[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]C'[/mks_dropcap]est un bien drôle d’objet littéraire, iconoclaste, inclassable, que ce F., d’Antônio Xerxenesky édité chez Asphalte. Déjà remarqué avec Avaler du sable, le jeune auteur brésilien signe ici un bien curieux roman farfelu et drôle. Sorte de récit protéiforme, F est à la fois roman noir, policier, récit personnel, plongée générationnelle, critique cinéma, voyage, etc.
Ana est une jeune tueuse à gages de vingt-cinq ans perfectionniste, qui tue de sang froid, elle exerce ce « métier » sans amertume, ni d’état d’âme. Elle encaisse l’argent et elle exécute. Il n’y a pas d’équivalent dans la profession pour effectuer un contrat proprement. Pas besoin d’effusion de sang, de créer des scènes de crime remplies d’hémoglobine avec le risque de se compromettre en laissant un indice de son œuvre par inadvertance, chaque meurtre doit être un assassinat parfait, comme s’il s’agissait d’une mort naturelle.
Un jour, Ana se voit confier l’exécution d’Orson Welles, rien que ça ! Peu passionné par le cinéma, avant de se mettre à la tâche, Ana décide d’en connaître davantage sur le grand maître et se rend même jusqu’à Paris où une rétrospective lui est consacrée, pour visionner Citizen Kane (rassurons le lecteur, il n’est pas nécessaire d’avoir vu ce film pour apprécier le roman, sans doute suscite-t-il cependant l’intérêt de le faire). Alors assassinera ou assassinera pas ?
Antônio Xerxenesky aime les chiffres. Nous sommes en 1985, l’année de la mort d’Orson Welles comme si l’auteur voulait mêler fiction et réalité. C’est à vingt-cinq ans que le maestro réalisa son chef-d’œuvre, l’âge d’Ana partie sur ses traces pour lui régler son compte. L’atmosphère des années 1980 nous est parfaitement rendu avec un souci certain du détail. Côté musique, ce sont les débuts de Depeche Mode, Siouxie & the Banshees, la new wave; côté cinéma, c’est encore l’héritage des films de François Truffaut dont il est question et de la Nouvelle Vague, les amoureux du cinéma se délecteront des analyses des films de l’époque.
Le roman se lit comme le journal intime de la narratrice, Ana, énigmatique, tombée dans le milieu des tueurs à gages par hasard, apolitique, insaisissable, inlassablement seule, animal froissé par son passé. Elle nous raconte son histoire de manière froide, faussement distanciée, parfois hautaine, s’exprime avec une certitude clinique dénuée de sentiment et d’émotion sur des faits qui font froid dans le dos. La rencontre avec le réalisateur va la bouleverser sans savoir si c’est Orson Welles lui même ou son double Kane, le vrai du faux, le réalisateur ou son avatar qui la fascinent. Une nouvelle perspective s’ouvre alors à elle, une nouvelle approche aux antipodes de ses convictions: la mort d’un honnête homme, au risque peut-être de ne pas honorer la part du contrat…
F., d’Antônio Xerxenesky, éd. Asphalte, traduit du portugais (Brésil) par Mélanie Fusaro