[dropcap]C[/dropcap]omment réagir devant un drame tel qu’on se trouve au bord du gouffre, sans souffle, sans volonté et sans énergie? Que faire devant l’horreur absolue ? Doit-on en faire des caisses, s’épancher et tenter de la faire partager au monde entier avec force cris, lamentations et douleurs, tel un Romantique éploré qui pleure face aux éléments sa condition humaine perdue ? Doit-on fuir, pour ne pas voir l’indicible, quitte à être rattrapé par la terrible réalité plus tard ? Doit-on se taire, muré dans sa douleur ?
En réalité, il n’y a pas de bonne réponse. On n’est pas dans un vulgaire QCM. C’est la réalité, la vraie, celle qui fait mal quand elle nous rattrape, et nombre d’entre nous en ont malheureusement fait l’expérience ces derniers temps qui sont bien difficiles. Mais la perte d’un de ses enfants… c’est encore une autre paire de manches.
Commençons donc par évoquer le plus grave, le plus douloureux, et l’origine même de cet album et de son contenu, son style, sa substance. On va être plutôt brutaux, et s’en tenir aux faits, on n’est pas chez Voici ici (malgré tout le respect qu’on porte – ou pas – à la presse people). Mina « Mazy » Topley-Bird, fille de Tricky et de Martina Topley-Bird, est décédée brutalement à l’âge de 24 ans en mai dernier. Nous ne nous étalerons donc pas sur cette terrible mort, ni sur ses motivations, ni sur ses causes.
Ce qui est important et qu’il faut bien comprendre, c’est l’effet dévastateur qu’elle a pu avoir sur ses parents, et sur l’auteur de l’album qui nous intéresse aujourd’hui en particulier : dans sa récente autobiographie, Tricky écrit: « Ce livre commence avec le suicide de ma mère. Si j’avais su qu’il se terminerait avec le suicide de ma fille, vous ne seriez pas en train de le lire. »
Tout est dit, le reste est superflu.
C’est exactement ce qu’a du penser Tricky lorsqu’il a attaqué l’enregistrement de ce nouvel opus, forcément imprégné jusqu’à la moelle de ce deuil.
En effet, Tricky ne s’étale pas (l’a-t-il déjà fait, d’ailleurs?), Tricky ne fuit pas, Tricky va à l’essentiel, l’album est court, concis, compact. 28 minutes de douleur. On l’entend très peu sur ce disque, Tricky : il est plus dans son rôle de chef d’orchestre, ici ultra-minimaliste, et laisse sa douleur s’exprimer à travers ses deux (magistrales) interprètes. On l’entend, sur « Hate this Pain », scander « I hate this fucking pain » en point d’orgue de douleur de cet opus, relayé d’une manière quasi-fusionnelle par Marta Złakowska. Elle co-signe la plupart des morceaux et sa voix ouvre l’album sur un beat minimaliste et une basse synthétique profonde, se mettant dans la tête de Tricky en annonçant tout de go « I think I’ve won » pour conclure sur « Goodnight my love » (difficile de ne pas y voir de double sens… et du coup facile dès lors de comprendre de quoi va parler le disque quand on démarre sur ce « je crois que j’ai gagné… bonne nuit mon amour »).
Le reste de l’album tendra à prouver que ce n’est pas tout à fait le cas, que la partie n’est pas encore tout à fait gagnée… et dès le morceau suivant (l’ultra-minimaliste et très court « Close Now »), le premier vers « Hardly Sleep Now » (« je ne dors presque plus ces temps-ci ») nous renvoie aux terribles moments où on croit le plus dur passé quand soudain une nouvelle vague nous emporte. On comprend très vite avec ces deux morceaux que l’essentiel sera dit en un minimum d’effets. On a parfois l’impression à la première écoute que les morceaux se terminent avant qu’on puisse se mettre dedans. Mais c’est une impression qui va s’estomper dès les écoutes suivantes. Cette fois-ci on ne blâmera pas Tricky pour une quelconque facilité ou une économie de moyens ou d’efforts (un reproche qu’on lui a trop souvent fait, à tort parfois), ce serait terriblement malvenu.
Car c’est bien un disque de taiseux qu’on tient entre nos oreilles, solidement construit sur des loops courts, des basses profondes, et, si l’on excepte les deux très beaux titres co-écrits et interprétés par Oh Land, qui nous ramènent un peu plus en terrain connu, le reste de l’album louche plus vers le second album de Tricky, le crépusculaire « Pre Millenium Tension », mais en un peu plus sombre (on ne savait pas que c’était possible, mais si.)
Sans aller jusqu’à analyser les textes, très concis, au phrasé très court et très simple, à tel point que les paroles des onze titres tiennent entièrement sur deux pages de livret CD, les titres mêmes suffisent à résumer le message : « Hate This Pain », « Chills Me to the Bone », « Fall Please », autant de déclarations de profonde douleur qui ne font pas dans la dentelle. La plus-value, c’est l’interprétation. Si Tricky s’est volontairement mis en retrait (à tel point que le premier titre où il est réellement présent s’avère être « Hate This Pain », le cinquième titre, duo absolument parfait avec Marta sur fond de violoncelle et notes de piano éparses et répétitives), c’est bien la performance tout bonnement exceptionnelle de Marta Złakowska qu’on retiendra ici, Toujours en retenue et sans démonstration aucune (alors qu’on sait pour l’avoir vue en live et avoir entendu ses performances avec son groupe Zero for Marta qu’elle possède une grande virtuosité vocale), toujours juste, toujours complètement dans l’esprit de Tricky, telle un jumeau féminin, elle délivre des performances simples et sobres mais néanmoins variées et pleines d’âme (comme sur le très classique « Chills Me To The Bone »). Arrivée avec l’album et la tournée précédents et très rapidement intégrée au processus d’écriture (elle-même nous avouait avoir été la première surprise de ce choix pour les live, puis l’album précédent, lors de la dernière tournée), la jeune chanteuse polonaise semble en effet être une recrue de choix pour Tricky, qui trouve là un contrepoint calme et talentueux à sa fougue et son image de dur et une auteur-compositrice qui l’a apparemment bien épaulé pour écrire ce disque dont elle co-signe 8 morceaux sur 11.
Arrivé au terme de ce court périple, de cette catharsis brutale et spontanée, de cette partie du processus de deuil qu’on espère aura aidé Tricky en plus de ravir nos oreilles, ce dernier nous laisse au bout d’à peine 30 minutes du minimalisme le plus tendu, d’un de ses tous meilleurs albums (et pas seulement « meilleurs depuis un moment », oh non, meilleurs tout court) avec « Vietnam » et ses derniers mots bien sentis :
Listen to me sing now.
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Fall to Pieces – Tricky
False Idols – 4 septembre 2020
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Image bandeau : Montage pochette