Alors que vient de s’achever la 51e édition du festival BD d’Angoulême, marquée par une double consécration (celle de la Britannique Posy Simmonds, sacrée Grand Prix 2024, et celle de l’Américain Daniel Clowes, lauréat du Fauve d’or du meilleur album pour Monica, chez Delcourt), nous vous proposons un flash-back et un coup de projecteur sur une sélection de 8 BD : 4 publiées en 2023 et 4 nouveautés. Cette sélection n’a rien d’officielle mais elle a tout pour vous séduire !
4 BD pour un coup d’œil dans le rétro
Les Yeux d’or de Lucie Quéméner – Delcourt – Octobre 2023
Marie Desplechin, scénariste et romancière lauréate de nombreux prix, écrit dans la préface ne pas en avoir cru ses propres yeux quand elle a lu, sur une lettre qui lui était adressée, que l’autrice Lucie Quéméner lui demandait l’autorisation d’adapter son roman éponyme : Les Yeux d’or (Delcourt).
Pour elle, ce fut un mélange de joie, d’admiration et d’étonnement. Cela sonnait comme un rêve éveillé. Cela tombe bien : ce récit mis en image par l’autrice de Baume du tigre oscille entre onirisme et lucidité, entre le monde des enfants perdus et celui des adultes en devenir.
Il met en scène une opticienne astronome mystérieuse, qui s’appelle Edmée, et la fille de son directeur, dénommée Violette. L’une et l’autre vont construire une relation d’amitié, bercée de percées fantastiques dans un univers à la fois touchant et merveilleux.
Magnifié par des couleurs bleuté et un graphisme à la fois délicat et soigné, Les yeux d’or faisait partie de la sélection jeunesse du festival BD d’Angoulême.
La Guerre des Lucas de Renaud Roche et Laurent Hopman – Deman éditions – Octobre 2023
Cet ouvrage se lit d’un trait tant il brille par sa simplicité d’écriture et sa richesse documentaire. Vous êtes un fan de la première heure des aventures de Star Wars ? Cette bd est faite pour vous. Cette saga vous est inconnue ? La guerre des Lucas (Deman éditions) est aussi faite pour vous !
L’histoire, racontée par Renaud Roche au dessin et Laurent Hopman au scénario, est dédiée à tous les rêveurs qui n’abandonnent pas. Georges Lucas est assurément de ceux-là, lui qui fut un enfant rebelle passé à côté de la mort après un spectaculaire accident de la route. Car des obstacles, il en a rencontré avant de sortir, sous la houlette de la Fox, le premier opus d’une série qui allait révolutionner l’industrie du cinéma.
Le réalisme naturel des personnages, les prouesses technologiques des tournages, les affres de la création bousculées par une pléiade de gens bien-pensants mais has been… Tout cela, Georges Lucas a réussi à le dépasser grâce à son sens de la mise en scène, à ses convictions avant-gardistes et à l’appui d’amis précieux comme Spielberg ou Coppola.
La Guerre des Lucas n’est ni plus ni moins qu’une ode au courage en même temps qu’un hommage au talent d’un génie du 7e art.
Ne lâche pas ma main de Michel Bussi, Fred Duval et Didier Cassegrain – Aire Libre et Dupuis – Juin 2023
Le trio des Nymphéas noirs s’est reformé ! L’auteur de polars Michel Bussi s’est de nouveau associé au scénariste Fred Duval et au dessinateur Didier Cassegrain pour l’adaptation d’un roman sorti il y a 10 ans : Ne lâche pas ma main (collection Aire Libre, chez Dupuis).
Franchement, l’histoire est haletante et pleine de rebondissement, tandis que le graphisme, aussi efficace que coloré, contribue à créer une atmosphère envoûtante. Tout part de l’étrange disparition de Liane et d’un crime commis à proximité des eaux turquoise de l’île de la Réunion. Le mari de Liane, désigné comme le coupable idéal, et leur fille âgée de 6 ans, vont tenter d’échapper au destin tragique qui les attend, luttant et contournant tous les pièges tendus.
