suite d’une lettre pour lui dire son admiration, d’un échange épistolaire et de deux rencontres. Elle racontera ce qui la rend malheureuse et ce qui la rend heureuse à Reinhardt qui, à son tour, en fera ce roman. On apprend petit à petit au fil des pages ce qu’est la vie de cette femme. On accède à une partie de sa vérité via le récit d’une personne de sa famille, via ses relations avec ses enfants, son mari, ses collègues de travail et ses conversations avec l’auteur. Comme un tableau qu’on complète petit à petit.
On lit avec effroi et stupéfaction le destin de Bénédicte Ombredanne. On la prend pour une femme faible, on ne la comprend pas, on la plaint aussi et on souffre avec elle jusqu’aux dernières pages. L’éditeur, en quatrième de couverture, nous vend le récit « d’une émancipation féminine ». Cette émancipation prend la forme d’une journée, d’une aventure, d’une échappée belle ou d’une parenthèse qui aussitôt refermée laisse sa place au cauchemar quotidien. Comment Bénédicte Ombredanne se sortira-t-elle de son cauchemar ? Voilà tout l’enjeu de ce terrible roman.
SPOILER (NE PAS REGARDER CE QUI SUIT SI VOUS SOUHAITEZ LIRE LE ROMAN)
Difficile d’en parler dans l’article mais je n’ai guère goûté l’argument de l’éditeur: le récit d’une » émancipation féminine ». Evidemment, c’est plus vendeur que de parler de la déchéance d’une femme.
L’émancipation de cette femme ne prend la forme que d’une journée. Elle rejoint un homme qu’elle a « rencontré » sur meetic ou un site du même genre. Coup de foudre. Ils tombent amoureux.
Problème, elle est mariée, deux enfants. Son mari est un monstre, qui la domine. Elle retourne avec lui. Il découvre la tromperie, lui fait vivre un enfer, monte ses enfants contre elle, l’éloigne de sa famille. Un enfer psychologique. Elle ne s’en sortira pas.
Sa soeur racontera à l’auteur qu’elle s’est crée un cancer pour pouvoir sortir de sa prison. Effectivement, elle s’en sort en mourant.
Pas de polémique. J’ai aimé ce roman. J’imagine que Reinhardt n’a pas son mot à dire sur la quatrième de couverture. Je trouve dommage que l’éditeur dénature de cette façon le récit. Comme quoi, parfois (souvent), nous devrions nous retenir de lire ces « résumés ».
A vous maintenant!
Je ne vais pas beaucoup faire avancer le schmilblick, car je suis d’accord avec toi : j’ai aimé le livre mais j’attends encore le récit d’une émancipation féminine…par contre celui d’une déchéance, je l’ai eu.