[mks_dropcap style= »letter » size= »50″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]A[/mks_dropcap]utant le dire tout de suite, la politique ce n’est pas franchement mon dada. Je n’y comprends pas grand chose et je ne m’y intéresse pas outre mesure non plus. Alors pourquoi, me direz-vous avoir choisi de vous parler de ce livre ?
Eh bien aussi curieux que cela puisse paraître, le titre, le pitch et la maison d’édition (il faut bien l’admettre) m’ont tout de suite convaincue. Ensuite, ce sont les 269 pages, lues à la vitesse de la lumière, qui ont achevées de me convaincre.
Il est certainement, et peut-être bien malgré lui, le roman le plus actuel et le plus visionnaire sur notre pays en cette rentrée de janvier.
Et rassurez-vous, si vous êtes comme moi, au niveau -100 en matière de connaissances politiques cela ne vous empêchera pas de passer un excellent moment, bien au contraire car il est aussi le plus drôle et le plus mordant de cette rentrée.
« Mais rien n’est jamais acquis, hélas, reprit Claude. Il faut toujours veiller au grain. C’est à cela que des gens comme nous, chacun à la place qui est la sienne, servons, n’est-ce-pas ? Il faut y veiller en permanence. Un pays comme le nôtre, ça ne se réforme pas, vous et moi le savons bien. Ça ne se réforme pas, mais ça s’entretient. C’est à ce niveau que l’intervention humaine est nécessaire. Il faut sans cesse tailler, il faut élaguer. Il faut replanter, souvent. Aérer la terre, remuer un peu les choses, faire en sorte qu’elles respirent, conservent un certain mouvement. Éviter surtout qu’elles ne s’ankylosent, qu’elles ne s’enkystent. Et se débarrasser des branches mortes. »
État de Nature, sous la savoureuse plume de Jean-Baptiste de Froment, dresse le portrait d’une France qui n’est ni tout à fait la nôtre, ni tout à fait une autre.
Une France où Claude, Commandeur de la Présidente surnommée La Vieille (parce qu’elle n’est plus toute jeune et qu’elle en est à son troisième septennat) et amoureux des cerisiers japonais, se réveille un matin avec une soif accrue de pouvoir.
Assez d’être placé dans l’ombre depuis toutes ces années de celle qui ne semble plus gouverner grand chose, son heure est venue !
Entouré de ces sympathisants, modestement nommés Gens Claudia – tous sortis de la Sapience, une école créée par Robespierre et dont l’emblème en forme de serpent et la devise plutôt ambiguë sont tatoués sur le torse – il avance ses pions.
Mais c’était sans compter sur Barbara Vauvert, nouvellement nommée préfète de La Douvre, un lieu reculé où vivent des « bouseux » qui se veulent en harmonie avec la nature (tiens, tiens). Lieu aussi dirigé la plupart du temps par des anciens hauts fonctionnaires à qui on offre un petit lopin de terre à diriger avant la retraite.
Barbara va, contrairement à ses pairs, s’intéresser aux gens de cette région restée bloquée dans une autre époque, entre le Moyen-Âge parfois et la IIIe République. Elle va à leur rencontre, soucieuse de comprendre, d’apprendre, de faire bouger les choses et pourquoi pas, comme le propose Arthur Cann, un jeune philosophe, grâce à un « retour à la nature » où technologie et biodiversité vivraient ensemble.
Cependant Claude n’a pas l’intention de laisser une « pimbêche » saboter ses plans. Et ça tombe plutôt bien car Farejeaux, élu de Province, ressemblant physiquement « aux spécialités culinaires » locales veut voir tomber la tête de cette femme mystérieuse, attirante, soucieuse de son prochain. Ni une, ni deux, Claude lui retire la gouvernance de La Douvre, sans imaginer un instant que tout ceci pourrait bien se retourner contre lui et de bien des manières.
Instantanément, le peuple s’insurge. La colère gronde, monte, le feu danse et tout va bien bien vite s’accélérer…
Il n’est plus question aux yeux de ces technocrates de révolution, de violence, d’insurrection, mais bien de terrorisme !
Mais qui est la véritable proie ? Qui est le prédateur ? Qui gagnera la bataille, le chasseur ou le chassé ?
« Ah, l’antiterrorisme… intervient de nouveau, hilare cette fois, le surintendant Barthoux. Quelle invention merveilleuse. C’est la forme moderne du procès en sorcellerie ; n’est pas d’ailleurs Cann lui-même qui en faisait la remarque, dans une récente interview donnée à l’une de ces feuilles de chou trotzko-quelque chose ? L’antiterrorisme, si nous ne l’avions pas, il faudrait l’inventer. «
[mks_dropcap style= »letter » size= »75″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]D[/mks_dropcap]e manipulations en magouilles Jean-Baptiste de Froment, lui-même évoluant dans le milieu politique, nous offre une satire croustillante de ce monde et nous amène à une véritable réflexion sur le pouvoir, sa nature, son règne (animal ?), et sur la « servitude consentie » qui, si elle ne l’est plus, peut bien engendrer feu et sang (et ce n’est pas l’actualité qui nous contredira…)
Il ose confronter les classes sociales, la bourgeoise, l’élite et le peuple, Paris et la Province.
Dénoncer habilement le racisme rural, la place de la femme dans ce monde patriarcal, les ambiguïtés de notre système politique et de notre société moderne, sans jamais oublier les parallèles historiques avec nombre d’époques.
Et plutôt que d’y aller avec un roman purement ancré dans la réalité, il invente des lieux, des légendes, une animalisation, une galerie de personnages, truculente, déjantée qui nous fait savourer chaque page.
Et au milieu de cet explosif cocktail, reste une notion sur laquelle on ne cesse de s’interroger : État de nature, nature…
Une idée laissant place aux multiples interprétations : faut-il y voir la nature humaine ? L’état de nature au sens où l’entendait Rousseau ? La nature au sens animal et végétal ? Un peu tout cela à la fois ? Une chose est sûre, l’auteur la distille ici et là, de diverses manières pour ne pas oublier son importance.
En résumé, on avance sur un échiquier géant où chaque mouvement donne lieu à un renversement de situation. Inattendu. À un nouveau questionnement.
C’est dense mais tout est justement dosé dans État de Nature : l’humour, la langue qui sert incroyablement bien l’intrigue, le sarcasme, le petit grain de folie, la construction.
Il y a du comique, de la tragédie, du Vaudeville, du Shakespeare. Et tout se tient de bout en bout. Étonne et détonne.
On jubile, on s’attendrit car malgré des personnages, parfois bien pourris, on ne peut s’empêcher de leur trouver un petit je-ne-sais-quoi, on rit, on cogite, on grince des dents.
Et cerise sur le gâteau, on est tenu en haleine jusqu’à la toute dernière page.
« Le fait que les gens n’eussent pas accès à la réalité de leur propre moi (c’est-à-dire à leur ignominie), était l’origine de pas mal de problèmes sur Terre, si l’on y réfléchissait bien. »
Allez, il est temps de jouer franc jeu avec vous… Jean-Baptiste de Froment m’a mise échec et mat.