Cette course-poursuite, qui nous fait voyager au cœur d’une végétation dangereuse et luxuriante, nous conduit au cœur d’une redoutable machination, semée de quelques cadavres.
Le dénouement ? On le doit à une capitaine de police chargée de l’affaire. Celle-ci est bien décidé à ne pas baisser les bras, malgré le machisme ambiant et les moyens qui manquent pour aller jusqu’au bout de l’enquête.
Amateurs de thrillers, n’hésitez pas à dévorer les 136 pages de cette bande-dessinée. Vous participerez assurément à une « drôle » de chasse à l’homme, non sans broncher et vaciller.
Blacksad, alors tout tombe – seconde partie de Juan Diaz Canales et Juanjo Guarnido – Dargaud – Novembre 2023
Depuis presque 25 ans, Juan Diaz Canales et Juanjo Guarnido nous gratifient d’une saga animalière parmi les plus intéressantes et foisonnantes. Le tome 7 de Blacksad (Dargaud) était particulièrement attendu puisqu’il s’agit de la seconde partie d’une histoire entamée il y a deux ans avec « Alors, tout tombe ». Sans surprise, on y retrouve le chat-détective le plus doué de sa génération, ainsi que toute une galerie de personnages hauts-en-couleurs.
Tandis que Blacksad s’évertue à prouver l’innocence de son ami Weekly, journaliste fouineur soupçonné de l’assassinat d’Iris Allen, une directrice de théâtre, deux êtres malfaisants vont lui mettre des bâtons dans les pattes : Shelby, qui ne recule devant aucune basse besogne ; et Solomon, le maître-bâtisseur de la ville, qui tient Shelby entre ses griffes.
En toile de fond, le New-York des années 50 prête son visage à des instants romantiques et à des moments de pure tragédie. L’occasion, une fois encore, de ne pas bouder notre plaisir à la lecture de cette nouvelle aventure de Blacksad.
4 BD pour un coup d’œil dans le projecteur
L’Archipel de Sacha Goerg – Gallimard – Janvier 2024
Futur proche. Containers habitables à la dérive. Drones et robots cantonnés à régir nos vies. Pilules ayant un pouvoir de télétransport. Et surtout, crises climatiques avérées, à grand renfort de tempêtes et de montées des eaux. Tel est le cadre et telles sont les composantes de L’Archipel (Gallimard) de Sacha Goerg.
Déstabilisantes dans un premier temps, du fait qu’elles nous plongent dans un univers où se mêlent métavers et mer monstrueuse, les premières pages de la bande-dessinée ont vite fait de conquérir notre soif de curiosité et d’intérêt.
Bien construit et joliment dessiné, le récit nous fait rencontrer un habitant des beaux quartiers, le jeune Tim, aussi riche que glandeur et désœuvré, et la jeune Chloé, dont l’idéal n’a d’égal qu’une quête absolue : s’assurer que l’archipel, une île sur laquelle elle vit et où se sont entassés des logements sociaux, ne parte pas à la dérive avec la crise climatique.
Pour cela, elle se projette vingt ans plus tard et tente de comprendre ce qui s’est passé. C’est dans ce monde parallèle qu’elle va rencontrer Tim. De cet improbable chassé-croisé amoureux, l’un et l’autre ne sortiront pas indemnes. Une manière tout à fait passionnante d’aborder l’avenir et notre rapport actuel au monde qui nous entoure.
Le combat d’Henry Fleming de Steve Cuzor – Aire Libre et Dupuis – Février 2024
La bataille de Chancellorsville a marqué l’histoire de la guerre de Sécession, en 1863 aux États-Unis. Et ce fut une boucherie. Avec Le combat d’Henry Fleming (Aire libre, Dupuis), c’est ce dont témoigne Steve Cuzor dans l’adaptation d’un grand classique de la littérature américaine : The Red Badge of Courage, écrit par Stephen Crane en 1895.
