Cs deux dernières années, Luc Chomarat nous a gratifiés de deux livres aussi brillants qu’étonnants, Le Polar de l’été et Le Dernier thriller norvégien, dans lesquels le sens de l’absurde et l’amour des mots le disputaient à un sens de la narration peu commun. Avec Le Fils du professeur, Luc Chomarat change de registre mais conserve son humour dévastateur et son style très personnel qu’il met au service d’un récit d’enfance unique en son genre. Échappant avec audace et espièglerie aux pièges du livre de souvenirs, Luc Chomarat caracole avec maestria sur les chemins que parcourt son héros et décrit le monde comme personne, sans jamais céder à la mièvrerie.
Notre jeune héros voit le jour en Algérie et très vite, ses parents et lui doivent regagner la France, où la crise du logement a donné naissance à de nombreux grands ensembles – l’ancien nom des cités d’aujourd’hui – un peu partout dans le pays. C’est là, dans un de ces logements qu’on surnommait « cages à lapins », que la petite famille va s’installer dans l’Est de la France. La vie suit son cours : le père, professeur d’histoire-géographie, est un grand bonhomme sérieux, un peu inaccessible : parfois, l’enfant se promène avec lui et lui parle de sa vision du monde. Cela fait rire le père, souvent. La mère est une jolie femme coquette mais un peu triste, c’est le moins qu’on puisse dire. La famille roule en 2 CV et tous les ans, le petit garçon va passer ses vacances de Noël chez Lina, sa cousine, son amie, sa confidente, dans un village des bords de la Meuse où il neige, forcément, puisque c’est Noël. Lina, la fille aux cheveux longs, celle qui porte des jupes, celle qui prend régulièrement des claques…
« Comme d’habitude, elle prend une claque. Certainement pour une bonne raison, mais nous ne connaissons pas cette raison.
Luc Chomarat
Lina est une fille et, on le sait bien, « les filles ne font rien comme tout le monde. » Mais on les aime aussi pour ça, n’est-ce pas ? Lina est une complice, une amie magique… C’est ainsi que le garçon tombe amoureux de sa cousine.
Et puis il y a l’oncle de Paris, le frère du père. Enseignant lui aussi : « Mon oncle vivait tout seul au milieu des livres, il avait des fauteuils club et un gros ventre. » L’intellectuel de la famille fait des citations en latin et la famille va rarement le voir dans la capitale : ces visites ressemblent à des fêtes étranges, des incursions dans un autre univers. Bientôt, la famille s’agrandit avec la naissance d’un petit frère. Un petit frère parfait mais renfrogné, qui vient bouleverser la vie du héros, surtout qu’en plus, la famille déménage à Saint-Etienne… C’est la fin des Noëls avec Lina… Comment cet être minuscule prend-il le pouvoir dans la famille? A cause de lui, notre héros doit partager sa chambre et ça ne lui convient pas. Il n’en veut pas, de ce petit frère : « Il n’aurait pas dû être là. C’est ça la vérité. »
La vie avance, le temps passe. Le héros est traversé par de grandes interrogations : est-ce que je crois en Dieu ? Pourquoi suis-je nul en football ? Comment embrasse-t-on une fille ? De ces trois questions, la plus importante n’est peut-être pas celle qu’on croit. Notre héros habite Saint-Étienne, où il est pratiquement obligatoire d’aimer le football. Or lui, il n’aime pas ça, il est nul en foot… Jusqu’au jour où, enfin, il comprend comment ça marche. Et là, la vie change. Car aimer le football, c’est aussi avoir accès aux autres, aux copains, aux filles, aux fêtes… Au passage de l’enfance à l’adolescence.
Luc Chomarat franchit allègrement les interdits : c’est ainsi qu’il met dans la bouche de l’enfant des mots d’adulte, comme ça, sans crier gare. Comme si la narration faisait irruption dans la vraie vie. Il nous ment, lui ou son héros, et ses mensonges sont encore plus révélateurs que ses vérités. A mots couverts, il nous laisse entendre qu’il ne peut (ou ne veut) pas tout dire… Du coup, le texte prend un malin plaisir à nous saisir par surprise, et à nous révéler du même coup les secrets de l’enfant, celui qui aime les petites voitures et les bandes dessinées… Cet enfant-là a une vision du monde et des interrogations qui n’ont rien d’attendrissant ni de naïf, et il lui arrive parfois de se montrer étonnamment clairvoyant et cruel. Comme tous les enfants. En arrière-plan, le monde continue à vivre, les événements à survenir, la société à changer… Drôle et tendre, aussi bondissant que le petit bonhomme de la photo de couverture, Le Fils du professeur est un authentique bijou, une perle qui, en éclatant, nous éclabousse d’émotions, de rires venus du passé de l’enfant et de notre propre mémoire.
Le Fils du professeur de Luc Chomarat
La Manufacture de livres, 19 Août 2021
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