[dropcap]S[/dropcap]i l’été est une période propice aux embouteillages sur le chemin des vacances, à l’inverse, la fluidité des flux est bien plus de mise concernant les sorties discographiques de la saison. 2020 n’échappe pas à la règle malgré quelques exceptions diffusées avec parcimonie. C’est sans doute pour cette raison que la cristallisation des esprits fut abondamment axée en direction d’un disque disséqué avec une application scrupuleuse autant par ses fans que par une poignée de quelques réfractaires. Une résonance donc parfaitement bienvenue pour le débat et la confrontation des analyses partisanes.
Fontaines D.C. était attendu au tournant et le moins que l’on puisse dire, le clivage des légitimes ressentis n’aura pas été laissé sur le bas-côté de la route. Les irlandais sans pouvoir vraiment s’en défendre se virent ainsi affublés des pires maux que le business musical puisse connaitre : vampires suçant jusqu’à la moelle les antiques prophètes du post-punk anglo-saxon, coupables d’avoir eu la chance de signer avec un label capable de les placer sur le devant des têtes de gondoles… Il est vrai que les temps actuelles ne supportent que modérément le succès tant populaire que d’estime. L’hyper exposition semble suspecte car surfant sur un revival ressassé tout en étant insuffisamment confidentiel.
Pour être totalement honnête, j’avoue que moi-même, à l’écoute de Dogrel, j’avais émis quelques doutes quant à la capacité chez les Dublinois de sortir d’un carcan assez poussif bien que bigrement efficace. Sur leur premier jet, nous pouvions deviner quelques emprunts à des formations émérites, lorgnant carrément en direction de The Rakes ou pourquoi pas The Clash et pour ne pas dire The Pogues sur une dernière ballade qui sentait de manière imprescriptible l’odeur d’un pub en fin de soirée. La poésie alarmante n’était pas écartée du cahier des charges mais la promesse d’un brouillon bien tenté par ces jeunes canailles attisait déjà les experts dubitatifs devant le faciès de Grian Chatten singeant involontairement (ou pas) l’icône intouchable retrouvée au bout d’une corde à linge un certain 18 Mai 1980. Ajoutons au tableau une propension destinée à appuyer sur les fins de syllabes, tel ce branleur de Liam, et la coupe des comparatifs était déjà bien pleine.
Alors forcément, A Hero’s Death aurait pu sonner comme le glas d’une aventure. De manière flagrante ce n’est nullement le cas et je ne peux, à ce titre, difficilement effacer de mon propos la lecture des louanges d’habituels nostalgiques, encore prêts à s’émerveiller pour les parfums d’un rock appelé pourtant à crever dans l’indifférence quasi générale suite à la prédictive absorption d’une pop boursouflée même si devenue, au fil du temps, pas forcément plus novatrice.
Sans tomber dans l’excès d’une contemplation béate, ce deuxième album de Fontaines D.C. franchit un cap évident, évitant la réplique trop hétéroclite, usant d’une production soignée tout en ne privant pas l’auditeur d’une significative fraicheur d’esprit. Les glissades d’obédience « Thurstonienne » affichent une maîtrise nouvelle, une exploration vers des compositions bien plus contenues au-delà d’une intelligence plaçant le curseur entre le show et le froid (I Don’t Belong). Les madeleines imbibées de rhum peuvent alors s’exposer sur le plateau de gourmandises sans doute et finalement bien plus post que punk.
Par séquence, le groupe redescendra dans sa caverne, extirpant nos petites peurs d’un grand coup de grincements et de quelques loupiotes clignotantes. Le tourbillon sera sidérant avec le fringuant Televised Mind, le point d’ancrage nourri d’une série d’uppercuts vocaux et d’un vrombissement de basse signant la marque d‘un pas de géant franchis par nos cinq lascars. J’en veux une autre illustration criante avec la cavalcade frénétique sur laquelle se pose le leitmotiv d’une « mort héroïque ».
L’album en son épicentre offrira quelques plages plus délicates, un versant plus sensible grâce à laquelle la facilité d’expression s’avèrera soudainement pertinente. Il en sera de même pour les deux derniers titres du disque, notamment ce No dont les grattements simples se suffisent à eux-mêmes, reflet d’un adultisme opportun et d’un fol espoir pas du tout prêt de s’assécher.
Je ne peux boucler cet état des lieux sans évoquer la noirceur et le tempo dur de Living In America. Certes, Fontaines D.C. frôle ici la caricature mais avouez que, goupillé de la sorte, c’est tellement bon !
C’est sans doute ici le nœud de l’affaire, la posture et l’imposture assumées comme un jeu car c’est bien de rock qu’il s’agit et, en la matière, l’histoire de ce vieux mouvement n’est pas avare en charismatiques magouilleurs. A ce titre, nul doute que Fontaines D.C. aura désormais un rôle à jouer parmi les meneurs. Reste à ses membres le soin d’apprendre encore et encore, de progresser sagement sans perdre la boule et si l’équilibre parvient un beau jour à s’établir entre une spontanéité nerveuse et leur duperie maligne, je doute fort d’une unanimité d’acclamation mais, cependant, il sera bien plus incommode de feindre chez eux une capacité pour puiser la quintessence de cette musique qui nous fait encore vibrer de plaisir.
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A Hero’s Death – Fontaines D.C.
Partisan Records – 31 Juillet 2020
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Image bandeau : Vinters Pooneh Ghana
Belle chronique d’un album nourri de forces et sources multiples, oeuvre qui s’équilibre entre puissance sonore et délicates nuances (malice, poésie, tragédie, …). Mélodies, arrangements et textes s’assemblent impeccablement.
L’écoute de Televised Mind m’a impressionné : cette longue ligne droite obsédante, la variation, décrochage brusque, et l’impact qui suit : magnifiques. I don’t Belong, balade nonchalante mais déterminée…. Chaque titre est cohérent, et l’ensemble fait corps. Un album qui donne beaucoup de plaisirs 🙂
C’est exactement ça Laurent. Merci pour votre commentaire.