Mais plus encore, le roman de Crane tout comme la bande-dessinée de Cuzor, mettent en avant l’état d’esprit du combattant Henry Fleming. Assailli par le doute et rongé par la culpabilité d’avoir fui un premier assaut, il révèle aussi être effrayé par la bêtise de son commandement et la folie meurtrière des hommes.
Cette vie intérieure, l’auteur de Cinq branches de coton noir nous la livre au ras du sol, dans un clair-obscur qui fracture des paysages de sous-bois, heurtés par de fortes explosions et des tirs ennemis invisibles. Traversé par un jeu de lumières changeantes, le décor est un personnage à part entière. Il est le premier spectateur de ce qui se joue : gagner un bout de terrain pour une poignée de vies humaines déchiquetées.
Henry Fleming n’est pas dupe. En s’engageant du côté des Unionistes, il a voulu donner à la patrie sa part d’héroïsme. Mais une fois sur le terrain, il va surtout goûter à l’inhumanité et perdre la quête de sens qu’il l’avait animée au départ.
Précise, voire méticuleuse, la mise en scène nous entraîne dans une série de dix actes à la mécanique implacable, au service d’une bande-dessinée très réaliste et soucieuse de poser les bonnes questions aux va-t-en-guerre que nous sommes restés.
Le tatouage, mais avec humour par un collectif d’auteurs – Fluide Glacial – Janvier 2024
Je suis le pilier d’une culture populaire. Je compte 7 millions de pratiquants en France. Et je fédère autour de moi une quinzaine d’auteurs, toutes générations confondues, pour une bande-dessinée décalquée. Je suis… le tatouage, mais avec humour parce que je suis le sujet d’un ouvrage édité par Fluide Glacial.
Après le succès du magazine hors-série consacré à ce thème à l’automne dernier, vendu en kiosque, voici donc la version album disponible en librairie. Les meilleures histoires de Fluide sur le tatouage y sont rassemblées, pour le meilleur et pour le rire.
Ainsi donc, Emmanuel Reuzé (Faut pas prendre les cons pour des gens), Margerin (le papa de Lucien) ou bien encore Zidrou (les Beaux étés, la Bête) se sont donné le mot pour nous embarquer dans une lecture de planches courtes où le tatouage occupe une place de choix.
Bien sûr, comme toute initiative collective qui se respecte, le ton est à la franche rigolade. Mention spéciale au récit de Boucq, qui a imaginé les tatouages du petit pape Pie 3,14. C’est osé et bien amené, bref c’est ce qu’on aime !
The Shaolin cowboy, pour une poignée de beaufs de Geof Darrow – Futuropolis – Janvier 2024
Cette série de Geof Darrow colorisée par Dave Stewart est toujours ainsi dingue, époustouflante, magique, ébouriffante, militante… Oui, les superlatifs sont nombreux ! Et pourtant, ils seront toujours faibles au regard de l’immense travail scénaristique et graphique que nous propose cet auteur américain multi récompensé aux Eisner Awards, et dont l’immense talent fut salué par de grands noms du fantastique comme Moebius ou Richard Corben.
Dans ce nouvel épisode des aventures sanglantes et burlesques du Shaolin cowboy, celui-ci fait face aux pouvoirs démesurés de M. bébé, de ses amis et son flux d’énergie transformatif. Pour venger une famille de dragons, il devra aussi combattre au sein du QG de Snell avec, collés sur les murs, des affiches d’une Amérique ultra conservatrices et puritaines côtoyant des insignes nazis…
Satire plus que mordante autant que fable démesurée, appelée à dénoncer les dérives autoritaires et violentes d’une Amérique en roue libre, The Shaolin cowboy manie les armes avec une telle dextérité que même un porc laqué devra s’incliner.
C’est vous dire si le tome 4 de la série s’inscrit dans la droite ligne des BD précédentes : rythme d’enfer, scènes de folie et violence exacerbée à la Kill Bill. Une expérience de lecture à ne pas manquer.